26 (partie 2)

13 minutes de lecture

.

Mia

.

Je m'agenouille, aux côtés de Lou, pour tenter de le calmer. Tout autour de nous, les militaires commencent à perdre patience, et je remarque que Elio s'est rapproché de nous, blême, tenant toujours le papier que Aubert lui a donné au creux de sa main crispée.

Je suis persuadée, qu'ils ont fait exprès. Que l'un de nous quatre se soit retrouvé avec le nom du père de Lou, n’est sûrement pas le fruit du hasard.

J'ai compris maintenant, pourquoi depuis le retour de Léo, ils nous laissaient relativement tranquilles. Car de toutes manières, ils savaient qu'aujourd'hui, ils auraient notre peau, qu'ils parviendraient à nous briser une dernière fois, en nous montant les uns contre les autres.

Si Elio ne tue pas le père de Lou, il se fera lui-même éliminer, ce qui est inconcevable. Sauf que, si il abat Javier, Lou ne le lui pardonnera jamais. En résumé, quoi que nous fassions, nous sommes perdants à la fin.

Ils nous ont eus, et avec une brutalité qui m'assomme.

Reste à savoir ce qu‘Elio va choisir.

Lou, finalement, se relève, et me contourne sans mot dire pour se rendre à la table où sont étalées les différentes armes proposées pour notre évaluation. Je le vois saisir un pistolet, avant de le reposer.

Autour de nous, ça a commencé : Paulina, Tim, Sarah, Rachel et Jeremy ont déjà abattus leur cible. J'imagine que tout ne s'est pas passé aussi vite que ça, mais l'impression que j'ai est qu'en une fraction de seconde, cinq personnes sont mortes sous les coups de mes camarades. Qu'en quelques instants, cinq vies ont été arrachées, par les mains encore vierges de cinq personnes contraintes.

  • Allez, les derniers, on se dépêche.

Je n'aime pas ce que je vais faire. Pas du tout. Sauf que si je veux pouvoir soutenir Lou et Elio dans leur choix, je dois avoir moi-même terminé mon évaluation. C'est pourquoi, déterminée, je m'arme d'une dague, pour me rendre ensuite face à l'homme que je dois éliminer.

Ses yeux me sondent, me supplient, mais je n'ai pas le temps pour ça : pas le temps de m'attarder sur un homme aussi insignifiant que lui, sur un homme ayant abusé d'un enfant. Je n’ai pas le droit de juger la vie d’autrui, mais un homme comme lui, semblable à Criada dans ses vices, ne mérite pas de vivre. Je suis contre ce genre d’agissement, et en ce moment, je me déteste. Cependant, lorsque j’ai rencontré mon petit ami, il était détruit car son ordure de père avait abusé de lui. C’est pourquoi malgré toute la meilleure volonté du monde, je n’arrive pas à excuser cet homme, qui a sûrement détruit la vie de la fille de sa propre soeur. J’irai sûrement en Enfer pour ce que je m’apprête à faire, mais entre soutenir mon ami d’enfance et mon petit ami, ou bien laissé vivre cette ordure au détriment de ma propre vie, le choix est vite fait.

Mon bras se lèvre, sous ses cris désespérés, et dans un geste brusque, j'enfonce ma dague dans sa jugulaire. C'est rapide, précis, mais plutôt salissant. Depuis cinq mois, j'ai appris où viser pour faire mouche sans perdre de temps.

Une fois ceci fait, je tourne les talons, abandonnant le corps encore chaud de ma victime derrière moi, et rejoins Lou, aux côtés de son père.

Elio est avec eux, se tordant les mains avec une angoisse grandissante à chaque seconde. À cet instant précis, je revois le Elio de Liberty, avec cette ombre de terreur au fond des yeux, cet air résolu mais ô combien douloureux.

Je caresse la nuque de Lou, toujours agenouillé auprès de son père, et attrape la main de Elio, avant de la serrer doucement, rassurante.

  • Je peux pas Mia, je peux pas..., gémit-il. Mais si je le fais pas, je vais mourir..., mais je peux pas..., je veux pas mourir...
  • On se calme, on va trouver une solution.

Bien joué Mia, tu as raison de vendre des solutions inexistantes à ton interlocuteur dévasté, c'est malin.

Léo nous rejoint à son tour, un revolver encore fumant à la main.

Ils ont vraiment tout gagné aujourd'hui. En plus de mettre nos nerfs à rude épreuve avec leur idée de génie de rendre Elio coupable du meurtre du père de Lou, ils ont également réussi à nous faire tuer, sans rechigner. Je n'ai moi-même, pas réfléchi en enfonçant cette fichue dague dans le cou de ma victime. Tout ce qui m'importait, était de vite terminer pour venir retrouver Lou et Elio, tenter d'aider, bien que je ne sois actuellement en position, d'aider personne. Ni Elio, ni Lou, ni Javier.

