Iris - V - a

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11h56


La main posée sur le menton, je regarde le sms que j’ai envoyé à Rafael dans la nuit. Je me sens un peu bête. Si je continue de le fixer, il va peut-être disparaître. Mais les rugissements d’Emma me tirent de ma rêverie.

— Non mais arrête ! C’est un fake ! s’écrie Eliott en s’emparant du smartphone de la jeune fille.

Si on était dans un dessin animé, elle aurait de la fumée lui sortant des oreilles et les narines. Elle fulmine. Littéralement.

— Rends-moi ça !

— Non mais attends comment veux-tu matcher avec un gars comme ça ? poursuit mon meilleur ami en riant.

Emma essaye de récupérer son précieux téléphone et se jette sur le voleur. Mais il est trop rapide. Sans la regarder, il l’évite et elle trébuche. Il va finir par la vexer.

— Allez donne-le lui, demande Clara.

— Non mais regarde ce mec ! Un être humain ne peut pas avoir autant d’abdos ! C’est scientifiquement impossible !

Il continue son inspection des photos du bellâtre en glissant son doigt sur l’écran. Nino y va de son commentaire sur la jalousie de son copain.

La pauvre victime retente sa chance. Elle essaye de le prendre en traître sur le côté. C’est un échec. Eliott lève le bras aussi haut qu’il le peut. Malheureusement Emma est bien trop petite. Comme si son ego n’était pas assez touché, elle se met à sauter dans l’espoir d’attraper son bien. Elle va finir par se tordre la cheville avec ses talons compensés.

— Eliott, s’il te plait, grogné-je. T’es lourd !

— J’essaye de lui éviter une déception quand elle aura un rendez-vous avec ce mec et qu’il ne ressemblera pas du tout à ça !

Je fronce légèrement les sourcils. Ça finit par le décourager. Le jeune homme oublie souvent que les blagues les plus courtes sont toujours les meilleures. Il aime que les regards soient portés sur lui. Amuser la galerie est une de ses occupations favorites. Il ne sait juste pas à quel moment il faut s’arrêter.

— Tu es pas marrante Iris, boude-t-il en rendant son dû à Emma.

Cette dernière lui arrache presque des mains et scrute qu’Eliott n’ait pas fait de bêtises irrécupérables auprès de son potentiel prétendant. Elle vient s’asseoir à côté de moi. Mais son attention ne quitte plus son précieux téléphone. Je la vois glisser son doigt sur la droite ou sur la gauche au fur et à mesure que l’écran lui dévoile de nouveaux visages. Elle fait son shopping.

Quelques secondes après, mon meilleur ami se place à ma gauche. Je sens qu’il a la bêtise facile aujourd’hui.

— Et toi ? Qu’est-ce que tu regardais aussi intensément ?

Il se penche vers moi et se met à cligner des yeux de plus en plus vite.

— Le beau Yanis t’a encore éconduit ?

— Non, répondis-je sur la défensive.

Je n’aime pas qu’on aborde ce sujet encore moins en présence d’autres personnes. Je sais très bien ce que tout le monde en pense. Je n’ai pas besoin d’une énième leçon de morale le jour de mon anniversaire.

J’ai rencontré Yanis, il y a environ un an, grâce à une connaissance commune. Je ne parlerai pas de coup de foudre. Mais il m’a plu avec ses origines maghrébines et sa manie de se mordre la lèvre inférieure. Et même s’il ne s’est rien passé entre nous, un jeu de séduction s’est installé. J’ai toujours senti que sous cette apparente nonchalance se cache quelque chose de plus profond. Les autres ne peuvent tout simplement pas le voir. Il fait tout pour qu’on le déteste car il a peur de souffrir. Il ne veut pas s’attacher. Il ne veut pas qu’on l’abandonne. Il me l’a avoué. Andréa dit que c’est son côté bad boy qui m’attire. Heureusement, elle ne sait pas tout. Cependant depuis quelques temps, je commence à être fatiguée de jouer au chat et à la souris.

