21 (partie 1)

11 minutes de lecture

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Mia

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Assise, comme tous les autres autour de moi, j'observe nos deux professeurs au centre du cercle que nous avons formé. Aujourd'hui, selon eux, fait l'objet d'un cours spécial. Un cours où leur présence à tous les deux, est obligatoire.

Je tourne la tête, distraite, pour aviser Elio à ôté de moi, légèrement penché en arrière en appui sur ses bras tendus. Il semble fixer le plafond, ailleurs.

Cela va bientôt faire un mois que, nous sortons plus ou moins ensemble. Je dis ça parce que, à son grand drame, je ne me sens pas encore d'exposer notre relation à tout le monde. En premier lieu, à cause de Léo.

J'ai pu échanger avec Lou et me rendre compte que notre ami recommençait à se monter la tête pour tout et n'importe quoi nous concernant, un peu comme il l'avait fait en troisième, au collège. Et cela nous inquiète vraiment car, la dernière fois que nous avons vécu un épisode de ce genre, il s'est avéré que Léo, n'allait pas bien du tout. Que moralement, ce n'était pas du tout la grande forme. Nous avons tous les deux peur d’une rechute, d’un malaise qui pourrait lui être défavorable dans le cadre actuel des choses. Je pense qu’à Reborn, un mal-être moral ne sera pas le bienvenu.

C'est pourquoi, j'attends de voir comment va se passer la suite des événements, avant d'officialiser notre relation, à Elio et moi, face au grand public.

  • Bien, est-ce que tout le monde écoute ?

La voix tonitruante de notre professeur physique me coupe dans toutes réflexions, et je bats des cils, lentement, revenant durement à moi.

  • Aujourd'hui, est un jour spécial. Vous allez recevoir votre premier cours de...
  • ... de détachement, achève madame Bercelo.

Je penche la tête sur le côté, incompréhensive. Un cours de détachement ? Qu'est ce que c'est que ça ? Sûrement encore l'une des idées prétendument avant-gardistes de Reborn.

  • Pour cela, vous allez nous suivre, jeunes gens, jusqu'au bâtiment de simulation. C'est là-basque se trouve la salle de détachement. Et d’ailleurs, exercices de simulation dans deux jours !

Du coin de l’œil, j'avise Lou chuchoter quelque chose à l'oreille de Léo, et ce dernier, hausser un sourcil étonné.

Puis, lentement, je sens la main de Elio effleurer la mienne, inconsciemment, alors qu'il se lève pour suivre nos professeurs.

Je l'imite, assez maladroitement, et me rattrape de justesse au bras de Sarah, mes jambes emmêlées sur le point de me faire chuter.

  • Tu as pas l'air bien, Mia, me lance t-elle avec un regard morne.

Je me mords les lèvres, assez effrayée face à l'air totalement neutre de Sarah, et me hâte de rejoindre Léo, Lou et Elio.

Ils nous avaient prévenus. On ne peut pas dire que cela soit une surprise, or je m'attendais cependant à une arrivée plus progressive que cela. Sarah, a commencé à perdre ses sentiments. Et je dois dire que, c'est vraiment terrifiant à voir. Depuis novembre, j'ai appris à connaître les gens de ma classe de fortune, et Sarah faisait clairement parti de ces personnes pleines de vie, aux sourires communicatifs et aux rires chantants. Depuis le début du mois de janvier, elle a commencé à muer en une autre personne. Une coquille vide, ne s'ébranlant jamais qu'importe les situations, ne souriant plus, et ne répondant qu'à peine lorsqu'on lui parle.

Ça me terrifie. Car j'imagine, qu'intérieurement, j'ai juste peur, vraiment peur, de finir comme elle. La seule chose qui me rassure n tant soit peu, est l'état dans lequel je me trouvais lors de mon altercation avec le sous-directeur Criada : hors de moi. Ce qui me laisse à penser, que je ferais partie des Reborn qui ne perdront pas leurs sentiments mais qui, au contraire, les développeront à leurs paroxysme.

