Andréa - VIII - a

7 minutes de lecture

16h44


Solal se plante devant moi, le visage extrêmement contrarié.

— Tu peux m’expliquer ce que c’est que ça ? me demande-t-il furieux en me mettant sous le nez mon téléphone portable.

Mon cœur rate un battement. Je vois le message écrit par Antoine la nuit dernière et je devine facilement que mon interlocuteur l’a lu.

— Depuis quand tu fouilles dans mon téléphone ?

Intérieurement, je décide de changer mon code secret car actuellement il s’agit de notre date d’anniversaire.

— Ne fais pas la victime et ne me prends pas pour un idiot, rugit-il.

Tata Olé pénètre dans la maison à ce moment-là. Il est totalement exclu que ma famille assiste à une scène de ménage. Je fronce les sourcils et attrape le bras de mon petit ami avant de le tirer dans les toilettes que je viens à peine de quitter. Je verrouille la porte pour être sûre de ne pas être dérangée.

Nous nous tenons là, l’un face à l’autre pendant quelques secondes au milieu de la décoration marine de la pièce.

— C’est quoi ton problème au juste ?

— Mon problème, c’est que ma copine fricotte avec d’autres garçons pendant que je suis à l’étranger.

Il me regarde de haut en bas avec une légère moue de mépris. Il est en colère. Sans doute, a-t-il peur. Je le connais et je sens qu’il va appuyer là où cela fait mal.

— Je n’ai fricotté avec personne, comme tu dis. Antoine est un ami.

— Il semble avoir d’autres projets pour toi apparemment.

J’ai envie de le rassurer, de lui dire que je l’aime mais cette lueur courroucée dans le regard, ce ton accusateur m’en dissuade.

— Projets que je ne partage pas.

— En es-tu réellement sûre ?

Je marque un temps d’arrêt. J’inspire pour tenter de chasser ma nausée grandissante. Je ne dois pas me laisser envahir par mes émotions. Je dois me contenir.

— Si tu préfères te faire du mal en pensant que j’ai pu te tromper, libre à toi ! Je n’ai pas envie de me battre.

— Donc tu ne démens même pas !

J’aurai préféré que cette conversation se passe autrement, qu’on soit seulement tous les deux dans un endroit plus propice aux confidences. Sauf que nous sommes enfermés dans les toilettes du rez-de-chaussée et que nous avons plus de trente invités à seulement quelques mètres.

— Mais il n’y a rien à démentir, Solal. Je te trouve gonflé de fouiller dans mon téléphone et de m’accuser de choses que je n’ai pas commises. Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Oui, je me suis fait des amis pendant ton absence, des amis avec un pénis. Mais je n’ai jamais eu d’arrières pensées. Je suis tout aussi embêtée que toi de la situation. Et si tu n’es pas capable de me faire confiance, je me demande si tu ne fais pas une projection sur ce que tu as fait, toi, pendant ton séjour en Australie !

Un petit rire de mépris s’échappe de ses lèvres. Et moi, j’ai le cœur au bord des miennes.

— Ne fais pas de la psychologie de comptoir.

Je ne réponds rien.

— Pourquoi tu ne me l’as pas dit ? chuchote-t-il en se pinçant l’arête du nez.

— Je l’ai appris ce matin. Ce n’était pas le bon moment pour te dire ce genre de choses. Je voulais que tout se passe pour le mieux. Surtout aujourd’hui.

— Oui, oui que tout soit parfait, dit-il pour reprendre mes mots. C’est raté, c’est le moins que l’on puisse dire.

Encore une fois, je garde le silence et baisse légèrement la tête. Les larmes perlent à mes yeux. Je n’ai aucun contrôle sur la situation. Aucun. La tristesse laisse place à un sentiment d’injustice. Je relève le visage pour faire face au sien et prends ma voix la plus neutre possible.

— Si tu ne voulais pas que ce genre de situation se présente, tu n’avais qu’à ne pas laisser ta place pour un voyage d’un an à l’autre bout du monde. Durant ces douze derniers mois, je ne t’ai fait aucun reproche, je t’ai accordé ma confiance, je n’ai pas cherché à te faire culpabiliser malgré une décision qui n’était absolument pas la mienne. Une décision que tu m’as imposée. Tu te souviens : quitte-moi ou attends-moi ? Alors ne viens pas me faire de crise de jalousie maintenant.

Une partie de moi sait que Solal avait besoin de ce voyage, qu’il devait prendre le large durant un temps. J’avais fini par l’accepter parce que notre histoire à mes yeux valait bien d’attendre. Qu’est-ce que représente un an dans une vie ? Mais une autre constate avec amertume, que ce temps passé l’un sans l’autre nous a séparé bien plus que je le pensais, comme je l’avais prédit.

Je ne lui laisse pas l’occasion de me répondre. Cette conversation doit prendre fin. Je le contourne et ouvre le verrou au moment où Tonton Yann se dirige vers notre cachette.