Léo me dépasse avec un air sombre scotché au visage, et se penche en avant pour relever Lou, en tentant visiblement de rester calme. Je connais la relation qu'entretenaient Javier et Léo, et ne peux m'empêcher de me sentir atrocement mal pour lui, de la même façon que pour Lou. Lui aussi, aujourd'hui, va perdre un parent. Pas biologique, mais qu'importe ? Que signifie le sang face à l'amour ?

Il le sangle à la taille, le serrant contre son torse à deux bras fermes, et recule de quelques pas, laissant ainsi Javier se relever à son tour.

  • Lâche-moi Léo s'te plaît, lâche-moi...
  • Lou, écoute-moi mon chéri.

Javier fait un pas en avant, et prend le visage de son fils en coupe avant de planter son regard dans le sien, et de sourire.

  • Tout va bien se passer d'accord ? Je suis heureux de voir que tu es en vie.
  • Je veux pas que tu meurs papa ! Elio tu peux pas faire ça... Et puis à quoi ça sert que je vive si toi, tu meurs ?
  • Si ton ami ne le fais pas, il mourra. Vous êtes trop jeune pour quitter ce monde, tu le sais ça mon loup ? De plus...

Il coule un regard en coin à Criada et Yersen, non loin de nous, avant de poser son front contre celui de Lou et de sourire à pleine dents.

  • Arrête de pleurer, je n'aimerais pas qu'il t'arrive malheur.
  • Tu n’as pas le droit de mourir, tu entends ?! Et maman ? Qu'est ce que tu fais de maman ? Elle ne supportera pas de nous avoir perdus tous les deux !

Le sourire de Javier se brise, alors qu'il se recule, et adresse un léger signe de tête à Elio. Il semble résolu, déterminé, à protéger son enfant nouvellement retrouvé, au péril de sa vie.

J'ai toujours su que Javier était un homme d'affaires certes, mais un homme d'affaires peu scrupuleux et ne traînant pas toujours dans les bonnes combines. Les commérages, lors de son arrivée, allaient bon train. Un mafieux, un dealer, un escroc, un gangster, chacun y allait de sa petite théorie. Et bien sûr, si la plupart était faussée, certaines restaient concluantes, et avérées au fil des années. Lou nous a un jour confié que chez eux, son père gardait un revolver dans son bureau, et dans le buffet de l'entrée. Il lui avait d'ailleurs appris à s'en servir, ''au cas où''. Pour se défendre de qui, de quoi, personne ne savait vraiment. Certains matins il arrivait en larmes à l'école, car son père la nuit précédente, n'était pas rentré.

Personne ne sut jamais ce qu'était vraiment Javier, hormis un père et un mari exemplaire, aimant, protecteur et chaleureux.

  • Allez gamin, on y va, dicte-t-il à Elio.
  • ... non, souffle Lou avec un semblant de cri avorté dans la voix.
  • Lou, stop. Tu sais bien qu'on a pas le choix. Et que... si il y avait une autre alternative, je serais le premier à m'en saisir. Il est tout bonnement hors de question que l’un de vous quatre meurt par ma faute.

Un trémolo secoue sa voix, et je porte la main à mon tee-shirt, pour en serrer le tissu. Voir la détresse dans les yeux de ce père de famille condamné, me secoue avec une rare virulence. Car je le revois aux réunions au collège, à la fête de l'école, à nous surveiller à la piscine. Et l'instant d'après, je l'imagine mourant sous l'assaut de Elio. Mon ventre fait une pirouette, et je retiens avec mal la bile remontant le long de ma gorge brûlante.

  • Léo, tu le retiendras d'accord ?
  • T'as pas intérêt de faire ça tu m'entends ?! s'époumone Lou à la direction de mon meilleur ami. Tu en as pas le droit Léo ! Tu...

Javier coupe court à ses protestations en déposant un baiser, l'ultime baiser, sur son front, avant de caresser sa joue et d'offrir un dernier sourire rayonnant. De petites rides se creusent aux coins de ses yeux clairs, et son expression, son seul regard, à le don de pétrifier tout être vivant autour de nous.

  • Tu as toujours été le soleil de ma vie, mon Lou. Je t'aime, ne l'oublie jamais. On se reverra mon chéri, et puis, il te restera Léo et Mia. Juste...