Malheureusement pour moi, Eliott a l’air aussi obstiné qu’espiègle aujourd’hui. Il ne lâchera pas l’affaire.

— Alors qu’est-ce qu’il a de si intéressant pour que tu restes regarder amoureusement ton téléphone ?

Soudain il s’allonge presque entièrement sur moi pour saisir l’objet en question. À croire qu’il fait une obsession sur les affaires des autres. Par malheur, je suis presque aussi petite qu’Emma. Il attrape sa cible, se laisse rouler dans la pelouse et se met à courir. Vu ses jambes, deux pas auraient suffi à me distancer.

— Eliott ! Lâche ça !

Sans surprise, il ne m’écoute pas. Connaissant mon code puisqu’il s’agit de ma date d’anniversaire, il déverrouille mon écran. Je vois son visage s’assombrir. Il est redevenu sérieux.

— Iris… Dis-moi que tu n’as pas fait ça…

— Eli, tenté-je pour l’amadouer.

Tout d’un coup, Clara envoie valser sa guirlande de pâquerettes. Emma quitte des yeux sa précieuse application de rencontres. Nino se rapproche pour regarder par-dessus l’épaule de son ami.

— C’est qui Rafael ?



12h30

On entend le son de la cloche de l’église un peu plus haut dans le bourg. Midi et demi. Les premiers invités sont déjà là. Regroupés sous le barnum, j’échange des banalités et des mots gentils avec chacun d’entre eux. J’en profite aussi pour les soulager du poids de leurs cadeaux. J’en suis ravie.

Andréa est encore en train de se manger la peau autour des doigts. Je lui fais une tapette sur la main. Le stress sans doute. Je lui donne des paquets pour lui occuper les mains.

— Reste à côté de moi pour me souffler les prénoms. Je risque d’avoir des trous de mémoire.

Pour toute réponse, ma sœur lève les yeux au ciel, exaspérée. Elle s’engouffre dans la maison poser mes cadeaux. À peine elle en sort, qu’une voix familière et enjouée résonne dans l’allée.

— Yo, la famille ? Il y a quelqu’un ?

Je me redresse d’un coup. Mon regard croise celui de ma sœur.

— Freeeeeedddd !! nous écrions-nous en chœur.

Je défie Andréa en essayant de bondir plus rapidement qu’elle de ma chaise. Sans rien nous dire, le concours de celle qui se jettera le plus vite au cou de notre cousin est lancé. Partez ! J’ai l’avantage des baskets confortables. Je devance mon aînée de quelques mètres puis je ne l’aperçois plus dans mon champ de vision. Cependant je repère Fred avec sa belle chemisette à fleurs et son bermuda beige. Il a les traits légèrement tirés. Sans doute à cause des nombreuses heures de route qui sépare le Nord de la France de la Bretagne. Je lui saute littéralement dessus en riant. Il me fait tournoyer dans les airs.

— Joyeux anniversaire ma puce ! Mais quel accueil !

Il finit par me reposer à terre. Puis il se touche le bas du dos en grimaçant légèrement. Je ne sais pas comment je dois le prendre. Je ne formalise pas. Ça doit être à cause de la route et de la quarantaine bien tassée. Enfin je l’espère.

— Je l’ai laissée gagner. Tu t’en doutes bien, rétorque Andréa en nous rejoignant.

Dans un premier temps, nous dirigeons notre cousin vers les autres personnes présentes. Sans grand étonnement, il sympathise tout de suite avec Fabien. Les deux grands enfants qui deviennent copains, ça promet. Puis les politesses sont d’usage. Comment va-t-il ? Est-ce qu’il a fait bon voyage ? Comment va sa fille, Marion ? Et le travail ? J’ai presque envie de dire à Maman qu’à ce rythme-là, on va épuiser tous les sujets de conversation.

