Iris - IV

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9h48

— Iriiis ! Ton père te cherche ! On a un problème ! Viens voir !

Je reconnaitrais cette voix entre mille. Autoritaire. Capable de rameuter tout le quartier. Tata Olé. Je ne l’ai même pas entendue arriver. Maman ne lui avait pas dire de venir vers onze heures ? Au vu du ton qu’elle emploie, ça semble urgent. Et grave. Je me rue dans l’escalier et sors de la maison à tout vitesse. Je bouscule ma mère qui m’informe que mon père est avec l’appareil à rôtisserie. Aïe. Ça s’annonce mal.

Je retrouve mon père avec un air accablé. Je crois que c’est la première fois que je le vois comme ça. En même temps, il s’agit de nourriture. Et plus précisément de cochon. Je ne devrai pas être surprise le connaissant.

— Je ne comprends pas, ça fonctionnait tout à l’heure.

Il est tout sale et pas encore douché. Son tablier est plein de graisse animale. Sans doute à cause de la machine récalcitrante.

— Les deux moteurs. Il y a deux moteurs. Aucun ne fonctionne.

— Qu’est-ce qui se passe ? me chuchote ma sœur à l’oreille venant de nous rejoindre.

— Un problème technique avec la rôtisserie.

— Il faut appeler l’entreprise qui t’a loué ce truc ! C’est intolérable ! s’énerve Hoela, ma tante.

Mon père continue de baragouiner dans sa barbe de trois jours.

— Andréa, va les appeler ! aboie ma tante.

Ma sœur fait la sourde oreille et se met à tourner autour de l’appareil.

— Ça fonctionnait toute à l’heure ? demandé-je en commençant à observer de mon côté les pièces posées par terre.

— On a fait un premier test avec Solal et ça marchait très bien.

— Où est-il d’ailleurs ? Il pourrait nous aider ! s’agace Tata Olé.

La mâchoire d’Andréa se crispe.

— Il est parti à la gare chercher Emma et Clara, mes meilleures amies, réponds-je.

— Je vois, toujours parti en vadrouille celui-ci. Comme c’est commode.

Andréa grommelle quelque chose que je n’arrive pas à entendre. Dommage. Je suis persuadée que c’était intéressant. Quant à Papa, je le vois froncer les sourcils. Il commence à se gratter la tête. Il réfléchit. Il est contrarié.

— Mais comment on va faire ? On doit nourrir une quarantaine de personnes ! On a qu’un four ! Les patates devaient cuire dedans !

— Faut que tu demandes un remboursement pour ce truc ! fait Tata Olé en désignant l’appareil.

— Ça va prendre deux fois plus de temps ! Tout ne sera pas servi en même temps ! continue mon père sans entendre sa sœur.

Personne ne répond. Si ce n’est notre tante qui propose de faire un procès à l’entreprise de location. À ce moment-là, Maman vient nous rejoindre pour connaître l’ampleur des dégâts.

— C’est la merde ! s’écrie Papa.

Connaissant mes parents, il ne va pas falloir longtemps pour que ce soit branle-bas de combat. Il s’agit de sauver la réputation de maître du barbecue de Papa et celle de meilleure hôtesse de Maman. De son côté, sans faire de bruit, Andréa glisse sa main sous le boitier contenant le moteur de l’appareil. Elle tâtonne et finit par appuyer sur ce qui ressemble fortement à un interrupteur. Un bruit mécanique se fait aussitôt entendre. La rôtisserie se met en marche. Un sourire triomphant barre le visage de ma sœur. Je croise les bras sur ma poitrine satisfaite de notre participation à ce succès.

— Quand tu ne sais pas tu nous demandes, ris-je de bon cœur.

Papa reste silencieux. Il cligne des yeux plusieurs fois. Il faut lui laisser le temps de se remettre de sa frayeur. C’est à ce moment qu’une voiture remonte l’allée. Solal sort le premier, puis Emma et Clara.

— Il y a un problème ? demande-t-il innocemment.

— Tu n’aurais pas appuyé sur quelque chose par hasard ? interroge Papa avec un mouvement de menton vers la machine du diable.

— Sur le bouton marche/arrêt pour éteindre l’appareil, pourquoi ?

