Andréa - VI - a

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14h07

Je fais tournoyer mon verre pour remuer le fond de punch qu’il contient. Mon père n’a pas été de main morte sur le rhum. L’alcool a commencé à me monter aux joues bien que ce ne soit que mon deuxième verre. La chaleur et mon estomac vide doivent y être pour quelque chose. Je me lève pour me servir un verre d’eau. Ce n’est pas le moment d’être ivre devant la famille.

— Ah tiens Andréa ! On n’a pas encore eu le temps de discuter, m’interpelle mon oncle Yvan.

Je prends une profonde inspiration et me tourne vers lui. Tata Izabel est à ses côtés et tient un verre de jus de pomme. Ils me sourient tous les deux, visiblement contents d’échanger avec moi. Le verre d’eau va devoir attendre.

— Alors les études comment ça se passe ? Tu veux toujours travailler auprès des détenus ?

Je dois reconnaître que sur tous mes oncles et tantes, ce couple s’inquiète toujours de savoir comment se déroule ma formation universitaire et quel est mon projet professionnel. Nos discussions tournent toujours autour de ces sujets. Mon avenir semble vraiment les préoccuper. Je ne sais pas si je dois trouver cela touchant ou gênant.

Je déglutis pour gagner un peu de temps. Mon cerveau se met en marche car il faut que je trouve une réponse convaincante, suffisamment claire pour qu’elle n’appelle pas d’autres questions. Malheureusement, seule la vérité me vient et elle est loin d’être limpide, même pour moi.

— Non plus vraiment. Enfin je ne sais pas.

— Comment ça tu ne sais pas ? Après cinq ans de droit ? rebondit mon oncle.

— Tu ne voulais pas être commissaire-priseur ? me demande ma tante.

Tonton Yvan secoue la tête.

— Non mais procureur, je crois que tu as voulu être procureur. C’est bien ça : procureur.

Mes craintes sont entrain de se réaliser. Tonton Youn rejoint notre petit groupe. Son beau-frère lui explique donc ce qu’il a raté, c’est-à-dire pas grand-chose.

— Je l’ai toujours dit, commence le nouveau venu, il faut faire un métier pour lequel on est content de se lever le matin. Sinon ça ne sert à rien !

— Oui enfin il faudrait déjà commencer par savoir ce qu’on veut faire, contre-carre Tonton Yvan.

Que puis-je répondre à cela ? La seule ébauche de projet réside en mon souhait de devenir un jour écrivain. Mais je les entends déjà les commentaires désobligeants sur le fait qu’être autrice, ce n’est pas un métier, qu’il faut bien que je gagne ma vie pour manger et payer les factures. Et même si ces remarques désagréables ne franchissement pas les lèvres de mon oncle, elles se répètent déjà en boucle dans mon esprit. Je n’aurai le courage de formuler ce vœu à voix haute. J’aimerai juste me transformer en une petite souris et me cacher dans le premier trou que je rencontre. Je sens un bras qui entoure mes hanches. Les lèvres de Solal se posent sur ma tempe droite. J’essaye de reprendre un peu de contenance.

— Tu ne vas quand même pas rester étudiante toute ta vie, à vivre aux crochets de Papa et Maman ! me coupe mon oncle. Tu devrais être consciente de la chance que tu as d’avoir des parents qui te payent tout ce qu’ils te payent, sans rien te demander en retour. Si c’était un de mes enfants, je…

— Pour cause, tes enfants n’ont jamais voulu faire d’études, l’interrompt Tata Zizi.

Je ne l’avais pas vu arriver. Je suis assez surprise de son intervention, elle qui cherche toujours à être en retrait. J’apprécie son aide mais c’est trop tard, le mal est déjà fait. Des larmes perlent à mes yeux alors je baisse légèrement le regard pour que cela ne se remarque pas.

Plusieurs secondes s’écoulent sans que personne n’ose rompre le silence. Le malaise ambiant est palpable. Dans mon champ de vision, j’aperçois ma mère avec un plateau de petits fours vide. J’y vois mon échappatoire, je l’attrape tout de suite par le bras.

— Laisse, Maman. Je m’en occupe.

Sans qu’elle n’ait le temps de répondre, je m’empare du plat et active le pas pour me rendre en cuisine. Posant ma main sur mon ventre, je prends une grande inspiration et expire ensuite lentement. Je réitère l’exercice afin d’empêcher d’autres larmes de dévaler mes joues. Le fait de sentir ma poitrine monter et descendre à un rythme régulier me calme. Je ne dois pas craquer, pas maintenant du moins. Je m’affaire à sortir les amuses-bouches du four, ensuite je les dispose sur le plateau subtilisé à ma mère en compagnie de parts de mini-cakes au thon. Le tout fait maison, bien entendu.

— Andréa ? Est-ce que tout va bien ?

Je me retourne et découvre Solal dans l’encadrement de la porte. Il fait un pas vers moi mais je tends ma main pour l’arrêter. S’il me prend dans les bras, je risque de m’effondrer et une fois mes vannes ouvertes, difficile de les refermer.

— Je suis désolé pour ce qu’a dit ton oncle, j’aurai dû t’aider, continue-t-il face à mon rejet.

Je tente un sourire pour le rassurer.

— Ne t’en fais pas. Je peux me défendre toute seule. Ce n’était pas à toi de répondre. De toute manière, mieux vaut que tu fasses profil bas auprès de ma famille.

— Comment ça ?

Son visage s’est assombri et il fronce désormais les sourcils, surpris par ma dernière phrase.