  • Vous pensez que ça consiste en quoi, un cours de détachement ?

La question de Elio me ramène brutalement à moi, et intérieurement, je gronde ; depuis ce matin, je me sens comme... perdue. Comme si je regardais ma vie à travers un écran de télévision. Je n'aime pas ça du tout.

  • Tsss, cherches pas Sam. Sûrement une idée ma foi fort brillante de Reborn.

L'un des militaires nous escortant comme à l'accoutumée, se tourne légèrement vers nous, et agite un sourcil.

  • Oh le blondinet, évite de faire ce genre de commentaire. Mes supérieurs n’aiment pas tropque les élèves jugent leurs façons d'enseigner, si tu vois ce que je veux dire.
  • J'en ai rien à faire de leurs préférences.
  • Comme tu voudras.

Nous arrivons au bâtiment des simulations en quelques minutes, et à la simple vue de la pièce où s'est déroulé notre test, je sens mon ventre se tordre.

Notre professeure théorique nous a prévenus que dans quelques jours, nous reprendrions les simulations, afin de contrôler nos peurs.

  • Entrez, nous presse monsieur Yersen.

Je rouspète lorsque je sens un canon d'arme s'enfoncer entre mes omoplates pour me signifier d'avancer, et finis par m'exécuter bon gré mal gré.

La salle est plutôt grande, et ressemble à s'y méprendre à une salle de science traditionnelle que l'on pourrait retrouver dans n'importe quel lycée du pays. Quelques îlots pour cinq personnes, du mobilier blanc, des ustensiles scientifiques entassés dans le fond de la salle.

  • Les filles d'un côté, les garçons de l'autre, on se dépêche.

La voix de notre professeur physique est tendue, et je ne comprends pas pourquoi. À première vue, j'ai l'impression que les cours de détachement lui plaisent autant que nous plaisent les simulations.

  • Approchez de cet îlot, mesdemoiselles.

Madame Bercelo nous offre un large sourire, et nous invite à nous asseoir, avant de se placer face à nous.

Du coin de l’œil, j'avise les airs totalement perdus de Lou et Elio, tandis que Léo lui, semble plutôt partagé entre le scepticisme et l'agacement.

  • Bien, reprend notre professeure. Je vais vous distribuer une boîte, et un petit sachet. Je vous demanderais d'attendre que tout le monde ai son matériel avant d'observer le contenu de la boîte, et le contenu du sachet.

Je hoche la tête, distraitement, et avise le léger tremblement des mains de Alexia, à côté de moi. Ses lèvres pleines sont tordues en une sorte de sourire de travers, et ses yeux clairs ne savent visiblement pas quoi fixer, entre notre professeure, ou bien ses propres mains tremblantes.

  • Alex, ça va aller, je lui glisse tout bas.
  • Je n'aime pas les salles de science. J'aime pas les sciences tout court en fait.

Elle me coule un sourire nerveux, tandis que madame Bercelo revient enfin vers nous, avec dans les mains cinq boîtes en plastique opaque, et cinq sachets en plastique hermétique.

Lorsqu'elle pose face à moi, ma boîte et mon sachet, je sens mon ventre se contracter anormalement. Bien que je ne sache pas ce qu'il se trouve à l'intérieur de mes deux contenants, je me sens étrangement tiraillée par une peur que je n'explique pas.

  • Allez-y, nous encourage madame Bercelo, elle-même munie d'une boîte et d'un sachet.

Délicatement, je porte mes mains au sachet, préférant garder la boîte – que je redoute le plus – pour la fin. Alexia, à côté de moi, m'imite et attrape rapidement son sachet avant de l'ouvrir et de glapir en en découvrant le contenu. Moi-même, je sens mes mauvais pressentiments se concrétiser, alors que du sachet en plastique, glissent un poignard, un revolver, et une seringue remplie d'un liquide jaunâtre.

