Iris - V - b

4 minutes de lecture

13h12

Le doigt pointé vers les invités, Maman les recense.

— Il manque qui ? demande-t-elle à voix haute en posant son index sur son menton. Brieuc, Mammig est arrivée ?

Un drôle de klaxon se met alors à hurler dans la rue. En même temps, une deux-chevaux verte fend l’air à toute allure.

— Ils vont finir par lui retirer le permis, râle mon père.

— Faudrait qu’ils parviennent à l’attraper, réponds-je en tentant de cacher mon amusement.

Mammig sait toujours soigner ses entrées. Je suis persuadée qu’elle doit s’arranger pour toujours arriver la dernière. Si ma grand-mère paternelle avait vécu sa jeunesse avec les téléphones portables, elle aurait été du genre à dire « j’arrive, je suis dans le bus. » alors qu’elle venait à peine de sortir de la douche. Sacrée Mammig. Si elle n’existait pas, il faudrait l’inventer.

Au bout de quelques minutes, on voit notre aînée remonter notre allée avec une grosse valise à la main. Andréa et moi partons à sa rencontre. Plus je m’approche et moins j’en crois mes yeux. Je savais que ma grand-mère était originale mais pas à ce point-là.

— Aahh mes petites kariadezed !

Je regarde ma sœur qui me lance un regard désespéré. Ça va mal finir cette histoire, je le sens.

— Mais Mammig, tu n’as pas trop chaud ? demandé-je l’embrassant sur la joue.

— Nann , j’ai toujours été frileuse ! Je me suis couverte.

C’est le moins qu’on puisse dire. Avec sa robe noire et son joli tablier de dentelle blanc, elle ne va pas attraper un rhume. Surtout quand on annonce presque trente degrés pour cette après-midi. Mais au cas où, elle a surmonté son chignon bien serré d’une coiffe traditionnelle.

— Mais enfin, pourquoi avoir enfilé ton costume ? On s’habille plus ainsi depuis longtemps sauf pour les événements particuliers.

Andréa saisit le bagage encombrant Mammig. À en juger par la surprise sur les traits de ma sœur, le poids de ce dernier est bien supérieur à ce qu’il devrait être. La valise doit être pleine d’ « au cas où ». Au moins, je sais d’où vient le penchant pour l’anticipation d’Andréa.

— Mais la majorité de ma dernière petite fille est un événement…

— Mammig…

Je croise les bras sur ma poitrine. On ne me la fait pas à moi. Je connais ma grand-mère. J’ai un léger doute sur ses intentions.

— Bon, bon… s’emporte-t-elle gênée d’avoir été démasquée aussi facilement. Il parait que les normands nous envahissent aujourd’hui. Déjà que ces Vikings nous ont pris le mont Saint-Michel…

Je ne la laisse pas finir et me penche vers son oreille pour chuchoter.

— Ne t’en fais pas. Les bretons sont largement en supériorité numérique.

Ravie, le sourire de Mammig s’étire alors jusqu’à ses oreilles.

Nous rejoignons enfin le barnum avec toute notre famille. Chacun y va dans la démonstration d’affection pour notre grand-mère, surtout ses quatre filles, Tata Olé, Tata Ann, Tata Izabel et Taty Zizi. Papa embrasse en dernier sa mère en bon benjamin de la fratrie. Les enfants sont habitués aux fantaisies de leur mère car aucun ne fait de commentaires sur sa tenue vestimentaire. Ce qui n’est malheureusement pas le cas des autres invités. Ils sont fascinés par l’originalité de Mammig.

— Vous êtes magnifique Henriette ! complimente Blaise tandis que sa femme lâche de nombreux « oh » en faisant tourner l’octogénaire sur elle-même.

— Tu as raison de vouloir transmettre ton goût pour la culture de notre région, accorde Nelly en hochant sérieusement la tête.

Cette dernière parade fière comme jamais. J’entends souffler à ma droite. Mamie a l’air blasé par le petit numéro de mon autre grand-mère.

— Bon, c’est quand qu’on trinque ? s’impatiente-t-elle.

Mammig arrive enfin à notre niveau et attrape Mamie par les épaules.

— Josseline ! Ça fait long, dis ! Comment que c’est ?

Ma grand-mère maternelle ne semble pas comprendre la question à en juger par le regard qu’elle m’adresse. Je ris. J’hésite à lui expliquer la véritable signification de cette phrase qui consiste à demander comment va le transit. Je m’abstiens.

— Ah mais ces bretons ! Ils ne peuvent pas parler comme tout le monde, grince cette dernière entre ses dents.

Malgré sa surdité croissante, Mammig a très bien entendu. À croire qu’elle a l’ouïe sélective.

— C’est toujours mieux que de chercher à piquer la culture d’une région voisine.

Mes deux grands-mères ont toujours été comme chat et chien. Je les soupçonne de prendre plaisir à se chamailler pour des enfantillages. Ça part toujours du même sujet : La Bretagne contre la Normandie. Je ne saurais dire qui a gagné la dernière fois.

— Nous n’avons pas besoin de voler quoi que ce soit à quiconque. Notre région est magnifique ! se défend Mamie.

— Tiens c’est marrant que vous vous sentiez concernée aussi facilement, se moque Mammig.

De l’autre côté de la joute verbale, Andréa a le visage qui se décompose. Solal essaye de cacher son amusement. Il a l’habitude depuis le temps. Chacune de nos aïeules essaie d’attirer l’attention de la dernière pièce rapportée en date de la famille, dès qu’elle en a l’occasion.

— Nous avons de magnifiques plages, continue Mamie ignorant son interlocutrice.

— J’suis pas sûre que les Américains en aient des bons souvenirs, pense à haute voix ma grand-mère bretonne.

Mamie ouvre la bouche. Elle est prête à défendre le camembert et le Calvados. Mammig répondra sans doute à coup d’arguments sur le kouign-Amann et le cidre. Une bataille s’annonce au prix de la bonne ambiance de mon anniversaire. Je vois dans les yeux d’Andréa le film se dérouler dans son esprit. Heureusement Maman nous sauve d’une énième guerre des régions.

— Puisque tout le monde est là, on va pouvoir ouvrir les festivités !

Elle lève son verre rempli de punch. Elle est imitée par tous nos invités.

— Aux dix-huit ans d’Iris ! clame Papa.

— Yecʼhed mat !

— Santé !

On entend alors la grosse voix de Fabien résonner.

— Mais pas des pieds!

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Mlle_Evangeline ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0