Andréa - V

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11h14

Je consulte une dernière fois la liste des choses à faire. Je découvre avec plaisir que toutes les lignes comportent deux croix. L’une pour m’indiquer que la tâche a été faite et la seconde m’indiquant que j’ai vérifié que cette besogne a été réalisé correctement.

Le rire d’Aline me fait lever les yeux de mon écran. J’aperçois Fabien, mon père et Solal au niveau du mur de cadre. Chacun arbore une magnifique grimace pour mon plus grand plaisir. Solal a jeté son dévolu sur un boa en plume rose alors que mon père semble avoir préféré un chapeau haut-de-forme vert de la Saint-Patrick. Je saisis l’appareil photo qui pend à mon cou.

— C’est dans la boite ! m’exclamé-je en riant.

Je propose à ma tante de se joindre au groupe. Je n’obtiens que des gestes négatifs de tête répétés. Je hausse les épaules. Tant pis mais ce qu’elle ne sait pas encore, c’est tout le monde figurera dans l’album photo que je prévois de réaliser en souvenir de cette journée. Qu’elle le veuille ou non.

Hoela n’est plus si jeune pourtant elle fait tout pour ne pas paraître son âge bien qu’elle prétende l’accepter pleinement. Ses cheveux courts châtains clairs laissent voir sa nuque et deviner un corps tout aussi bronzé que ces épaules. Habillée d’un haut blanc transparent, laissant apparaître son soutien-gorge foncé, avec un petit nœud dans le décolleté du dos et d’un short skinny noir, elle se met à rire bruyamment. Elle aime être au sens de l’attention. Elle se décrit comme étant entière et franche. Je suis d’accord sur ce dernier point. Malheureusement, son honnêteté lui fait dire tout ce qui lui passe par la tête sans faire attention à la sensibilité des autres. Lorsque je me rends compte de l’insolence de mon regard, je baisse les yeux, honteuse.

M’étant autoproclamée paparazzo du jour, je photographie toute la petite troupe. Ma mère nous rejoint devant le photobooth. La robe longue que nous avons acheté expressément pour l’occasion lui va à ravir. Le bleu marine lui sied si bien au teint, il fait ressortir ses yeux verts. Un large sourire barre son visage, elle est détendue. Je sais que lorsque les invités seront arrivés et que l’heure du repas aura sonné, cette légèreté laissera place à l’angoisse et elle se mettra à courir dans tous les sens pour que les amuses-bouches soient à la parfaite température au moment où ils franchiront les lèvres des convives. Je comprends. Plus les heures passent et moins je me sens sereine. J’aime ma famille et les retrouvailles. J’ai une chance inouïe d’être née en son sein. Iris et moi, en tant que benjamines, nous avons toujours été chouchoutées et protégées par nos oncles et tantes, nos cousins et cousines plus âgés. Même si cette position revêt également son lot d’inconvénients comme le fait d’être relayées constamment à la table des enfants, je ne leur en tiens pas rigueur. Cela ne me dérange pas plus que cela.

Cependant je sais que ce genre de réunion rime trop souvent avec questions. « Alors comment ça on est diplômé ? », « Solal est rentré ? Pas trop compliqué de se retrouver après un an ? », « tu vas faire quoi maintenant ? », « comment ça tu ne sais pas encore ? après cinq ans d’études ? », « Réfléchir ? mais le droit ouvre tellement de portes ! », « Ne rien faire pendant un an ? mais tu ne feras jamais un travail convenable après ! », « et les concours ? ça ne t’intéresse pas les concours ? ». Je sais que cela part souvent d’une bonne intention, ils s’intéressent à moi mais je ne me sens pas la force de répondre. Etant moi-même perdue, je n’ai pas envie de les décevoir. Dans notre petit groupe, chacun a un rôle bien défini. Je ne suis pas forcément contre car les cases, les définitions bien établies me rassurent. Ma fonction à moi est d’être l’intelligence et la sagesse, la discrétion et la sensibilité. Je suis donc la parfaite intello des films américains pour adolescents, celle qui se fait chahuter dans les couloirs, qui ramasse ses livres en silence et ne dit jamais rien. Iris serait la jolie fille populaire, celle qui fait rire tout le monde, celle qui séduit sans s’en rendre compte, l’héroïne au fort caractère. Il m’est déjà arrivé d’être jalouse, de l’envier pour cela.

— Alors on s’amuse sans nous à ce que je vois ?

Je me retourne en provenance de cette voix que je connais si bien.

Eliott tient un petit paquet rouge dans sa main droite, qu’il tend à Iris, à peine finit-elle de le serrer contre elle, et un bouquet de fleurs dans l’autre.

— Je ne savais pas que c’était lui qui t’accompagnerait aujourd’hui, lui chuchote-t-elle à l’oreille, sans vraiment être discrète.

— Pas de quoi. Tu me remercieras plus tard, ajoute-t-il avec amusement.