10h04

Après avoir déposé ses affaires dans ma chambre, Emma s’assoit sur le bord de mon lit tout en croisant les jambes.

— Rassure-moi, le beau gosse qui est venu nous chercher à la gare, c’est ton cousin ? me demande-t-elle avec un large sourire.

Je suis sûre qu’elle connait déjà la réponse à cette question.

— Non, c’est Solal, le petit ami de ma sœur, réponds-je avec prudence.

Je fronce légèrement les sourcils. J’espère silencieusement qu’elle va comprendre qu’il est hors de question qu’elle se mette à flirter avec mon beau-frère. Sa bouche forme un petit « o ». Elle se met à rire.

— Dommage, fait-elle avec un peu trop d’ironie.

Elle agite ses cheveux blonds l’air de rien, sous ses airs de poupée. Je connais mon amie. Elle aime les défis. Son air de femme-enfant la rend encore plus redoutable.

— Sérieusement Emma, lui souffle Clara à l’autre bout de la pièce. Pas touche.

Un silence lourd de sens s’installe entre nous.

— Vous ne trouvez pas qu’il a un petit air de James Franco ?

Je n’y ai jamais pensé. J’hésite entre acquiescer ou réfuter pour que le débat sur la beauté de Solal soit clos. Je ne préfère rien dire de peur qu’Emma saisisse le moindre prétexte pour en faire définitivement sa cible.

— Mais attends ! s’exclame-t-elle soudain comme victime d’une révélation. Ce n’est pas Solal qui est parti vivre un an en Australie et qui a laissé ta sœur comme une vieille chaussette ?

Je serre les dents. Je me mords la joue pour éviter d’être trop agressive.

— Andréa n’est pas une vieille chaussette, grogné-je.

— Bien sûr que non, tu sais comment est Emma, elle est maladroite, elle ne le pense pas. N’est-ce pas Emma ? tente Clara pour éviter un drame.

Sans attendre de réponse, je me place devant mon amie blonde et la toise.

— Si je vois, ne serait-ce qu’un regard de travers en direction de Solal ou une attitude qui viendrait gâcher mon anniversaire, je te rase les sourcils dans ton sommeil, menacé-je avec un sourire carnassier.

Emma secoue une nouvelle fois ses cheveux. Une odeur de monoï me parvient aux narines. Elle ne sait pas si elle doit rire ou me prendre au sérieux. Tant mieux.

— Tu n’oseras pas.

— Ne me défie pas.

Je conclus cette discussion par mon rire le plus retentissant.

10h12

La maison ressemble à une fourmilière. Tout le monde s’active. Je ne peux m’empêcher de pouffer de rire en imaginant ma grand-mère avec des antennes sur la tête. Je suis sûre que ce serait elle la reine dans la colonie.

Je rejoins un attroupement dehors, suivie de Clara. Emma reste se reposer de sa soirée d’hier. Andréa semble mener les opérations à la perfection. Tout doit se dérouler selon son plan. Je suis surprise de ne pas voir Solal à ses côtés. Il doit être avec Papa et Fabien. Lorsqu’elle me voit arriver, ses yeux s’agrandissent. Une vraie chouette.

— Tu ne dois pas voir ! s’écrie-t-elle paniquée. C’est une surprise !

Elle se rue sur Aline et Lou, portant des caisses en plastique blanc, et essaye de les cacher avec ses bras. J’hésite à lui dire que son gabarit ne lui permettra jamais de dissimuler quoi que ce soit.

— Cache tes yeux ! m’ordonne-t-elle.

J’obéis en riant. Parfois, ma sœur a des penchants tyranniques. Je l’entends murmurer quelques indications à ses ouvrières. Finalement ce serait plutôt elle la reine des fourmis. Je risque un regard en écartant mes doigts. Andréa est dotée d’un sixième sens. Elle m’attrape sur le fait et me lance un regard noir qui me dissuade de toute rébellion.

— Elle me fait peur ta sœur, chuchote Clara derrière moi.

Je ne lui dirai jamais mais à moi aussi. Surtout dans ce genre de moments. Mieux vaut ne pas la contrarier.

— C’est bon, m’informe la décoratrice en cheffe au bout de quelques dizaines de secondes.