— Alors les amoureux, ça s’isole pour se faire des petits bisous ?

Franchement, j’aurai préféré. J’esquisse léger un sourire, pour donner l’impression à mon oncle que sa plaisanterie m’amuse.

— Mais enfin, Youn ! Laisse les tranquille !

Tata Olé vient de refaire son apparition d’on-ne-sait-où, à croire qu’elle nous a guetté, Solal et moi.

— Après tout, poursuit-elle, ils ont été un an sans sexe. Il faut bien qu’ils rattrapent le temps perdu.

Ma tante ne s’adresse plus à son beau-frère car ce dernier a quitté la pièce dès qu’elle est arrivée. Je décrète de faire comme si de rien n’était face à ce commentaire déplacé. Je fais un pas en avant mais Tata Olé bouge en même temps et me fait désormais face. Elle est plus agile qu’il n’y parait, malgré son ébriété. Elle me fixe intensément, une drôle de lueur dans le regard. Au même moment, Marley et Nino se joignent à nous.

— Parfait ! s’exclame ma meilleure amie. On vous cherchait. C’est à nous de jouer.

Nous sortons tous de la maison et nous dirigeons silencieusement sur les lieux de la compétition. Je ne me retourne pas vers Solal. J’ignore d’ailleurs s’il nous a suivi ou non. Tata Olé manque de se tordre la cheville, une fois le pied posé dans la pelouse. Quelques dizaines de secondes plus tard, nous récupérons les palets posés au sol.

— Andréa, tu n’as qu’à commencer, me propose ma tante avec un sourire.

Mon éducation m’oblige donc à décliner et à proposer de céder mon tour aux invités. Les trois autres joueurs refusent mon offre poliment. Je me mets en position en essayant de me rappeler les conseils de Laurent. Ce qui n’est pas évident car je me sens observée. Tata Olé est tout près de moi. Elle croise mon regard et me fait encore une fois cet étrange sourire. J’ai l’impression qu’elle manigance quelque chose. Je décide de l’ignorer et de me concentrer sur la planche face à moi.

Quelques jours auparavant, j’avais lu des articles sur la visualisation positive. En résumé, cela se consiste à imaginer une situation ainsi que le sentiment que l’on éprouverait si l’on y parvenait. Se projeter ainsi permettrait d’influencer le court des événements. J’essaye donc d’appliquer silencieusement cette méthode tandis que ma tante se penche davantage vers moi.

—Tu sais, je suis admirative… Sincèrement… Un an sans sexe… me souffle-t-elle tout bas.

Elle est tellement proche de moi que je suis la seule à pouvoir entendre ses propos. Essaie-t-elle de me déstabiliser ? Je n’arrive pas à comprendre s’il s’agit d’un véritable compliment ou si elle cherche la confrontation. Je préfère donc garder le silence et me rappelle intérieurement que certaines personnes ont l’alcool qui les rend changeant.

— À moins que vous vous soyez octroyés des écarts de conduite. Un coup d’un soir par-ci par-là… Après tout, l’Australie, c’est loin…

Mes yeux s’agrandissent quand je comprends que ma tante suggère ma potentielle infidélité ou celle de Solal. A-t-elle entendu notre dispute ? Et même si c’était le cas, qu’est-ce que cela pourrait bien lui faire ? En quoi cela la regarde-t-elle ? Est-ce si étonnant qu’un couple puisse faire le choix d’être exclusif et le reste malgré les circonstances ? Je ne sais que répliquer à ce questionnement ne demandant pas forcément de réponse.

— C’est tellement facile de faire des rencontres dans une nouvelle ville…

Est-ce vraiment comme cela que les gens me perçoivent ? Comme une personne incapable de tenir ses engagements ?

Puis telle la foudre, d’autres questionnements s’abattent sur moi. N’ai-je pas trompé Solal à ma manière ? Quand on réfléchit, la fidélité est une notion assez subjective et je ne me rappelle pas en avoir un jour discuter avec mon petit ami. N’ai-je pas laissé une ouverture à Antoine suffisamment large pour qu’il tombe amoureux ? pour qu’il croit en l’existence d’un « nous » ? N’ai-je pas pris le masque de l’amitié pour me voiler la face vis-à-vis de mes réelles intentions ?

Mon cœur s’emballe, mes doutes se mettent à tourbillonner dans mon esprit. Je ne parviens pas à les chasser. Je sais d’avance que je ne pourrais pas me concentrer désormais. Hoela a gagné la bataille.

— Je reviens, je vais me chercher un verre d’eau, tranché-je en mettant les palets dans les mains de ma meilleure amie.

Tata Olé croise les bras sur sa poitrine, apparemment satisfaite de sa technique de déstabilisation, pendant que je retourne vers le barnum. Mais elle n’a pas remporté la guerre. Je me retourne vers elle.

— Ne crois pas que je vais te laisser gagner.



Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Mlle_Evangeline ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0