Je le vois se pencher vers l'oreille de son fils, murmurer quelque chose, avant de se reculer, et de nous adresser un signee de tête entendu.

  • Prenez soin de mon fils.
  • ... on y manquera pas, souffle Léo avec une voix blanche.

Javier acquiesce, satisfait, et recule, encore et encore, loin de son propre fils hurlant à la mort, et retenu bien durement par un Léo au bord des larmes. J'avise Lou tenter de le mordre pour se défaire de son emprise, sans succès : l'étreinte qu'il a autour de sa taille semble inflexible.

Comment peut-il être aussi résolu ? Pourquoi sommes-nous aussi résolus ? Il nous suffirait de plomber tout ce petit monde, Criada, Yersen et Bercelo, d'une balle dans le crâne. De nous barrer, de fuir, emportant Javier avec nous. Et tout serait finis, tout. La violence, la peur, l'angoisse : nous pourrions revoir nos familles, laisser tout ça derrière nous, dénoncer l’État, Reborn, la science malsaine s'exerçant entre ses murs.

Sauf que..., non. La réalité est tout autre. Le gymnase est plein à craquer de militaires, de scientifiques, de surveillants. Même si nous essayions de nous sauver, tout finirait par nous retomber sur le coin de la figure. Tel un bommerang, notre audace nous prendrait à la gorge et nous exposerait aux violences de Criada. Peut-être nous tuerait-il et, ne serait-ce pas en vérité, la solution ? Partir pour de bon et laisser derrière nous ces cinglés et leurs grandes idées de société où l'humain serait génétiquement modifié ? Où le mal serait éradiqué par le mal ?

L'idée me tente, me caresse l'épiderme, mais avant que je ne puisse réagir, me décider, une détonation retentit, et les cris de Lou, en même temps que le tambourinement de mon cœur, s'estompent, pour finalement être réduits au silence.

.

Elio

.

Je tente de respirer convenablement, malgré le pistolet dans ma main, lourd au bout de mon bras, et le père de Lou face à moi. Visiblement dans l'attente de ma décision, de mon geste, de son ultime instant.

Mais je ne peux pas faire ça. Je ne peux pas tuer cet homme, le père de mon ami, qui va aujourd'hui disparaître sans avoir convenablement pu parler à son enfant. Qui va le quitter en laissant un sentiment amer dans la bouche de Lou, qui aura vu son père partir sans se battre. Sauf que d'un autre côté, si je n'agis pas, je serais exécuté, et perdrais Mia, ainsi que la nouvelle vie qu'elle m'a offerte. Ce nouveau sentiment d'avoir quelque chose pour lequel vivre, un semblant d'importance, une ébauche d'une vie que je n'ai jamais eue jusqu'à maintenant.

Ces opposés me tiraillent, me torturent, et alors que je suis sur le point de tomber à genoux sous la pression et l'horreur de la situation, je sens la main de Javier entourer la mienne sur l'arme. Sa peau est rugueuse, abîmée par le temps, tout en restant chaude et rassurante.

  • Contente-toi de tendre le bras, susurre t-il avec un fantôme de sourire.

Je tente de comprendre, de revenir à moi, dans cette réalité que je redoute, qui me) débecte, mais en un instant, mon bras se retrouve tendu, braquant la tête de Javier puis...

La gâchette, la réalisation, le coup de feu. Explosion, au bout du canon, lumière aveuglante, jaune, orange, blanc..., rouge. Gerbes rouges, voile rouge, éclaboussures carmines, vision cramoisie.

... ce n'est pas moi qui ai pressé la gâchette.

Les cris de Lou cessent, le temps se fige et tout autour de moi disparaît. Javier, face à moi, s'écroule dans un choc mou, pantin disloqué privé de ses fils, et finit par s'éteindre, à mes pieds, dans une flaque de sang pourpre, répugnant. Je n'avais jamais vu autant de sang, et cette simple vision parvient à me déstabiliser, encore plus, toujours plus, à me faire perdre pied. Je ne pensais pas que l'hémoglobine puisse être si foncée, si visqueuse.

Ce n'est pas moi qui ai tiré. Il a enroulé sa main autour de la mienne, a placé lui-même son doigt sur la détente, et à tiré lorsqu'il a approché mon bras à portée de son crâne. Il n'a pas hésité, ne m'a pas laissé le temps de comprendre, de réagir, de reculer. Tout est allé bien trop vite, un peu comme un DVD en avance rapide. J'ai vu défilé des fragments de la scène, mais rien de bien précis. Et maintenant, la réalité se retrouve comme sur pause.

