Iris - VI - b

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15h20


— Il va falloir que tu m’expliques ce qui t’arrive ! s’énerve Solal. Quel est le problème ?

Je suis en train d’assister à une conversation à laquelle je ne devrais pas être présente. Je décide donc, dans le respect de mon couple préféré, de rester bien cachée.

— Mais il n’y a pas de problème, rétorque Andréa.

Ma sœur est sortie de table quelques minutes auparavant afin de refaire le plein en boisson dans notre arrière-cuisine. Solal l’a suivi peu de temps après. Pour ma part, je me suis portée volontaire pour ramener de la sauce barbecue à la table d’à côté.

— Arrête de me prendre pour un idiot, deux minutes. Je vois bien que quelque chose ne va pas mais tu refuses de me le dire. C’est énervant à la fin.

— Je te dis que tout va bien, répète Andréa.

— Tu es distante. Tu me repousses. Tu me reprends devant tout le monde. À quoi tu joues? C’est parce que je suis parti ? Tu m’en veux encore, c’est ça ?

Dire que je n’ai pas remarqué le comportement de ma sœur aînée serait un mensonge. J’ai mis ça sur le compte du stress de la journée. Elle veut tellement que cette fête soit une réussite.

— Ce n’est pas le moment d’avoir une conversation à cœur ouvert.

Connaissant ma sœur, c’est un demi-aveu. Son ton se veut ferme mais je sens comme un tremblement dans sa voix. Je ne parviens pas à déterminer s’il s’agit d’irritation ou de tristesse.

— Andréa, ça fait une semaine que je suis rentré. Il est temps qu’on en discute.

— Je te répète que ce n’est pas le moment.

La colère semble s’emparer d’Andréa. Mais Solal fait mine de ne pas comprendre. Il semble bien décidé à la pousser dans ses retranchements.

— Tu ne m’aimes plus ? ou moins qu’avant ? Le fait que je sois rentré ne t’a pas fait l’effet que tu espérais ?

Cette fois, c’est la voix du jeune homme qui est secouée par un léger trémolo. Il me donne l’impression de ne plus savoir quoi dire pour lui tirer les vers du nez. Ça me brise le cœur de les entendre se disputer. Je me sens un peu comme une enfant écoutant ses parents se quereller et en ayant peur qu’ils se séparent.

Andréa et Solal forment un couple que j’ai toujours vu comme invincible. Ce genre de duos que l’on voit bien se marier dans quelques années et fonder une famille. Ce genre de personnes à qui on a envie de coller « ils se rencontrèrent, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. » dans le dos. Ce genre de couple qui te donne le bourdon en tant que célibataire.

Ils se sont rencontrés dès le début de leurs études supérieures. Tandis que leurs amis flirtaient, tombaient amoureux à tour de rôle et recommençaient, ma sœur et son amoureux construisaient leur histoire. Un jour après l’autre, puis un mois après l’autre, et enfin un an après l’autre. Je me rappelle une conversation que j’avais eu avec Andréa, il y a quelques temps déjà. Elle était en colère parce qu’on avait osé lui demander si elle ne « passait pas à côté de quelque chose » en restant fidèle au même garçon depuis plusieurs années. Elle était alors partie dans des envolées lyriques, se demandant ce que pouvait bien être « ce quelque chose ». Le sexe ? Coucher avec des inconnus ne l’avait jamais vraiment intéressé car elle avait besoin d’éprouver un minimum de confiance avant de se dénuder devant quelqu’un. La fête et l’alcool ? Les amis ? Être en couple ne l’empêchait pas de sortir et de faire la fête avec ses amis. Alors que pouvait bien être ce « quelque chose » ?

Puis un jour, Solal a eu besoin de prendre le large et Andy ne l’a pas bien vécu. Une désagréable impression d’abandon ne l’avait pas quitté durant les douze derniers mois. Sa remise en question sur le plan professionnel n’a pas arrangé les choses. On a été présent pour elle. Mais ce n’était pas la même chose. Il manquait toujours quelqu’un d’essentiel à sa vie. C’était comme si Solal lui était indispensable alors qu’il pouvait très bien se passer d’elle. Et ça, cette simple idée, était insupportable pour Andréa.

Est-ce que leur histoire est en train de voler en éclats et qu’ils sont en train de s’en rendre compte ? La distance a-t-elle creusé un fossé trop grand au lieu de les rapprocher ?

— Arrête de dire n’importe quoi !

Sans m’en apercevoir, je me suis appuyée sur la porte menant au sous-sol pour me rapprocher. J’ai voulu mieux entendre la conversation. C’est raté car je suis désormais dans le champ de vision d’Andréa. Cette dernière s’est tellement figée que Solal s’est retourné pour voir ce qu’il se passait derrière son épaule.

