Iris - VI - a

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14h47


Le repas semble bien se passer. Les ventres se remplissent doucement pour certains, plus goulument pour d’autres. Mes parents ont enfin pu s’asseoir et commencer à manger. Andréa, s’étant investie de l’importante mission d’immortaliser la journée, a son appareil photo entre les mains. Elle dérange les membres de notre famille et les invite gentiment à sourire. Mais on sait tous et toutes qu’elle ne leur laisse pas vraiment le choix. J’imagine le plaisir que je vais ressentir en découvrant les clichés sur lesquels les convives auront, au choix, un bout de ciboulette entre les dents ou de la sauce sur le menton. Il n’y a pas à dire ma sœur est une vraie artiste.

Je remarque alors que Rudy me fixe. Je ne lui ai pas parlé depuis son arrivée et il semblerait que le destin ait décidé de me punir pour m’être mal conduite avec lui quelques années plus tôt. Foutu karma. J’ai beau chercher un sujet de conversation, rien ne me vient. Si ce n’est des banalités sur le baccalauréat et le choix de ces études supérieures. Ça se tente.

— Tu vas où, du coup, à la rentrée prochaine ?

— En langues étrangères appliquées anglais-espagnol.

J’hoche de la tête, l’air intéressée. Pourtant mon niveau d’anglais est affreux. J’attends patiemment qu’il me retourne la question mais aucun mot ne franchit ses lèvres. Il est trop occupé à mastiquer un morceau de cochon. Je le comprends. Ce que nous a préparé Papa est délicieux.

— Ah good, hasardé-je dans un accent à en faire saigner les oreilles des anglosaxons.

Nouveau silence. Si je voulais l’impressionner, c’est raté. Heureusement, ce n’était pas le cas. Il semblerait que je ne sois pas aussi douée qu’Andréa pour faire la discussion. J’aurai essayé au moins.

— Tu joues toujours au même poste ? demande Eliott à mon coéquipier de palet breton.

Je me souviens alors que Rudy jouait au football au collège. Comme beaucoup de garçons, si on y réfléchit. Ce dernier secoue la tête de gauche à droite.

— Non, j’ai commencé la boxe en arrivant au lycée.

— Ah oui ? J’aimerai bien essayer, répond Solal.

J’aurai dû le deviner. Le sport : sujet de conversation extrêmement efficace. Malheureusement je suis aussi sportive que mon canapé. Je fais partie de ce genre de personnes qui le 1er janvier de chaque année prenne de bonnes résolutions, qui les tiennent trois jours avant de retourner manger des chips, ou du chocolat selon les envies, dans leur sofa en regardant Netflix. J’intensifie mes efforts quand l’été approche. Une séance de sport suffit à me faire voir, dans le miroir, mon corps se tonifier. On peut dire que j’ai un métabolisme hors norme. Ou une imagination débordante.

C’est au tour de notre table d’être sous les feux des projecteurs. Andréa nous rejoint et commence à se positionner comme la professionnelle de la photo, qu’elle n’est pas.

— Hors de question que tu fasses de la boxe, s’adresse-t-elle à son petit ami.

Elle a dû entendre la conversation des garçons en se rapprochant. Elle se concentre sur sa tâche. Chacun de nous feint un sourire afin que cet événement ne dure pas trop longtemps.

— Et pourquoi ? arrive à articuler dans son sourire forcé l’intéressé.

J’ose un regard de biais afin de lui signifier qu’il vaudrait mieux arrêter la conversation. Maintenant. Jouer la moralisatrice de sa moitié devant un public, ce n’est jamais une bonne idée. Jamais. Je le sais et je n’ai même pas d’amoureux. C’est dire à quel point, c’est évident. Apparemment elle n’a pas intercepté mon œillade.

— Je ne veux pas que tu prennes un mauvais coup, rétorque ma sœur en s’asseyant à côté de son petit ami.

— Je fais du rugby, je te rappelle.

Je tente un nouveau signal vers ma sœur. Je me mets à cligner des deux yeux très fort. Du moins, assez fort, pour que je distingue des tâches multicolores à chaque fois que je les ferme. Sans oublier que si quelqu’un me voit, je vais avoir l’air bien ridicule. Je pourrai toujours dire que c’est le rosé dans mon verre qui me monte un peu à la tête. Au pire, c’est mon anniversaire, je ne suis peut-être pas obligée de me justifier. J’ai le droit d’être bizarre. Au moins aujourd’hui. Je continue quelques fois mais ma sœur ne regarde pas dans ma direction.

