3 (partie 2)

12 minutes de lecture

.

Léo

.

   Dans mon rêve cette nuit-là, je suis bien ; je vole, je crois. Au-dessus de la couche de nuage, juste avant la stratosphère. J'ai juste à étendre mes bras, et à planer, comme un oiseau. C'est grisant. Je sens l'air me balayer le visage, la sensation de vertige me prendre, mais je n'ai pas peur. Car au fond de moi, je me sens en sécurité.

Lorsque je tourne la tête, je vois Mia et Lou, qui volent avec moi, sauf qu‘eux ont des sortes de propulseurs sous leurs chaussures, ressemblant à des réacteurs de fusée. Lou fait une pirouette en volant, et je rigole. Moi je n'ai pas besoin de réacteurs, mon seul corps parvient à voler sans l'aide de personne. C'est mon super pouvoir.

Puis, brusquement, je sens une main froide se poser sur mon cou, et j'ouvre les yeux, d'un coup.

Il fait noir, nuit noire, et pourtant je sens l'odeur de Lou, au-dessus de moi. J'ouvre la bouche, pour lui crier dessus, lorsque sa propre main s'écrase sur mes lèvres pour me stipuler de me taire et qu'il se rapproche de moi, afin que je l'entende malgré son chuchotement.

  • Je vais réveiller Elio, toi, envoie un message à Mia. Dis-lui de s'habiller et de réveiller Charline, puis de nous rejoindre dans moins de cinq minutes. Et surtout, qu'elles n'allument pas les lumières.

Je veux répondre, puis le ton grave de son chuchotement me heurte de plein fouet, comme un coup de poing en plein ventre. Alors je me tais. Même pas sûr que je ne sois pas encore en train de rêver. Ou plutôt, de cauchemarder, vu les circonstances. Et à dire vrai, je ne cherche pas tellement à me poser trop de questions, en me contentant d'agir, toujours dans les vapes de mon rêve. Lou a disparu de mon champs de vision, et au fond de mon ventre, je sens comme un vide profond, dans lequel s’engouffrent mon cœur et mes poumons. Mon souffle bien que calme, commence doucement à faiblir, un sentiment de peur que je ne comprends pas m'étreignant la gorge.

D'une main tremblante, j'attrape mon téléphone, et tape le message que Lou m'a demandé de transmettre, avant de me lever, et de commencer à m'habiller. J'entends Lou parler à Elio, à quelques pas de moi, dans un mumure tendu qui ne lui est pas habituel.

  • Qu'est ce qui se passe... ? je marmonne, tout bas.
  • Il y a des mecs armés dehors, ils sont en train de fouiller les bâtiments. On doit prévenir les surveillants et sortir d'ici. Ou appeler la police, j'en sais rien. Appelle les flics Léo. J'ai un mauvais pressentiment.
  • Ils ne nous veulent peut-être pas de mal ?
  • Regarde par toi-même. Moi, je n'ai pas l'impression qu'ils sont là pour boire le thé.

Je fronce les sourcils, et jette un coup d’œil par la fenêtre. La lumière de la lune me permet de distinguer, comme me l'a dit Lou, des silhouettes armées passant de bâtiment en bâtiment, et se rapprochant de plus en plus de notre internat. Et au milieu de la cour, devant la bibliothèque, il me semble bien distinguer ce qui pourrait s'apparenter à un corps étendu au sol, inerte.

  • Tu as prévenu quelqu'un... ?
  • Non, j'ose pas sortir de la chambre. Ils sont peut-être déjà à l'intérieur de l'internat...

Sa voix tremble, et je sens mon cœur tambouriner plus fort dans ma poitrine.

Déjà...là ?

Qu'est ce qui se passe ?

Rapidement, j'enfile un jean et un sweat à capuche, avant de prendre mon portable, et de composer le numéro de la police.

Une sonnerie, deux sonneries. Voix.

  • Urgences nationales, j’écoute.
  • Bonsoir, je m'appelle Léo Pogbal. Je suis actuellement à l'internat du lycée Liberty à Sera. Dans notre cour, il... il y a des types armés, et je crois bien qu'il y en a un qui est mort et...
  • Internat de Liberty à Sera, c'est cela jeune homme ? Restez calme, nous envoyons quelqu'un. Combien y a t-il d'individus ?
  • Je sais pas, quatre, peut être cinq.
  • Vous êtes seul ?
  • Non, je suis avec mes camarades de chambre.
  • Très bien, restez en ligne. Et surtout, ne bougez pas.