— Désolée, je dois ramener de la sauce barbecue, expliqué-je avec une voix la plus innocente possible.

— On discutera plus tard, conclut Andréa.

Elle place dans les mains de son petit ami les bouteilles qu’elle était censée apporter. Solal hoche la tête. Pendant quelques secondes, il a l’air triste. Mais il finit par se redresser et passe devant moi sans un regard. Je ne suis pas vexée. Je pense qu’il s’agit plus de fierté qu’autre chose.

— Depuis quand tu écoutes aux portes ? m’interroge mon aînée.

Elle a les bras croisés sur sa poitrine. Ça va être ma fête. Dans tous les sens du terme. J’évite de répondre. Elle ne veut pas réellement savoir.

— Est-ce que ça va aller ?

Andréa souffle un « oui » que j’entends à peine.

— Tu sais que tu peux tout me dire, continué-je.

C’est drôle car sur le moment, j’ai l’impression que les rôles sont inversés. Je sens ma sœur fragile. J’ai envie de la protéger. Cette dernière pousse un soupir. Elle prend une nouvelle bouteille et me tend un tube de condiment. Puis elle quitte l’arrière-cuisine. Son silence m’incite à la suivre. Nous traversons le couloir. Une fois dans l’entrée, elle soulève le chapeau de la soupière en porcelaine de Maman. Elle en extirpe son téléphone qu’elle me donne. Je le déverrouille avec mon empreinte digitale.

— Regarde le dernier message que j’ai reçu d’Antoine.

Je m’exécute. Un long texte me saute aux yeux. Je le parcoure rapidement. Pas besoin d’une lecture approfondie pour comprendre de quoi il retourne.

— C’est pas vrai, fais-je pour toute réponse.

Je relis une deuxième fois la déclaration d’amour reçue par ma sœur.

— Faut que tu lui répondes que tu es avec Solal, que tu l’aimes lui. Enfin Solal ! Pas Antoine !

Quelques secondes se passent avant qu’Andréa me réponde.

— Je vais le faire. Enfin je ne sais pas.

— Comment ça tu ne sais pas ? Bien sûr que si tu sais ! m’écrié-je avec la folle envie de secouer mon interlocutrice pour lui remettre les idées en place.

— Ce que je veux dire, c’est que ça m’a fait bizarre de recevoir ce message. Ça a déclenché quelque chose chez moi. Ça m’a touché.

Je réfléchis quelques instants avant de répliquer.

— Quand je vais à l’animalerie, tous les petits chiots me font craquer pourtant je ne les adopte pas ! Je reste fidèle à Liloo et Pluton !

— C’est quoi cette métaphore toute pourrie ?

Il faut croire que je ne suis pas très douée pour jouer la voix de la raison. Je n’ai jamais été la littéraire de cette famille, de toute façon. Ça m’apprendra à vouloir essayer.

— Ce n’est pas parce que quelqu’un est amoureux de toi que tu dois remettre ta relation avec Solal en cause. Dans ce genre de situation, tu ne peux pas contenter tout le monde. À part si tu es polyandre. D’ailleurs est-ce qu’il est au courant ? tenté-je de raisonner ma sœur ainée.

— Solal ? Non, je ne lui ai pas dit. On verra ça demain.

À en juger par le froncement des sourcils d’Andréa, je comprends qu’elle n’est pas ravie de la tournure que prend cette conversation. Qu’importe ! Moi, Antoine je ne l’aime pas, je ne le connais pas. Je serai pour toujours « Team Solal ».

— Mais enfin And…

Soudain Maman surgit par la porte d’entrée laissée ouverte.

— C’est ici que vous vous êtes cachées mes filles ? Je pensais que vous aviez été kidnappé par des extraterrestres. Tout le monde se demande où vous êtes.

La fin de notre conversation devra attendre car Maman nous pousse gentiment vers la sortie.



15h32

J’ai l’interdiction formelle de me rendre dans l’arrière-cuisine pour aider ma mère et Andréa. Je me demande bien pourquoi. C’est mon anniversaire. Nous sommes en fin de repas. Je ne vois absolument pas ce qui pourrait bien se passer. Le suspens est à son comble. Je suis donc assise au bout d’une table. Tous les regards sont posés sur moi. José fait les réglages de son appareil photo dernier cri. Pendant ce temps, Marley essaye de trouver le bouton sur lequel elle doit appuyer pour déclencher celui de ma sœur. Je suis vraiment la star du jour.

— Souris ma puce ! s’écrie ma marraine à l’autre bout du barnum.

Je préfère lui tirer la langue avant de reprendre mon air d’enfant sage pour le reste de la famille. Pourtant je sais que je ne vais tromper personne. Il n’empêche qu’avoir plus d’une trentaine de paires d’yeux en train de me fixer, c’est assez intimidant. Fabien y va de ses petites blagues pas drôles pour détendre l’atmosphère.

