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PARTIE II

« Léo, Lou,

Cela va bientôt faire deux ans que nous n'avons plus de nouvelles de vous. Deux ans que Lou, tu as pressé cette détente, cette fichue détente, trois fois. Que tu as tué Criada, Yersen et Bercelo. Deux ans que tu as été extirpé de cette salle en proie au chaos, inconscient. Depuis, plus de nouvelles. Quant à toi, Léo, comme je le dis et le répète dans chacune de mes lettres, je t'ai vu lutter, encore et encore pour tenter d'éloigner les militaires de Lou, ce jour-là, et j'imagine que c'est ce qui les a conduits à t'exiler toi aussi. Tu es sorti de la salle inerte, emporté loin de nous par des types qui nous menaçaient de leurs armes.

Et depuis, plus de nouvelles, silence radio. Impossible de savoir si vous êtes encore vivants, si vous êtes encore au centre Reborn, si vous êtes en activité, ou prisonniers.

J'ai cherché à savoir, je vous l'assure. Cela fait deux ans maintenant, qu'en plus des missions que me confient Reborn, j'enquête de mon côté, me servant des services de renseignement mis à ma disposition pour tenter de vous retrouver. Que je piste, que je cherche, que j'interroge, tous ceux qui se rapprochent de près ou de loin de cette organisation. Vous savez, il ne se passe pas un jour sans que Elio ou moi ne pensions à vous. Que nous n'imaginions pas le pire.

Peut-être que vous êtes en fonction, vous aussi, mais pas dans le même secteur que nous. C'est ce que j'essaye de me dire, de me répéter, pour me rassurer. Car en vérité, je crains que l'une de ces deux suppositions ne soient avérée :

  • Que vous soyez morts.
  • Que vous soyez désormais participants aux Jeux.

Dans la première hypothèse, je vous envie : vous êtes enfin débarrassés de tout ça. Dans la seconde, je vous plains mille fois : selon les dires de Jelena, mieux vaut mourir mille fois plutôt que de participer à ces horreurs.

Vous savez, Elio et moi formons désormais un duo d'action assez réputé à Reborn : d'après eux, nous avons du talent. Je sais que si vous lisez un jour ce courrier, vous allez trouver ça abject, de savoir que nous agissons ainsi pour l'organisation à la base de tous nos maux. Mais, vous savez, je m'accroche à l'espoir qu'en nous comportant bien, peut-être qu'un jour, ils nous auront assez à la bonne pour nous parler de vous, nous donner ne serait-ce que quelques maigres informations. Car sachez-le, sur leurs registres d'agents, sur leurs bases de données, vous n'existez pas. C'est triste, terrible à dire, mais vos noms n'apparaissent pas, jamais.

Je suis désolée, car cette lettre va sûrement se perdre, ou partir rejoindre les dizaines d'autres que j'ai déjà envoyées. Je ne sais pas où elles atterrissent, je n'ai jamais eu de réponses ni de retours. Peut-être sont-elles toutes au fond d'une décharge, ou bien les avez vous lues, mais sans possibilité de nous répondre ? Je prie, j'espère, pour qu'un jour je reçoive un signe, un mot, qui me prouvera que vous êtes en vie, que vous avez lu, et que vous vous souvenez de nous.

C'est con, mais j'arrête pas de pleurer. Chaque fois que je vous écris, c'est plus fort que moi.

Je vous aime tellement putain, vous me manquez chaque jour de plus en plus. Mais je ne veux pas me laisser mourir, jamais, pas sans savoir où vous êtes, pas sans savoir si un jour je vous reverrai. Et puis, j'ai encore Elio, qui m'accompagne du mieux qu'il peut. Qui est encore désolé pour ton père, Lou, mais qui te remercie également mille fois pour le sien.

On vous aime, du fond du cœur, en espérant vous revoir très bientôt.

Mia »

Le garde, face à ma cellule, termine sa lecture de cette énième lettre en ricanant, avant de la balancer au sol. Je regarde le papier virevolter, flotter au-dessus du sol, avant de s'y échouer, sans un bruit, sans un éclat. Du pied, il froisse le papier, rigole d’avantage, hautain.

Mes dents grincent : les mots de Mia, ainsi jetés au sol. Ses sentiments, mis à terre sans plus de questions. J'ai envie de crier.