— Tu sais très bien ce que j’en pense. Je ne vois pas l’intérêt de taper sur des gens sans raison. Avec non plus, d’ailleurs. Il ne devrait pas exister d’excuses à la violence, même si elle est sportive.

Je me mets à fermer les yeux encore une fois. De manière encore plus appuyé, si tant est que cela est humainement possible. Je perds presque l’équilibre de ma vision à chaque fois qu’elle rencontre de nouveau la lumière du jour. À côté de moi, Solal est tellement concentré sur sa discussion avec Andréa qu’il ne remarque pas mon manège.

— Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu as mal aux yeux, Iris ? me demande Rudy.

Zut, je suis repérée. Je me remets correctement, face à mon assiette et à mon coéquipier de palet breton. J’aurai essayé. Mon beau-frère se met à contempler son assiette. Il joue avec sa fourchette et fait tournoyer un morceau de pomme de terre dans du ketchup.

— Tu ne connais rien au sport, Andy ! Tu ne peux pas comprendre ! plaisante Eliott pour détendre l’atmosphère.

— Ça doit être ça, répond simplement Solal à la place de sa copine.

Un silence embarrassé s’installe à notre table. Personne n’ose parler. Mais le répit est de courte durée car on entend Tata Olé s’énerver à l’autre bout du barnum.

— Je n’aime pas l’eau. Ce n’est pas assez fort !

Éméchée, ma tante renverse le verre que vient de lui servir l’une de ses sœurs avant d’éclater de rire.

— Passe-moi le vin plutôt, tu veux.

La connaissant ce n’est pas vraiment étonnant. Elle a toujours été la plus insolente et provocatrice des quatre sœurs. Également celle qui fait le plus d’histoires. Surtout depuis les drames et autres obstacles qui ont traversé sa vie. Alors tout le monde laisse plus ou moins faire. Elle est témoin d’une indulgence sans faille de sa fratrie. Mon père répond souvent qu’elle est ainsi, qu’il faut faire avec. Lors des repas de famille, Tata Zizi et Tata Izabel essayent de rattraper ses bêtises ou de calmer ses humeurs. Sans grand résultat dans la plupart des cas. Elle me fait penser à une enfant qu’on doit surveiller. Quant à leur aînée, Tata Ann, elle a fini par choisir l’ignorance. Ou la technique de l’autruche. Je ne sais pas vraiment. Lorsque l’alcool commence à monter dans le sang d’Hoela, sa grande sœur fait toujours en sorte de se trouver le plus loin possible d’elle. Elle sélectionne la place à la plus éloignée de sa sœur. Peut-être pour ne pas à s’occuper d’elle et de ses caprices.

— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, Hoela. Il fait chaud, tu risques de te déshydrater, tente de la raisonner Tata Zizi en s’emparant d’une bouteille plastique.

— Je te préviens si tu remplis mon verre d’eau, je te le jette à la figure. Ça va te rafraîchir !

Le visage de la marraine d’Andréa se ferme. Elle préfère ne pas insister. Je n’arrive pas à savoir si Aziliz sait que le combat ne mérite pas d’être mené ou si elle préfère fuir face au conflit. Sans doute un peu des deux.

— Ma Doue ! C’est moi qui vais te rafraîchir les idées, gronde Mammig en arrivant derrière la fouteuse de trouble. Ne parle pas comme ça à ta sœur !

— Ce n’est rien, Maman. Ce n’est pas grave.

Ma grand-mère semble tout de même contrariée de devoir reprendre une de ses filles, adulte depuis bien longtemps. Elle a un poing posé sur sa hanche. Quant à sa main droite, elle l’a placé sur le dossier de la chaise qu’occupe Tata Olé. Cette dernière n’a jamais aussi bien porté son surnom qu’en ce moment.

— Arrête de te donner en spectacle, tu veux ? Et bois ce verre ! Sinon, je te le mets de force dans le gosier.

Au moins, on ne pourra pas reprocher à Mammig de passer par quatre chemins.





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