Je constate que les derniers préparatifs ne sont pas encore terminés. Ma marraine me fait signe d’approcher pour l’aider et Andréa retourne à sa guirlande de photos. Je mets quelques instants avant de remarquer que je figure sur chacune d’entre elles. Je m’arrête. Je m’approche en prenant le temps de tout bien observer avant de remercier ou de détester l’instigatrice.

Andréa a pris soin de trier les clichés en fonction de l’année à laquelle ils ont été pris. Je me redécouvre sur certains souvenirs que je pensais oubliés. Je me vois évoluer : passer du bébé nouveau-né dans les bras de sa sœur à la petite fille à couette apprenant à faire du vélo en vacances. Par mécanisme, je caresse la cicatrice sous mon menton.

Je deviens ensuite cette adolescente posant avec la bouche en duck-face ou grimaçant avec mes copines. Un sourire se dessine sur mes lèvres en constatant des photos plus récentes avec mes camarades de classe ou mes amis n’ayant pas pu venir aujourd’hui. Je comprends alors que ma grande sœur est entrée en contact avec eux. Juste pour moi. Ça me touche.

Je me retourne pour la remercier. Andréa revient du jardin. Elle dispose une fleur dans chacune des bouteilles en verre peinte en doré. Du moins celles ne contenant pas de chandelle. Les vases et les chandeliers reposent sur des dessous de verre en bois réalisé par Solal, dès son arrivée en France. Je m’approche des tables et touche le chemin de table. Il est en toile de jute. La nappe en papier blanc contraste très bien avec ce dernier. Même les pieds du barnum sont décorés par des guirlandes de fleurs. Je saisis un des petits photophores réalisés par ma mère et l’inspecte. Parfait pour ce soir.

Tout est comme je le voulais. Une atmosphère bohème se dégage de la tonnelle. Je suis ravie.

— C’est parfait, complimenté-je Andy.

Son sourire vaut alors toutes les réponses. Ses yeux pétillent d’excitation. Elle m’attrape la main et me demande encore une fois de fermer les yeux. J’accepte. Clara nous suit. Andréa me guide pour éviter les obstacles. Ce serait bête de me blesser le jour de mes dix-huit ans. Nous descendons des marches. Je sens ensuite mes baskets s’enfoncer dans l’herbe. Méfiante, je fais des petits pas. Ma sœur râle. Mais je joue le jeu. J’aimerai l’y voir.

Finalement, nous arrivons à destination. J’ai l’impression d’avoir fait une bonne centaine de mètres alors que j’ai dû en faire une trentaine. Andréa m’autorise à ouvrir les yeux. J’exécute. Un grand mur tapissé de cadres me fait face. Au bout de quelques fractions de secondes, je comprends.

— Un photobooth ! m’exclamé-je.

Aline et Lou, les complices de l’installation, trépignent sur place. Soudain Lou disparait et fait ressortir sa petite tête blonde dans une des ouvertures. Aline s’empare d’un boa dans une des caisses et vient se placer devant un autre cadre. Les deux sœurs finissent par prendre la pause.

Je m’approche des fameuses boîtes. Elles regorgent d’accessoires colorés. Parfait pour se déguiser ou passer incognito. Des boas à plumes, des grands chapeaux, des lunettes grotesques et que sais-je encore. Tout y est.

— Moi aussi, je veux essayer ! s’écrie Madga au loin.

Elle trottine jusqu’à nous, saute d’un pas alerte les marches, attrape une moustache soutenue par un pic en bois. Ma marraine s’installe à son tour. Emma ne veut pas être en reste. Elle vient s’asseoir sur l’une des deux chaises en bois pliantes. À côté, Aline tire la langue. Je saisis mon téléphone et immortalise le moment. Le rire d’Andréa retentit.

— Ça te plait ? me demande-t-elle timidement.

Elle est en train de se manger la peau du bord de son pouce gauche tout en guettant ma réaction. Quelle sale manie, elle a.

Je la prends dans mes bras pour la distraire. Mon gros bisou claque sur sa joue.

— Tu es la meilleure des sœurs.

Je ne vois pas comment cette journée pourrait mal se dérouler.

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