— Qu’est-ce qu’on mange ? demande Fred en se frottant les mains.

— Pas de doute, vous faites partie de la même famille, ne peut s’empêcher de dire Solal, hilare.

— Perdu, la question est plutôt : qu’est-ce que tu bois mon neveu ? plaisante ma mère.

Pendant ce temps, un couple vient saluer chaleureusement Tonton Youn et Tata Ann. Impossible de me rappeler leurs noms. Ce sont des cousins germains de Papa. Je lance un regard désespéré à ma sœur. Elle s’élance à ma rescousse. Elle ondule entre les tables et les chaises avec une telle agilité. Je serai bien incapable de faire pareil.

— Roger ! Nelly ! Comment allez-vous ?

Le couple nous claque à chacune une bise bien bruyante. Mon aînée m’a toujours impressionnée par sa facilité à faire la conversation. Elle trouve toujours le mot juste, la question pour relancer la discussion. Même quand ce que raconte son interlocuteur est d’un ennui mortel, elle hoche la tête régulièrement. Souvent ça l’invite à continuer son récit. Malheureusement.

— Mais vous allez avoir froid les filles habillées comme ça ! commente Nelly de sa voix aiguë.

Je laisse ma sœur répondre. J’en profite pour caresser leur caniche car ce dernier me fait la fête. Il doit savoir que c’est mon anniversaire lui aussi. Il est si mignon avec ses poils blancs tous frisés.

— Snoopy ! Ne saute pas ! ordonne sa maîtresse.

Il semblerait que Snoopy n’ait pas envie d’écouter et porte son attention sur ma sœur qui ne semble pas l’avoir remarqué auparavant. Sans doute jalouse, notre chienne Liloo vient saluer le nouveau venu à quatre pattes. Soudain un border collie vient rejoindre le duo canin. Je ne le connais pas celui-ci.

— Regardez qui on a trouvé sur le chemin !

Je remarque alors José et Marie-Pierre. Le frère de Nelly tient une laisse dans sa main droite. À côté d’eux se tient Taty Zizi, la marraine d’Andréa. Elle a l’air mal à l’aise à côté de tout ce monde qui s’embrasse et s’enlace.

Notre tante Aziliz a toujours été d’un tempérament discret. C’est comme si elle faisait tout pour être invisible. Elle recherche en permanence le calme. Mais quand on regarde la place que prennent parfois ses trois sœurs, on comprend qu’elle leur a laissé la sienne.

— Comment vont mes nièces préférées ? chuchote-t-elle en nous prenant brièvement dans les bras.

Célibataire et sans enfant, Taty Zizi a toujours eu beaucoup d’affection pour nous. Elle ne s’en est jamais cachée. Et on le lui rend plutôt bien. Je lui trouve énormément de points communs avec Andréa. Etant libraire, notre tante est capable de parler pendant des heures de ses personnages littéraires préférés. Souvent, elle me perd quand la discussion devient trop technique. Les figures de style, les points de vue, le schéma narratif : ce n’est pas trop ma tasse de thé.

— Bom dia !!

Le sourire d’Andréa s’intensifie. La famille de son parrain est en train de se présenter auprès des autres invités. Je m’éclipse pour aller les saluer. Partout où ils vont, ils semblent emmener le soleil avec eux. Comme d’habitude, Tayana me sert fort contre elle.

— Tudo bem ? demandé-je avec un accent brésilien horrible.

— Tudo bem, rit mon interlocutrice.

Je m’arrête là avec le portugais brésilien. C’est la seule phrase que je connais. Andréa nous a rejoint et enlace les jumeaux du couple, João et Maria, bien qu’ils soient bientôt capables de chatouiller les nuages. Elle a l’air minuscule à côté. Je n’ose imaginer de quoi j’ai l’air avec mes dix centimètres en moins.