Ma bouche s'ouvre pour inspirer, mais aucun air ne semble décider à passer. Ma gorge, sèche, me démange tandis que je relève la tête pour aviser l'îlot des garçons.

Léo a déjà ouvert sa boîte, et de cette dernière, sors une adorable petite tête de souris, ou de rat, mon ami étant trop loin pour que je puisse bien distinguer.

Mes mains saisissent le couvercle de ma boîte, et je l'ouvre dans une inspiration, pour découvrir à l'intérieur un petit rat blanc, le bout du nez reniflant à tout va, cherchant visiblement la sortie de sa prison de plastique.

  • Vous avez le choix : poignard, revolver, seringue... ou à mains nues.
  • C'est hors de question, couine Alexia en repoussant s la boîte loin d'elle.

Je la regarde faire, et échange un regard hébété avec Lou, lui-même tourné vers moi, son rat entre les mains.

  • Le but de cette formation, est de faire de vous des Reborn confirmés. Et ce titre, incombe qu'à l'avenir, lors de vos missions, vous serez sans doute amenés à prendre des vies. Nous allons, lors de ces cours, vous apprendre petit à petit à perdre votre culpabilité, vos ressentis personnels, lorsque vous ôtez la vie. C’est essentiel pour la suite.

Comprenant au ralenti ce que vient de nous annoncer monsieur Yersen, je déglutit, et ferme les yeux, avant de les rouvrir. Ce rat, que nous devons vraisemblablement abattre, n'est en réalité que le premier stade, le premier niveau de ce cours. Et j'ai vraiment, vraiment peur de découvrir les niveaux suivants.

  • Je ne prendrais pas la vie de ce rat, s'insurge Elio en refermant sa boîte.
  • Oh que si.

Je cesse de m'intéresser à Elio et la conversation musclée qu'il entame avec monsieur Yersen pour me concentrer sur mon propre rat, lequel me fixe avec ses petits yeux noirs, comme si il savait ce qui allait se passer.

  • Le choix de l'arme que vous prendrez pour tuer ce rat, nous donnera déjà une première idée de votre appréhension de la mort, et surtout, du fait de la donner. Alors, choisissez bien.

Mes doigts tremblent, tandis que je laisse le petit animal grimper au creux de ma paume ouverte. La sensation de ses petites griffes sur la peau tendre de ma main me donne un haut-le-cœur.

Chez moi, j'avais des rats domestiques. Je me rappelle les avoir nommés en fonction de jeux de mots, que je trouvais marrant à l'époque. Comme Pide – le rat Pide – ou Phaël – le rat Phaël. Et, je sais également reconnaître un rat adulte, d'un raton. Et ces petites créatures que nous demandent d'abattre nos professeurs, sont bel et bien de jeunes, voir de très jeunes ratons.

  • Allez, on y croit les filles.
  • Madame, je ne peux pas, s'épouvante Alexia.
  • Mais si, regarde.

Madame Bercelo ouvre sa propre boîte, et quatre petits ratons en sortent, tous museaux dehors. Je la regarde en saisir un, et mes yeux s'écarquillent lorsque d'un coup sec, elle brise la nuque de l'animal sans une once d'hésitation.

Un cri étouffé, assez strident, m'échappe. Presque aussitôt, Léo se tourne face à moi, et me lance un regard qu'il imagine sans doute réconfortant. Sauf que je ne peux pas être réconfortée alors même que l’on m’ordonne de donner la mort, à ce petit animal aussi bas soit-il sur l’échelle alimentaire.

Je suis contre les souffrances animales. Je ne tuerai pas ce rongeur.

Au bout de notre îlot, j'avise Paulina saisir son poignard, et l'enfoncer durement dans le petit corps innocent du raton devant elle.

  • Mais tu es malade ! je brame avec véhémence.
  • Calme-toi Mia, c'est un putain de rat. Un nuisible, c'est quoi le problème ?

Sa froideur me pétrifie sur place, alors qu'elle ressort le poignard ensanglanté du corps de l'animal, et sans ajouter mot, je reporte mon attention sur mon petit raton, blotti au creux de mes mains.

