Le marché

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Silvio se lève tôt. C’est mardi, jour où madame Lavoretti réveille son fils cadet et part avec lui pour une grande aventure. Direction, le marché du Rialto. Certes, il existe des commerces plus proches, mais madame Lavoretti aime emmener Silvio pour traîner autour des étals remplis des meilleurs produits qu’offre la lagune de Venise.

Pour Silvio, c’est l’occasion de quitter Celestia, de passer un moment avec sa mère, de découvrir des ruelles, de traverser de nouveaux ponts, d’explorer des univers inconnus et souvent de rentrer en vaporetto.

Les trajets avec sa maman sont toujours plaisants, elle choisit des chemins détournés, à chaque fois différents. Tous deux sillonnent les petites places, les rues commerçantes où Silvio peut admirer, sans jamais y entrer, les devantures des boutiques de jouets ou celles plus rares d’objets exotiques.

La brocante du Signore Valente offre au garçon un spectacle merveilleux : une vieille pendule bleue trône dans la vitrine au milieu des verres anciens ou de peintures classiques. Sa mère et lui s’arrêtent devant le magasin et attendent patiemment l’heure. Quand elle sonne, un minuscule oiseau jaillit par une porte ouverte dans la façade en bois et pousse des « coucou » retentissants. Une fois le tour de chant terminé, la promenade reprend.

Après une succession de tours et de détours, ils arrivent au Rialto, le plus célèbre et le plus beau pont de la ville. Il enjambe le grand canal sur ses longues arches et offre aux passants des étalages de marchands de souvenirs et de produits de luxe. Silvio aime regarder les masques et les bijoux exposés dans les vitrines. Mais ce qu’il préfère, c’est la pause au sommet de la passerelle, au milieu des touristes, des amoureux qui se demandent en mariage ou formulent mille promesses. Là-haut, accoudés sur les balustrades de pierres blanches, sa mère et lui contemplent le méli-mélo nerveux des bateaux sur le grand canal. Gondoles, taxis, vaporettos et barges de livraisons se croisent dans un ballet perpétuel. Ils se frôlent, se longent, et échappent à chaque instant à l’accident qui paraît inévitable. C’est un moment magique lorsque le gondolier manie sa rame avec adresse et manœuvre sa noble embarcation pour éviter le motoscafo[1] impétueux.

Le temps du spectacle passé viennent ceux de la descente du pont et des courses au marché. Madame Lavoretti y retrouve toujours des connaissances avec qui elle échange des nouvelles dans d’éternels bavardages. Silvio patiente en regardant la représentation du marchand de légumes. L’homme, assis à proximité de son étal, armé d’un simple couteau, prend les artichauts dans un panier, les fait tournoyer dans sa main, en retire les feuilles et le sommet pour en dégager le centre. Ses gestes sont rapides et précis, il n’a pas besoin de se concentrer pour les exécuter, parfois, il discute avec un de ses collègues tout en accomplissant sa tâche. Dès qu’il termine son œuvre, il lance le cœur qui rejoint ses semblables dans un grand baquet d’eau. De temps en temps, il fait exprès d’éclabousser Silvio. D’autres fois, il lui propose de goûter un morceau. Mais Silvio s’est déjà laissé prendre à la blague une fois, il n’a pas trouvé l’artichaut cru à son goût, alors il refuse poliment et le marchand lui sourit en retour. Silvio sait retenir les leçons.

Quand le chariot de sa mère est suffisamment rempli de légumes et de fruits, elle appelle Silvio et ensemble ils se dirigent vers la Pescaria, la partie du marché réservée aux produits de la mer. Ils passent sous les hautes arches de pierres claires couronnées de bâtisses en briques rouges. Sous les lourdes poutres du plafond, au milieu des grandes colonnes blanches, les vastes tables de bois accueillent des dizaines d’espèces de poissons, de crustacés et de coquillages sur des lits de glace pilée. Les poissonniers se parlent d’un étal à l’autre, ils se racontent des histoires de famille, de pêche ou des blagues que Silvio ne comprend pas, mais qui déclenchent des vagues de rires chez les adultes.

Alors que sa mère discute avec un des marchands, une tache orange le long du quai attire le regard de Silvio. Le garçon regarde la silhouette agile qui se déplace dans un silence absolu et se poste devant une table, tout près d’eux. Silvio se concentre sur le gros chat roux qui, assis à l’écart de la foule, contemple chaque geste du poissonnier. Plus Silvio l’observe, plus il est convaincu qu’il s’agit de celui de Celestia, celui de son rêve, celui de l’Arsenal, le roi des matous. Le chat se tourne vers lui, cligne des yeux en signe de salut, comme s’il l’avait reconnu, puis bâille en découvrant ses longues dents et sa langue rose. Après cette marque de politesse, il reporte son attention sur le poissonnier.

Pris de pitié ou intimidé par le regard insistant du félin, l’homme fouille dans sa poubelle, y choisit un poisson abîmé et le jette devant le pacha. Ce dernier lui adresse un miaulement poli, baisse la tête vers Silvio en guise d’au revoir et ramasse sa prise avant de courir vers le quai. Silvio le suit sur quelques pas et le voit bondir dans un Traghetto.

Il n’existe que quatre ponts qui enjambent le grand canal. Pour traverser, les Vénitiens ont créé les Traghettos. Ce sont de longues gondoles à deux rameurs, elles transportent les gens d’un côté à l’autre, c’est un service payant, mais qui évite un interminable détour à pieds. Le chat salue les pilotes alors que le bateau quitte le quai. Silvio observe l’embarcation et ses passagers, tous debout, à peine dérangés par le frôlement de l’animal qui se faufile vers la proue. Une fois sur l’autre rive, il saute avec agilité et disparaît dans les ruelles.

L’esprit embrumé de questions, Silvio sort de sa stupeur lorsqu’il sent une main sur son épaule, elle le secoue gentiment. Maman !

— Que dirais-tu de prendre le vaporetto pour rentrer, mon Chaton ?

[1] Le Motoscafo désigne un bateau à moteur en italien, c’est le terme généralement utilisé pour désigner les bateaux-taxis à Venise.

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