  • Elle est mignonne, ricane le garde en agitant la main. Pas vrai Pogbal ? Au moins, elle a la présence d’esprit d’envoyer ces lettres à l’adresse du centre de formation. Tsss… je suis persuadé qu’elle sait que tu es ici, malgré ce qu’elle peut raconter dans ce torchon.

Pour toute réponse, je crache par terre, sur le sol déjà immonde de ma cellule, et me prends un violent coup de perche électrique. Elle me heurte le cou, y laissant une nouvelle brûlure douloureusement coutumière. Dans mon dos, mes bras me font atrocement mal, retenus de la sorte par de lourdes chaînes fixées au mur derrière moi. À genoux à même le sol, le torse à nu, je tente de contenir ma colère, ma frustration et ma peine, d'être enfermé ici alors que Mia, ma Mia, me pense sans doute mort.

  • Laissez-moi lui répondre, je marmonne avec une colère blanche.
  • Et puis quoi encore, tu t’es cru à l’hôtel ? Allez, lève-toi, c'est l'heure de l'entraînement.

À quoi cela sert-il de me lire ces fichus courriers, si c'est pour ensuite m'interdire d'y répondre ? Me torturer psychologiquement sans doute, mais tout de même depuis deux ans, j'aurais pensé qu'ils auraient fini par lâcher ce petit rituel mensuel. Ce petit rituel qui me détruit à chaque fois un peu plus, qui m’arrache le peu de réconfort qui m’étreins à chaque fois que ces quelques lignes me sont lus. Mon seul lien avec le monde extérieur. Les seuls mots qui me rappellent que Mia est en vie, et que Lou... a disparu.

Lentement, très lentement, je déplie mes jambes, me redresse, et recule contre le mur du fond de ma cellule, comme me l'inflige le protocole. Une fois mon dos contre la surface irrégulière en crépis, les menottes m'entravant pieds et mains se défont, me libérant ainsi la possibilité de pouvoir à nouveau me mouvoir à ma guise. Je secoue mes bras, soumis à de dérangeants fourmillements ô combien désagréables, et effectue quelques petits sauts sur place pour réveiller mes jambes engourdies.

  • Allez la danseuse, tu auras le temps de gigoter en salle d'entraînement.

Je grogne, montre les dents, et ne réussis qu'à obtenir un rire salé de la part de mon geôlier.

Comme tu le dis Mia, voilà deux ans que nous avons été séparés. Après l'épisode que j'ai nommé ironiquement ''Bye bye fathers'', Lou et moi avons été jugés trop dangereux, trop instables psychologiquement pour continuer de suivre la voie classique des futurs agents Reborn. Je ne sais pas pour Lou, mais je sais qu'en ce qui me concerne, depuis deux ans maintenant, je suis un fervant participant aux Jeux, comme tu le craignais, Mia. Chaque semaine, un combat, souvent extrêmement violent, pour distraire les imbéciles d'humains venus parier sur nous. Chaque semaine, un nouveau crime de mes mains. Chaque semaine, ce sentiment terrible d'avoir envie de mourir, en ne pouvant m'y résoudre : car toi, Mia, et toi Lou, êtes les deux seules raisons qui me maintiennent encore debout.

Je vous retrouverais un jour, je le sais.

Je marche tranquillement dans le long couloir où s'entassent les cellules des différents participants aux Jeux. Quatre cellules de chaque côté, de même taille, et contenant le même mobilier ridiculement primaire : un lit simple, une couverture pour nous réchauffer lors des jours de grand froid, un toilette et un lavabo. Nos repas nous sont apportés sur des plateaux qui nous sont repris par la suite.

Rien de bien excitant, rien qui puisse nous distraire un peu. Le but premier de ces cellules minimalistes est bien évident : éviter que nous nous suicidions avec nos plateaux repas, ou que nous nous pendions avec une couverture trop longue. Impossible de mourir, même si nous en avons follement envie. Notre vie est vraiment injuste jusqu’au bout, jusque dans la mort.

Au bout du couloir, deux portes : l'une menant à la salle d'entraînement, l'autre à l'arène.

Pas de combat aujourd'hui, pas de meurtre à coup de poings, pas de souffrances inutiles.

