Andréa - VI - b

5 minutes de lecture

14h22

Nos parents se sont isolés en cuisine pour s’occuper du repas. Iris et moi nous chargeons donc de la loterie des équipes. Je tends le marqueur à mon petit ami. Son regard va de moi au stylo feutre sans qu’il ne semble comprendre.

— C’est pour écrire sur le panneau, expliqué-je en désignant le carton décoré par nos soins avec ma sœur.

— Mais quand j’écris, on dirait un enfant de CP, se lamente-t-il.

— Dans ce cas, applique-toi.

Je l’embrasse sur la joue comme signe d’encouragement avant de me poster à côté de ma sœur et de notre urne plus qu’improvisée.

Quelques commentaires fusent dans l’assemblée. Certains proposent de truquer le tirage pour ne pas être avec une personne alors que d’autres voudraient bien faire équipe avec les joueurs les plus aguerris au palet breton. Iris propose de nous corrompre. Etrangement plus personne ne veut tricher. La reine du jour pioche un premier papier, puis c’est mon tour. Nous énonçons ensuite l’une après l’autre les heureux sélectionnés par le destin ou par la fatalité. Tout dépend du point de vue.

— Magda et Lou.

La mère et la fille ont l’air ravi de jouer ensemble tandis que l’ainée boude un peu d’être à l’écart. Mais finalement faire équipe avec Clara lui convient tout de même.

— Maman et Tonton Youn, annoncé-je.

— Elle est où ma petite belle-sœur ? s’inquiète mon oncle, apparemment ravi.

— Solal et…

Iris hésite, elle fronce légèrement les sourcils sans que je comprenne pourquoi. Je me penche sur son épaule, pensant qu’elle n’arrive pas à décrypter une calligraphie.

— Solal et Emma.

Le concerné lève le bras pour signaler qui il est. Emma fait de même. Je déplie un nouveau prénom et forme donc le duo Papa-Mamie. Iris sourit car notre grand-mère maternelle n’aime pas vraiment les jeux de société tandis que notre père joue pour gagner même s’il n’y a pas d’enjeu. Leur duo risque de former des étincelles. Puis c’est au tour d’Eliott et João, l’un des jumeaux brésiliens, d’être appelés. Iris et moi nous nous amusons à grimacer ou imiter des roulements de tambour pour certains couples afin de maintenir un peu de suspens. Tata Ann se retrouve à jouer avec José, son cousin. J’éclate de rire en découvrant que le hasard a réuni Fred et Fabien, les deux pitres de la famille.

— Nino et Tata Olé.

— Ah chouette, un petit jeune ! s’exclame ma tante ayant déjà un coup dans le nez.

Mon regard se pose sur le jeune homme qui ne semble pas partager l’enthousiasme de sa coéquipière.

— Marley, j’ai le malheur de t’annoncer que tu joueras avec ma sœur, s’excuse Iris.

Ma bouche s’arrondit, outrée par la raillerie d’Iris. Ma meilleure amie, quant à elle, lève les deux pouces et dirige ses index dans ma direction avant d’ajouter un clin d’œil. Je saisis un nouveau morceau de papier et y découvre l’identité de ma moqueuse sœur. Je garde l’information secrète et attends qu’elle lise le prénom sur le sien.

— Rudy.

—Rira bien qui rira la dernière, chuchoté-je en me tournant un peu vers elle avant de prononcer à haute voix, Iris.

La concernée ne répond pas et semble aussi gênée que son, désormais, partenaire de jeu. Je me retiens d’éclater de rire.

— C’est qui Rudy ? questionne notre cousine Elodie en se redressant sur sa chaise.

Le jeune homme en question lève la main sans rien dire afin de signaler sa position. Je suis rassurée de constater qu’il a rejoint Eliott et Nino. Après tout, il est allé au collège avec le premier.

Une fois que ma cousine l’a repéré, une lueur malicieuse s’allume dans ce regard. Dans la famille, on connait par cœur ce genre d’éclat dans les yeux d’Elo. Je suis d’ailleurs surprise qu’elle ne se soit pas manifestée plus tôt, la discrétion n’est pas forcément son fort.

— Et bah dis donc, ça se met bien la couz’ ! Vous êtes sûres qu’il n’y a pas de triche ?

Elle ponctue sa phrase par son rire tonitruant, reconnaissable entre tous et très communicatif. Le but n’étant pas de mettre les invités mal à l’aise, je me dépêche d’annoncer le couple souvent, afin de faire diversion : Roger et Céline, la nouvelle épouse de mon cousin Laurent. Puis c’est au tour de Tata Zizi et d’Yvan de se retrouver liés par le destin. Une moue s’esquisse sur mes lèvres en repensant à la manière dont ma marraine a répondu à mon oncle, toute à l’heure. Mais ce dernier ne semble pas lui en tenir rigueur.

— Tu es prête à faire partie d’une équipe de gagnants, ma cocotte ?

Mon regard croise celui de ma tante, il semble dire qu’elle n’est surtout pas prête à être « sa cocotte ».

— Mammig et Tayana.

Ma grand-mère en perd presque sa coiffe bretonne tellement elle est contente de jouer avec une native du Brésil. Sa coéquipière le lui rend bien.

— Comment disent les jeunes déjà ? On va tout niquer ! s’exclame Mammig, soudain très passionnée.

Non loin de là, Mamie lève les yeux au ciel exaspérée par la vulgarité sans doute involontaire de sa rivale.

Niquer ? demande la femme de mon parrain avec son accent gorgé de soleil, c’est quoi « niquer » ?

Elle se tourne vers son mari qui cherche une explication polie à lui fournir. Quelques phrases sont prononcées en portugais. À en juger par son rire et la consternation de leur fille, Maria, Tayana vient d’ajouter un nouveau mot à son vocabulaire français.

Le tirage au sort n’est pas encore terminé et les invités commencent à s’impatienter. Le timing est parfait car Papa et Maman arrivent avec les plats de pommes de terre et de viande, qu’ils disposent aux extrémités de chaque table.

— Nos derniers couples sont donc : Elodie et Tata Izabel, commence Iris.

— Et Laurent et Nelly.

À peine le dernier prénom prononcé, les convives se concentrent sur le service du repas et se passent sauces, bouteilles d’eau ou de rosé, patates au four et cochon grillé. Je me retourne vers Solal, appuyé sur un genou, inscrivant les derniers duos sur le panneau. Ce dernier restera affiché pour qu’à la fin de chaque match, les gagnants puissent inscrire leur nom sur la ligne du dessous. Mon amoureux n’avait pas tort quand il disait avoir une calligraphie d’enfant. Comme on arrive à le lire sans trop de difficultés, je ne fais aucun commentaire.

En relisant les noms composant désormais les différentes équipes, une citation me revient à l’esprit. Paul Eluard a, un jour, écrit qu’« il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous ». J’aime penser que la vie est pavée de coïncidences chanceuses, que tourner à gauche nous ouvre un champ des possibles totalement différent de celui de la voie de droite. J’espère qu’il en sera de même ici et que ces rencontres ou retrouvailles seront heureuses. Et elles le seront, à n’en pas douter. Enfin pour la plupart d’entre nous.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Mlle_Evangeline ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0