  • Madame, la seringue, c'est quoi dedans ?
  • C'est un anesthésiant, qui entraîne la mort. On peut dire que pour ton rat, ce sera la mort la plus douce.

Si je dois obligatoirement tuer ce raton, je le ferais sans souffrance pour lui.

  • Arrête de jouer aux plus malins et tue ce rat bordel !

La voix de monsieur Yeersen me force à redresser la tête, pour apercevoir Lou, debout, sa boîte fermée entre les mains, agitant vivement la tête de gauche à droite.

  • C'est hors de question. Je ne tuerai pas. Et ce que ce soit un rat, ou n'importe quoi d'autre.

Le visage de notre professeur physique, jusqu'alors crispé d'agacement, se détend, et d'un signe de main, il demande à l'un des militaires de s'approcher.

Je fronce les sourcils, n'aimant pas que des militaires se tiennent aussi près de mes amis.

  • Premier refus monsieur ?
  • Oui. ... allez-y, soupire t-il avec lassitude.

Je plisse les yeux afin de réussir à voir ce qu'il se trame du côté de l'ilot des garçons, et sens mon cœur rater un battement lorsque le militaire sors d'un étui pendant à sa jambe, une longue perche en métal noir. Je vois sa main allumer un interrupteur sur le manche de cette dernière, et avant que je n'aie pu dire ou faire quoi que ce soit, il en donne un violent coup à Lou.

La lumière aveuglante que produit d'ordinaire un éclair, illumine la salle, et Lou tombe à genoux, le souffle court, le corps parcouru d'étincelles. Une légère convulsion de ses muscles, un gémissement de douleur, puis un rire : celui de Yersen, mauvais.

  • Ça fait mal n'est-ce pas ? À chaque refus, la tension augmentera. Tu refuses toujours de tuer ce stupide rongeur ? crache le militaire.
  • Je ne veux... pas...

Nouveau coup de perche.

D'un bond, je me lève, mais un militaire s'approchant de moi me dissuadant de bouger d'avantage. Son corps obstrue le passage, et je rugis de colère en m’apprêtant a lui bondir au cou.

Lou, étendu sur le ventre, à même le sol, est parcourut de violents spasmes dûs aux choc électriques. Mes yeux s'embrument de larmes, et je sens la main réconfortante d'Alexia étreindre la mienne.

  • Arrêtez bande de connards, s'exclame Léo en s'interposant entre Lou et la perche.

La peur, la douleur, me donnent envie de vomir.

Ils savent pourtant, qu'ici, nous ne sommes pas plus humains que des animaux. Que nous ne sommes que des créatures ni vivantes, ni mortes, dont le seul avenir est d'être dressées pour ensuite être au service de Reborn. Que notre vie, que notre souffrance, n'a aucune valeur à leurs yeux.

Un cri de douleur de Léo me fait l'effet d'une gifle monumentale, tandis que mes yeux s'embuent de larmes, brûlants.

— Léo, Lou !

Excédée par la vue de mes deux meilleurs amis à terre, sous les coups de la perche électrique, je me sens tout d'un coup prise d'une colère fulgurante, et n'en trouve dans cette salle, que le coupable suivant : le raton, face à moi. C'est de sa faute si Lou et Léo se font rouer de coups de perche électrique, c'est de sa faute si je me sens aussi mal. Car il symbolise ici, la vie, la mort, la souffrance, et les choix qui nous sont obligatoires. À lui seul, il représente l'essence même de cette école de l'enfer.

Je le déteste.

C'est pourquoi sans même me rendre compte du sourire satisfait de madame Bercelo, j'attrape mon rat, et le brise en deux, sous l'impulsion de ma force nouvelle. Pas un couinement, pas une éclaboussure de sang, seulement la sensation de sentir le squelette fragile de l'animal se rompre sous mes doigts.

En un instant, la colère est partie.

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