— Tu attends le prince charmant ? T’inquiète, il y a pas mal de prétendants aujourd’hui.

Elodie semble adorer l’humour de ce dernier. Elle rit à chacune de ses interventions en projetant sa tête en arrière. Puis elle ramène sa chevelure châtain clair sur son épaule. On pourrait croire qu’ils sont en train de flirter.

Je n’ai pas le temps d’aller plus loin dans mes observations car j’entends Andréa pousser la chansonnette. Mais si elle continue comme ça, il risque de pleuvoir. Dans son extrême sens de l’amitié, Marley chante avec elle. Heureusement pour la météo, la meilleure amie de ma sœur a un talent tout particulier pour le karaoké.

Andréa arrive enfin dans mon champ de vision, précédée par notre mère. Cette dernière avance lentement. Elle a toute la pression du monde sur les épaules. Elle détient entre ses mains le précieux et si attendu gâteau d’anniversaire. Le point final de ce long et délicieux repas. Le dessert que tout le monde attend avec impatience. Il est littéralement recouvert de bougies allumées bien que je n’aie que dix-huit.

Au bout de quelques secondes, le duo est rejoint vocalement par l’ensemble des convives.

— Joyeux anniversaire ! Joyeux anniversaire ! Joyeux anniversaire Iriiiiiiis !!

Maman dépose le gâteau face à moi. Comme le veut la tradition, je dois faire un vœu avant de souffler mes bougies. Si on était dans un film, tout se passerait au ralenti et on n’entendrait plus la bruyante assemblée entrain de s’applaudir pour avoir chanter tous en chœur. À cet instant, je prends quelques secondes pour balayer du regard mes proches ayant fait le déplacement. Je comprends alors que je suis chanceuse. Tous sont venus, certains de loin, pour célébrer le jour de ma naissance. Une bouffée d’amour m’envahit pour chacun d’entre eux.

— Dépêche-toi ! La cire va finir par couler sur le gâteau ! me presse ma sœur.

Je ferme les yeux et formule silencieusement mon vœu. Mes joues se gonflent, semblables à celles d’un hamster. Je pense très fort à mon souhait pendant que j’expulse ensuite l’air le plus fort possible pour éteindre un maximum de chandelles. Je parviens à souffler sur toutes les bougies. Toute ma famille m’applaudit pour cet exploit hors du commun. Je suis sûre qu’ils n’ont jamais vu une chose pareille, de toute leur vie. Je tape dans mes mains, à mon tour, un grand sourire sur les lèvres.

— Bravo, moi !

Mon enthousiasme est malheureusement de courte durée. Ma mâchoire se décroche légèrement en constatant que quelques bougies se rallument. J’entends ma sœur pouffer de rire. La main gauche devant la bouche, elle tente de passer inaperçu.

— Andréa !

Son rire redouble. Elle est fière de sa blague, en plus. Quelques rires fusent parmi les invités. Je dois m’y reprendre à plusieurs fois pour éteindre définitivement les dernières chandelles farceuses. Andréa et Maman m’aident ensuite à toutes les enlever du dessert sans faire couler de cire. Je ne peux m’empêcher d’avoir peur qu’elle se rallume entre mes doigts. Je découvre avec plaisir toutes les petites décorations en chocolat ornant le clou du repas. Les morceaux de nougatine me donnent encore plus l’eau à la bouche. Je sais que je vais devoir batailler avec Andréa pour en avoir. Peut-être qu’aujourd’hui, je pourrai la prendre par les sentiments pour qu’elle me laisse sa part.

S’en suit ensuite la découpe du gâteau. Je laisse volontiers cette tâche à ma mère. Je m’occupe donc du service avec Andréa.

À peine l’assiette sous les yeux, Tonton Yvan pose une question.

— C’est quoi ?

Je reste quelques secondes sans réponse tellement ça me semble évident. Un peu comme quand tu es allé chez le coiffeur et qu’on te demande : « tu es allé chez le coiffeur ? ».

— Un gâteau au chocolat.

— Aux trois chocolats, me corrige Andréa en passant derrière moi.

Notre oncle fait tomber sa part sur le côté. Il se penche sur cette dernière. Seulement quelques centimètres les séparent désormais. Avec le bout de la cuillère, il appuie dessus.

— C’est de la mousse ?

N’étant pas la pâtissière, je n’en ai aucune idée. Et je m’en fiche tant que c’est bon. J’hausse les épaules.

— J’imagine que oui.

— Ah ! De toute façon, en ce moment, on ne fait que des mousses. C’est la grande mode ! De mon temps, quand je travaillais…

Je ne tiens pas spécialement à connaître à quel point le bon vieux temps était meilleur que notre époque. Je profite du début du monologue de Tonton Yvan pour retourner aider ma sœur.


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