La famille Morvan est arrivée en France, il y a environ quatre ans. Les adolescents ont appris à parler parfaitement français en seulement un an. En plus de leur langue natale, ils manient aussi très bien l’anglais puisqu’ils ont vécu quelques temps en Floride. Quant à Tayana, elle a une philosophie de vie si solaire que nous sommes tous de vieux aigris grincheux, nous les français.

En parlant de personne revêche, je jette un coup d’œil vers Eliott. Il est en pleine discussion avec Solal. Ils doivent parler sport, comme d’habitude. Il a dû sentir mon regard car ses yeux rencontrent les miens durant une fraction de seconde. Mais comme un adolescent surpris en train de regarder son coup de cœur, il coupe le contact visuel. Il boude. C’est certain. Et je dois reconnaître que ça me contrarie un peu. Même si je sais qu’il va finir par arrêter de faire la tête, il ne sait pas me résister.

Eliott a toujours été mon confident. Celui à qui je racontais mes coups de cœur ou mes chagrins. Il a essuyé beaucoup de larmes en me faisant rire. Il a toujours été présent pour moi. Même lorsque j’étais avec mon ancien petit ami, Rafael.

Notre histoire a connu des hauts et beaucoup de bas. Des ruptures et des réconciliations. C’était une histoire mouvementée. Une de celle où les beaux moments sont aussi forts que les mauvais sont atroces. Elle aurait fait pâlir d’envie les scénaristes des Feux de l’Amour. Il n’y avait pas de juste milieu. Rafael est la seule personne que je connaisse capable de me rendre si amoureuse et si odieuse dans la même journée. Un jour, il m’a demandé de prendre mes distances avec Eliott. Nous étions trop proches selon lui. J’ai refusé. Personne ne décidera à ma place qui je dois ou non fréquenter. Nous ne nous sommes plus vus depuis. J’ai parfois envoyé quelques messages. Je l’avoue. Il me manque. Notre relation me manque. Parfois.

Je m’approche de mon meilleur ami. Avec Nino, ils sont occupés à regarder la guirlande de photos confectionnée par Andréa. Le jeune homme point du doigt une d’entre elles avant de ricaner avec son ami. Ils échangent des coups de coude, hilares. Je regarde le cliché en noir et blanc à mon tour puis me racle la gorge afin de signaler ma présence aux deux compères. Âgée d’environ un an, je souris béatement à l’appareil photo. Je suis entièrement nue mais ma position empêche de distinguer si je suis une fille ou un garçon.

Eliott et Nino arrêtent de rire. Leurs regards passent de la photographie à la version actuelle de ma personne, à plusieurs reprises. Je reste les observer, attendant que la remarque. Parce qu’il va forcément en avoir une. Dans trois… deux…

— Ça devient un poil malsain tout ça, conclut Eliott en détournant son regard du cliché.

Ça aurait pu être pire. Il n’a pas totalement tort. Il faudra que je discute avec Andréa à propos de ces critères de sélection.

— On pourra dire à tout le monde qu’on t’a vu toute nue le jour de ton anniversaire, intervient Nino. Et ça ne sera même pas un mensonge !

J’ai toujours essayé de maintenir mon attirance physique pour Nino secrète. En réalité, seuls Andréa et Eliott sont au courant. Ce qui techniquement enlève un peu de sa confidentialité à cette vérité. Malgré son charme, je n’ai jamais essayé de savoir si c’était réciproque. Et puis j’étais avec Rafael et ensuite j’ai rencontré Yanis. De plus, Nino est ce genre de garçons qui lancent des commentaires dragueurs. Il est naturellement séducteur. Il ne doit même pas s’en rendre compte.

Mon interlocuteur glisse un clin d’œil taquin dans ma direction. Sa mâchoire carrée esquisse une légère moue rieuse.

— Si ça te peut te faire plaisir, conclus-je avant de m’éclipser le plus gracieusement possible.



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