Je tremble de tout mon long. Je n'aime pas ça. C'est un sentiment qui ne m'est pas coutumier, cette peur s'emparant lentement de chacune de mes cellules, cette panique d'avoir au bout du fil un service d'urgence national qui va bientôt envoyer des renforts pour contrer un ennemi dont nous ignorons le visage.

  • Prends une de mes haltères, me lance Lou.
  • Pourquoi ? je rétorque en couvrant le microphone du portable de la main.
  • J'en sais rien, ça pourra toujours servir... si on a besoin de se défendre ?

Il se croit dans un film hollywoodien ou quoi ? Assommer quelqu'un à coup d'haltère, vraiment ? Cependant, je ne fais aucun commentaire, la situation n'étant pas appropriée, et m'exécute, attrapant l'une de ses haltères au sol, pour la ranger dans un sac à dos que j'ai attrapé avant d'appeler les secours.

  • Vous êtes toujours là jeune homme ?
  • Oui.
  • Nous venons d'envoyer des renforts, restez calme. Avez-vous un adulte a proximité ?
  • Non, notre surveillant doit être dans sa chambre...
  • Très bien. Surtout, ne quittez pas la vôtre.

Plus facile à dire qu'à faire tiens.

Elio, à quelques pas de nous, désormais debout et presque habillé, enfile ses chaussures sans mot dire, la mine grave.

  • Envoie un message à ton père, je lui lance en m'approchant de lui. Préviens-le.
  • Euh... ouais, je... ok.

Il ne semble pas tranquille, mais ne tremble pas pour autant. Son self-control m'impressionne, compte tenu de l'état dans lequel il était tout à l'heure, lors de sa crise d'angoisse.

Une heure sept à mon réveil, lorsque je vois du coin de l’œil, la porte de notre chambre s'ouvrir sans bruit, pour laisser passer Mia et Charline.

  • Il se passe quoi ? demande t-elle sans faire attention au volume de sa voix.

Elle porte un jean, un tee-shirt et une veste noire, de même que Charline, bien que cette dernière semble bien moins alerte que ma meilleure amie. Ses cheveux sont en bataille, et je souligne qu'elle a encore la trace de l'oreiller sur la joue.

  • Moins fort, je murmure en m'approchant d'elle. Lou, il faut prévenir les au...

Ma voix, tout comme mon corps, se bloquent lorsque quelque part à l'extérieur, se mettent à retentir de terribles coups de feu, rapides, continus, et signes d'un terrible présage.

Le temps se fige quelques instants. Moi, comme les autres, avons le temps de réaliser que quelque chose nous échappe vraiment, avant que nous cinq, n'inspirions dans un même mouvement, la gorge et l'estomac noués. Ma main tenant mon portable retombe le long de mon flanc, mes yeux incapables de se détacher des fenêtres.

  • Monsieur ? Vous êtes encore là ? Jeune homme ?

La voix de la femme que j'avais au bout du fil meurt lorsque je coupe le contact sans le vouloir, en voulant lui répondre. Je n'ai pas la force de rappeler, et de toute manière, les autorités arrivent.

  • Ok, on se tire, s'écrie Mia en attrapant le bras de Charline, après qu'une nouvelle salve de coups de feu ait retenti à l'extérieur.

Je ne suis pas quelqu'un de peureux, loin de là. Néanmoins, ce bruit, ce simple bruit de coups de feu, me paralyse. Je n'ai pas peur, je suis juste... figé. Comme si mes pieds étaient collés au sol, englués dans du ciment. Et pourtant, je dois bouger, il le faut. Il faut que nous quittions la chambre, que nous allions nous cacher, n'importe où mais hors de portée de ceux se trouvant à l'extérieur de l'internat.

  • Léo, viens, m’ordonne Lou en m'attrapant le bras.

Son contact, sur mon bras, la pression de son étreinte, me tire alors brutalement de ma torpeur, et je bondis en avant, attrape Elio par la capuche, et le tire à notre suite, dans le couloir désormais bondé des autres garçons, en pyjama.

  • Il faut évacuer ! hurle Lou en se tournant face à eux. Et il faut évacuer, maintenant !