Juste de l'entraînement, mon défouloir quotidien, ma porte de sortie lorsque l'envie de me fracasser la tête contre le mur de ma cellule me prend aux tripes.

Je sais que vous êtes vivants, reste à savoir quand est-ce que nous nous reverrons. Le plus tôt sera le mieux, n'est-ce pas ?

Dans la salle d'entraînement, sont mises à notre disposition une flopée de machine, ainsi qu'une myriade de militaires armés nous braquant sans cesse. Leur but premier est d’éviter que le drame de l'examen de détachement ne se reproduise.

C'est horrible à dire, mais tous les garçons, toutes les filles présents ici, finirons par mourir dans quelques semaines. De mes mains, ou de celles d'autres participants, qui eux-mêmes finiront par tomber face à moi, et par me supplier. De les épargner, de leur laisser une chance, de céder ma place de champion.

Sauf que dans ces Jeux, deux sorties du ring sont permises : victorieux, ou mort.

Autant dire, que je ne me vois pas sortir avec la deuxième option dans un avenir proche.

  • Tu connais les règles ?
  • Ouais connard, ça fait deux putains d'années que vous me séquestrez, alors je commence à les connaître vos règles à la con.
  • Ton langage.
  • Quoi ? Tu veux quand même pas que je te témoigne du respect en plus ?

Je vois à son regard qu'il a envie de me frapper à coup de perche électrique, mais se retient : je suis le favori du public, autant dire que me blesser ne fait clairement pas parti de ses droits. Ou du moins, de me blesser à outrance – il ne se gène pas pour me cogner dessus quand l'envie lui en prend, mais jamais en salle d'entraînement.

Je le dévisage, lui adresse un majeur dressé avant de tourner les talons et de me rendre sur le tapis de course, histoire de décompresser et d'entretenir mon endurance.

Durant les Jeux, le principal est de ne pas se laisser fatiguer par l'ennemi, sinon c'est la fin. Il faut savoir attaquer vite et bien, ne pas laisser le combat durer en longueur, sauf lorsque le directeur me le demande explicitement. Dans ce cas, je laisse traîner, offre du spectacle, mais c'est rare. Il sait que je ne suis pas un showman. Je ne l'ai jamais été.

Mes jambes commencent à se mouvoir sur le tapis, tandis que mon regard vagabonde sur les autres personnes présentes dans la salle : trois filles et quatre garçons. Du premier abord, je peux facilement cerner ceux contre qui je risque de tomber, et ceux qui mourront dès leur premier combat.

Lentement, mon souffle s'accélère, et j'inspire, expire, pour réguler les battements de mon cœur.

Je cours depuis environ une demi-heure lorsque la porte s'ouvre à nouveau sur un homme en costume deux pièces bien trop propre sur lui pour être un surveillant. Il tient entre ses mains un porte-vue en plastique rouge, et échange quelques mots avec le responsable de la salle, avant que ce dernier ne se tourne face à nous, sourire aux lèvres.

  • Jeunes gens, écoutez-moi !

Je n'arrête pas de courir, mais laisse tout de même mes oreilles traîner de son côté, avide de savoir qu'est ce qu'ils nous ont encore réservé.

  • Dans trois jours, le directeur en chef sera là pour assister au combat. Donc du spectacle, du show, de l'émotion, d'accord ?

Le directeur général ? Ce qui était donc le supérieur de Criada ? Ben tiens, si je pouvais lui glisser quelques mots à celui-là...

  • Alors on se comporte bien, n'est ce pas Pogbal ?
  • Ouais ouais, je marmonne en accélérant le rythme de mon tapis.
  • Le gagnant du combat aura droit à un repas avec le directeur en chef, ça suffit à attiser votre curiosité et votre désir de gagner ?

Un ''oui'' collectif auquel je ne participe pas lui répond, et je fronce les sourcils : peut-être qu'en gagnant, je pourrais lui demander, lors du repas, de pouvoir ne serait-ce que répondre à Mia ?

Je divague, m'envolant dans mes souhaits les plus fous, ne faisant plus attention à rien. Je ne pense plus qu'à ça, ce combat, ce repas, cette opportunité, peut-être la seule qui me sera présentée avant un long moment. Je dois m'en saisir, faire bouger les choses, je dois reprendre cette seconde vie en main.

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