— Ton départ en Australie, l’année qui vient de s’écouler, tout ça… réponds-je en haussant les épaules

— Oh, je vois…

Je crains d’avoir blessé mon petit ami, sans le vouloir. Mal à l’aise, je laisse le silence s’installer. Même lorsqu’il était à l’autre bout du monde, je n’avais pas l’impression que nous étions aussi éloignés qu’à cet instant.

— Je suis venu te chercher parce que tes parents t’attendent pour le tirage au sort des équipes.

Le concours de palet breton m’avait complètement sorti de la tête. C’était une idée de Papa pour faire l’animation de la journée. Le jeu est assez similaire à selon de la pétanque : il faut lancer des palets, par définition plats, le plus près possible du maître, le cousin du cochonnet, sur une planche en bois. Nous avons décidé de faire s’affronter nos convives par équipe de deux. Quelques jours plus tôt, avec ma sœur, nous avions fait de beaux panneaux afin d’inscrire le nom des duos gagnants au fur et à mesure des matchs. Les perdants du premier tour auront une seconde chance en concourant pour « les consolantes ». Et bien entendu, l’équipe gagnante de chaque sélection aura droit à un prix.

En sortant précipitamment de la cuisine, je percute de plein fouet une personne venant à ma rencontre.

— Alors Andy, c’est comme ça que tu accueilles tes invités ? Et dire que j’ai réussi à me débrouiller pour finir plus tôt le travail, pour toi, se moque Marley, ma meilleure amie.

Elle m’aide à replacer sur le plat les petits fours victimes de notre collision, avant de pointer du pouce un jeune homme derrière elle.

— J’ai croisé ce monsieur en route, il semblait un peu perdu.

Je m’accorde un regard sur ce dernier. Je suis physionomiste mais je dois avouer que cette personne m’est clairement inconnue. Sa chemise blanche est rentrée dans un pantalon de ville de la même couleur que ses yeux, c’est-à-dire bleu. Quant à sa ceinture, elle est assortie à ses chaussures bateau. Il tient fermement un bouquet de fleurs dans ses mains et n’a pas l’air dans son élément. Il a tout du garçon de bonne famille.

— Je m’appelle Rudy, j’étais à l’école avec Iris. J’ai croisé votre mère en faisant les courses l’autre jour, elle m’a proposé de passer.

Je comprends de moins en moins ce qui se passe dans cette maison. Soudain une ampoule semble s’allumer au-dessus de ma tête.

— Rudy… Rudy Sénéchal ?

L’invité surprise hoche la tête afin de me confirmer son identité. Il a changé depuis que je l’ai vu la dernière fois, recouvert de boutons d’acné disgracieux.

— Rudy ! Te voilà ! s’exclame alors ma mère. Viens donc ! On va chercher Iris et puis on va glisser ton nom dans le chapeau pour les équipes du palet breton !

Maman pose son regard sur mon plateau. J’ai du mal à cerner les intentions de ma mère en proposant au jeune homme de venir. J’espère juste qu’elle ne souhaite pas rabibocher les deux anciens tourtereaux, l’air de rien. De plus, j’aurai aimé savoir qu’un convive avait été rajouté à la liste, même si dans le fond cela ne change pas grand-chose à l’organisation. Quand il y en a pour trente-cinq, il y en a pour un de plus. Surtout chez les Le Guen, on se retrouve toujours avec une montagne de restes qui finissent soit congelés, soit engloutis dans les jours suivants par certains hôtes séjournant plus longtemps que prévu.

—Andréa, les amuses-bouches vont refroidir.

Elle finit par s’éclipser aussi vite qu’elle est arrivée, me laissant avec Marley et Solal, dans l’entrée de la maison. Au moment où je compte sortir de la pièce pour rejoindre ma famille apparemment affamée, Iris fait son apparition via la porte menant à l’arrière-cuisine. Elle avance à pas feutrés comme si elle voulait éviter quelqu’un. Lorsqu’elle m’aperçoit, elle me tombe presque dans les bras.

— Tu as vu qui Maman a invité ? Dis-moi que tu n’es pas au courant ! Pitié ! Dis-moi que tu n’es pas derrière tout ça sinon je serai dans l’obligation de te zigouiller !

Je l’informe qu’elle n’aura pas besoin de commettre de meurtre le jour de son anniversaire, du moins pour le moment.

— Il s’agit bien de Rudy ? Celui que tu as plaqué devant tout le collège pour sortir avec Rayane Aydemir ?

— C’est bien lui ! C’était en troisième et je ne l’ai jamais revu depuis.

Les souvenirs de cette histoire d’amour me reviennent alors en mémoire.

— Il était fou amoureux de toi. Sa mère voulait t’étriper non ?

Un frisson parcourt immédiatement l’échine de ma sœur à l’évocation de cet événement. Une rencontre malencontreuse au supermarché avait failli mal se terminer pour ma cadette qui avait dû faire face à une mère poule extrêmement en colère.

— Maman l’aimait bien, il me semble.

— Tu plaisantes ? Elle m’a fait la tête pendant deux semaines !

— Dis donc, ça ne rigole pas chez vous ! s’amuse Marley.

Son rire s’arrête de suite quand elle croise le regard noir de ma sœur.

— Il n’est pas trop mal maintenant, il est plutôt mignon, continué-je.

— Oui, je sais ! C’est la honte ! Qu’est-ce que je vais bien pouvoir lui dire ? s’alarme Iris.

Dans un même mouvement, Solal, ma meilleure amie et moi haussons les épaules.

— Je ne sais pas mais il va falloir que tu trouves. Et vite ! réponds-je en posant un pied dehors.

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