Je fronce les sourcils face à leurs airs ahuris, comparables à ceux que nous pouvons parfois avoir face à une blague de mauvais goût, et je sens mon cœur tambouriner plus fort dans ma poitrine.

Ils doivent l'écouter, ils doivent lui faire confiance, ils doivent...

Les lumières se coupent d'un coup, dans un claquement, signe que quelqu'un vient de délibérément couper l'électricité depuis le compteu au sous-sol.

Ils sont là. Je ne sais pas qui ils sont, ni ce qu'ils veulent, mais ils sont .

  • BOUGEZ-VOUS ! je m'époumone, en faisant un pas en avant, dans leur direction.

Mes yeux s'écarquillent, tandis que la panique gagne enfin le troupeau amorphe de nos camarades. En un instant, le silence se transforme en une cacophonie de claquements de portes, de cris de panique et de sanglots commençant à se déverser, sous la pression.

Dans leurs têtes, doivent se rejouer les images des fusillades dans les lycées américains, des attentats parisiens du treize novembre, toutes ces images reflétant une violence échappant au contrôle de chacun. Dans ma tête, je ne fais pas que revoir ces scènes à travers le poste de la télévision, je suis dedans, dans les images, au centre de l’action.

  • Ils sont entrés, murmure Lou, le souffle court. Où on va, où on va ?!
  • Je...

Mia, dans l'obscurité, attrape ma main, et la serre dans la sienne, avant de se crisper, lorsqu'à l'autre bout du couloir, les doubles portes donnant l'accès à notre étage, s'ouvrent dans un coup sec.

  • Je sais pas où on va, mais on court ! murmure t-elle.

Je n'ai pas le temps de réfléchir, de me demander où aller, ni qui nous fuyons, qu'une lumière orangée s'élève dans le couloir, suivie d'une détonation tonitruante.

Un premier cri de douleur et mon estomac se serre anormalement.

Ce n'est pas nous qu'ils visent, en tout cas, pas pour l'instant. Peut-être même qu'ils ne nous ont pas encore vu.

En quelques secondes, nous nous retrouvons tous les cinq dans les escaliers menant au rez-de-chaussée, éclairés par la lumière verte des générateurs de secours.

  • Le troisième étage, murmure Mia. On peut accéder au troisième étage, puis au toit.
  • Et tu as les clefs du troisième étage ? je gronde sèchement.
  • Oui, elles sont sur le trousseau des délégués. J'ai pensé à le prendre avec moi en partant.

J'ai, l'espace d'un instant, l'impression qu'on me retire un poids des épaules, avant d'entendre, et de voir par les fenêtres des doubles portes, des hommes cagoulés passer en courant en direction de la seconde section de l'étage des garçons, leurs armes braquées devant eux.

  • On monte, ordonne Mia.

Nous nous élançons dans les escaliers, passons devant les doubles-portes de l'étage des filles, où les hommes cagoulés ne semblent pas encore être arrivés, et continuons notre ascension jusqu'au troisième étage, qui depuis des années, n'a pas été ouvert.

Avant la rénovation du lycée, il s'agissait d'un étage consacré au rangement du matériel éducatif comme les bureaux, les stocks de craie, les ustensiles de cantine. Et normalement, depuis cet étage se trouve une trappe permettant d'accéder au toit. Elle servait il y a des années, de passage permettant aux internes faisant partie du club d'astrologie, d'aller observer les étoiles.

Face à la porte donnant accès au troisième étage, Mia, les clefs en main, n'arrive pas à insérer cette dernière dans la serrure. Elle tremble beaucoup trop. Ses gestes sont hachés et flous, si bien que la clef ne cesse de tinter contre la serrure en métal, sans jamais y rentrer.

Alors, je vois Elio s'approcher d'elle, et poser sa main sur la sienne, afin de la guider jusqu'à la serrure, tout en lui murmurant de ne pas s'affoler.

La porte ancienne, s'ouvre enfin dans un grincement, nous donnant l'accès au troisième étage.

Je me précipite en tirant Lou derrière moi, ainsi que Charline et attrape Mia par la capuche.

  • Cachez-vous, je demande fermement. Je vais barricader la porte, Mia passe-moi tes clefs.

Elle hésite un bref instant, avant d'obtempérer et de me remettre le trousseau.