En agissant dee la sorte, il m'a évité le geste, tout en me faisant passer pour victorieux dans cette épreuve. Sauf que le résultat est le même : il est mort, à mes pieds, d'une balle dans la tête, subtilisant son empreinte paternelle à Lou, qui en aurait pourtant eu cruellement besoin.

Lou...

Lou !

Je fais un quart de tour, constate tous les regards braqués sur moi et ma victime, à terre. Lou me dévisage, les yeux écarquillés, débordant de larmes que je devine brûlantes, mais n'ose plus bouger. Dans son dos, Léo le tient toujours, le serrant contre lui, la bouche close, le regard grave.

Il sait. Je ne sais pas par quel moyen, sûrement par connaissance du père de Lou, mais à son regard je comprends qu'il sait, que je n'ai pas pressé la détente. Qu'il est au courant que je n'ai pas tué cet homme, que je ne suis pas responsable, sinon de n'avoir pu empêcher son suicide maquillé .

Mia de son côté, ne sait visiblement pas quoi faire de ses mains, de son corps agité de longs tremblements affolés, et un instant, j'ai envie de courir vers elle. Sauf que ce n'est pas elle, qui a besoin de moi. À cet instant précis son mal peut attendre, car celui qui doit être déchiré par les ténèbres, c'est Lou. Lui, et seulement lui.

D'un pas précautionneux, je rejoins Lou, et m'agenouille à sa hauteur, pour pouvoir capter son regard toujours rivé sur le cadavre de son père, à quelques mètres de nous.

Que voit-il ? Sa vision est-elle déformée, voilée par les larmes, ou constate t-il comme moi les différentes nuances de carmin s'écouler à gros flots... ?

  • Lou...
  • Lou Kampa, appelle mon père. Il serait temps de t'occuper de ta cible, tu nous retardes. Il est mort, alors arrête de le fixer comme ça.

Les yeux de Lou se ferment, se rouvrent en un battement de cil ahuri, avant qu'un sourire dément ne torde son visage d'ordinaire si calme. Ses tremblements cessent petit à petit. Il semble empreint d'une identité qui n'est plus la sienne.

  • Ma cible ? répète t-il avec effroi.

Léo desserre sa prise, et le laisse se redresser, épousseter son pantalon, reprendre son souffle, essuyer ses larmes, puis se rendre à la table sur laquelle sont étalées toutes les armes.

Personne n'ose bouger, nos regards rivés sur ce petit bout d'homme semblant animé d'une force nouvelle, sans trembler, sans ciller. Une force puissante, mais dévastatrice, semble l'entourer d'une aura de noirceur à chaque seconde qui s’écoule.

J'entends le raclement d'une arme en métal sur la table d'exposition, et avant que je n'ai pu réagir, me préparer ou juste battre des cils, un coup de feu retentit, explose à mes oreilles, et une balle, une seule, siffle à mes oreilles. Avant de toucher sa cible, son point de chute, dans une exclamation de surprise terrifiée de la part de l'assemblée. Une onomatopée surprit prononcée à l'unisson dans le silence de mort régnant jusqu'alors.

Car de l'arme de Lou, vient d'être touché mon père, à la tête, dans un tir parfait. Une balle dans le front, ne laissant derrière elle qu'une légère éclaboussure de sang, un regard vitreux, puis voilé, et enfin une chute.

Puis une seconde balle : Yersen, dans le cou. Et enfin, Bercelo, dans le ventre. Il a tué, dans un laps de temps minime, le sous-directeur, et les deux professeurs de Reborn. Sans hésitation, avec une précision parfaite, un calme olympien. Bam, première balle, bam, coup machinal, et bam, balle finale.

Dans un fracas sonore, le monde revit, reprend des couleurs ; les scientifiques s'affolent, se déploient, se demandent si mon père pourra être sauvé, alors qu'ils ont déjà leur réponse : personne ne se remet d'une balle dans le front. Idem pour Bercelo et Yersen. Le sang coule beaucoup trop vite, beaucoup trop fort. J'ai l'impression de revoir une de ces scènes de fusillade montrées la télévision, aux informations.

Le monde crie, hurle, redevient violent. Je vois Lou être plaqué au sol par les militaires, perçois des bruits de lutte, les protestations virulentes, puis musclées de Léo. Je sens Mia me saisir aux épaules, me tirer en tout sens, m'appeler, mais je ne réponds pas. Je ne réponds plus. Mon système vient de lâcher, de tomber en panne.

Je chavire, me perds dans mon angoisse et ma peur, face à mon crime, au cadavre de mon père, à la libération mêlée de souffrance que cela engendre.

Comment fait-on pour revenir en arrière... ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Cirya6 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0