Le jeune homme s’approche de Maman et les lui offre. Derrière lui, Nino je devine, un de ses amis proches et voisin de classe de ma cadette. Je ne l’avais encore jamais vu. Je le trouve charismatique avec son style soigné de mauvais garçon. Jeans noir toué aux genoux, bandana autour du poignet et t-shirt sombre de rock, toute la panoplie y est. Iris lui fait la bise en rougissant légèrement pendant qu’Eliott me rejoint pour me serrer dans ses bras. Je lui rends son étreinte. Il est comme le petit frère que je n’ai jamais eu. Ma sœur et lui se connaissent depuis la maternelle. Après une obscure histoire de voleur de goûter, ils ne sont jamais quittés. Lorsqu’il venait à la maison, je devais prendre mon rôle de grande sœur deux fois plus au sérieux et surveiller les deux enfants pour mon plus grand plaisir.

— Il va vraiment falloir que tu m’expliques ta routine capillaire, fais-je subjuguée par la beauté de ses boucles brunes.

Il rit plus grave qu’à son habitude et me fait un clin d’œil complice. Eliott n’est plus le petit garçon joufflu que j’ai connu. Décidemment, ils grandissent tous trop vite.

— Eliott, je te laisse prendre ma place, propose Solal en se rapprochant de nous, il faut que j’aille me doucher.

Cette dernière phrase est à mon attention. Le meilleur ami de ma sœur part en trottinant remplacer mon amoureux.

— Tu peux me rejoindre si tu veux, me susurre ce dernier à l’oreille.

— Je me suis déjà lavée, réponds-je gênée.

— Ce n’est pas grave, continue-t-il pensant que je ne comprends pas l’allusion.

Je secoue la tête pour lui signifier mon refus.

— Solal… Il y a toute ma famille.

— Pas encore justement, réplique-t-il.

Je préfère ne pas répondre afin de lui signifier mon malaise.

— Je vois, tu sais où me trouver si tu changes d’avis, ajoute-t-il avant de m’embrasser sur le front et de s’éclipser.

À peine mon petit ami parti, Mamie vient pointer le bout de son nez, une éponge à la main.

— Qu’est-ce que c’est que tout ce bruit ? demande-t-elle inquiète. Quelqu’un s’est fait mal ?

— Mamie vient pour faire une photo avec nous ! s’écrie la reine du jour.

— Oh non non, je n’aime pas les photos.

Faisant comme si nous n’avions pas entendu, Iris et moi attrapons notre grand-mère chacune par un bras et nous la menons doucement vers le décor de cadres.

— C’est moi qui décide aujourd’hui, rétorque ma sœur.

— Tu ne veux pas voir ce que j’ai fait ? l’interrogé-je un brin manipulatrice.

Elle n’oppose pas de résistance, ce qui me fait penser que son refus n’en était pas vraiment un. Je ris intérieurement à cette pensée. Elle voulait juste se faire désirer un peu. Nous l’installons sur la chaise pliante après nous être assurées qu’elle était bien stable. Je confie mon appareil photo à Maman en lui expliquant sur quel bouton appuyer.

— N’oublie pas de sourire Mamie, plaisante Iris une fois la tête dans un cadre.

— Dites « Chiiiizzz ».


11h32

Je toque avant de pousser la porte de la salle de bain sans attendre de réponse. J’ai conscience de ne pas compromettre l’intimité de Solal. Je pénètre dans la pièce en me frayant un chemin dans la vapeur.

— Tu es prêt ?

Mes yeux se posent sur la serviette nouée autour des hanches de mon petit ami. Elle laisse entrevoir les muscles saillants du bas du ventre de ce dernier, formant un V des plus appétissants. Des dizaines de papillons s’envolent dans mon abdomen.

— Mes yeux sont plus hauts, Mademoiselle, rit mon amoureux en relevant doucement mon menton.

Je souris et dépose un léger baiser sur ses lèvres. Je me mets à toucher ses bras, ses pectoraux puis je descends lentement sur ses abdos. Je remarque que tout est bien plus marqué qu’il y a un an. Je fronce les sourcils. Je sais pertinemment que son périple en Australie n’a pas toujours été simple. Même si l’expérience de vivre dans sa voiture, pendant quelques mois, pour découvrir un nouveau pays a été excitante, elle lui a creusé les joues.

Je colle mon oreille contre son cœur. Je ferme les yeux au rythme régulier des battements lents de ce dernier.

— Andy ?

— Hmmm, grommelé-je.

— Est-ce que tout va bien ?

Je ne réponds rien. Je ne sais pas mentir. Je ne saurai même pas quoi lui dire. Lui parler d’Antoine ? Non envisageable, du moins pas maintenant. Lui dire que je ne sais plus où j’en suis, que je me sens mal mais que j’ignore la cause de ce mal-être ? Ridicule.

— Tu as l’air un peu absente aujourd’hui, continue-t-il.

Je ne sais pas combien de temps nous restons ainsi avant qu’il ne rompe une nouvelle fois le silence. Une autre de nos différences, le calme ne me dérange pas.

— J’ai conscience d’avoir raté beaucoup de choses cette année mais tu peux m’en parler.

Mon visage se décolle du torse bronzé de Solal afin de plonger mon regard dans ses yeux sombres.

— Je le sais.

Je suis sincère, je sais que je peux compter sur son soutien. Mais aujourd’hui, je préfère garder mes états d’âme secrets. Cela peut attendre demain. Un sourire se dessine sur mes lèvres pour le rassurer. Aujourd’hui, tout doit être parfait.

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