Logiquement, ils ne viendront pas jusqu'ici. S‘ils savaient où se trouvait le compteur électrique, c'est bien qu'ils connaissent un minimum l'endroit. Et donc, ils doivent bien savoir que le troisième étage est condamné, et est normalement inaccessible d'accès pour les élèves. Alors, plutôt que de monter sur le toit et de nous exposer, autant rester cachés là, sécurisés par la porte que je m'apprête à barricader, pour ultime bouclier.

D'une main, je ferme la porte à double tour, et m'approche d'une pile de bureaux, lorsque je sens une main se refermer sur mon épaule. Sursautant comme jamais auparavant, je me retourne, et tombe nez à nez avec Elio, qui s'éclaire grâce à la lumière de son portable.

  • Je vais t'aider, m'annonce t-il. Si tu tires les bureaux, ça fera du bruit à l'étage en-dessous. Il faut les déplacer avec précaution.

J'acquiesce, et attrape le bout d'un bureau, tandis qu'il prend l'autre extrémité, et nous le portons lentement jusqu'à la porte, pour en bloquer l'accès, et répétons la procédure jusqu'à ce que quatre bureaux n’obstruent l’accès à la porte..

  • Va te cacher, marmonne Elio. Et ne fais pas de bruit.

J'ai envie de lui répondre qu'il n'a pas à me donner d'ordre, lorsque je remarque que Mia n'est pas cachée, et que ses yeux sont braqués sur la porte.

Je l'ai rarement vu dans cet état, entre la peur et la détermination, semblant vouloir bondir en avant afin de faire je ne sais quoi, mais en même temps, tentée de reculer pour retourner se cacher.

  • Mia je t'ai dit quoi ?
  • On ne peut pas les laisser, souffle t-elle.
  • Oh que si on peut, et tu sais pourquoi ? Parce qu'à notre place, ils auraient fait pareil.

Je fais un pas en avant, m'apprêtant à la saisir aux épaules afin de la guider jusqu'à une bonne cachette, mais d'un geste vif, elle se dérobe et se poste face à moi, soudainement hargneuse.

  • On ne peut pas les laisser mourir sous les balles de ces malades ! Léo !
  • Tu ne redescendras pas, je grince.
  • Léo, ils vont mourir.

J'ai envie de lui hurler que c'est hors de question qu'elle redescende en bas, que je préfère mille fois voir tous les autres imbéciles de cet internat mourir plutôt que ne serait-ce la savoir en danger, lorsque Lou, tremblant, nous rejoint.

  • On peut en sauver, annonce t-il. J'ai peut-être une idée, je...
  • C'est. Hors. De. Question. Vous allez peut-être me prendre pour un connard insensible, mais moi vivant, aucun de vous ne quittera cet étage.

Ma voix ferme et sèche m'étonne moi-même, tant et si bien que je recule d'un pas, étourdi par ma propre colère.

  • On n'aurait pas à descendre, ou du moins, pas totalement, reprend Lou.
  • ... quoi ? je gronde en fronçant les sourcils.

Il m'explique alors, ce à quoi il vient de penser : les fenêtres sont majoritairement condamnées à l'internat, sauf certaines, notamment celles des chambres handicapés. Si nos camarades arrivaient à sortir par les fenêtres, ils nous seraient facile de les récupérer par celles du troisième étage, et ainsi de les mettre en sécurité.

  • Brillante idée, comme ça si l'un des mecs armés les voit passer par les fenêtres, ils sauront que nous sommes en haut.
  • C'est le seul moyen si nous ne voulons pas descendre. Certes c'est à double tranchant mais... au moins, on peut essayer. On envoie un message à une seule personne qui réunit les autres dans la chambre handicapée des filles, et qui verrouille la porte. Bien sûr, c'est un verrou de mauvaise qualité mais au moins cela retardera le moment où les mecs armés passeront. Tu comprends ?

Je m’approche de lui, réduisant la distance entre nos deux torses à quelques milimètres, pour le dominer de ma hauteur, laissant mon souffle balayer son visage. Il doit abandonner cette idée, se rendre à la raison, réaliser que nous ne pouvons sauver personne.

  • J'ai dit : non.

Lou fronce les sourcils, et plante une énième fois son regard dans le mien, tandis que je redresse le menton.

Cinq minutes plus tard, nous comptons déjà trois filles et deux garçons, remontés in extremis depuis les fenêtres de la chambre handicapée à l'étage des filles.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire Cirya6 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0