Chapitre 11 - Beibhinn

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Je me retrouve devant ma penderie, ne sachant quoi mettre. J’ai besoin de me lâcher ce soir, de décompresser, et peut-être de ne pas rentrer seule. J’ai envie d’autre chose qu’un de mes sextoys. Oui, je me suis laissée tenter par quelques autres modèles depuis ma nouvelle vie, histoire de varier les plaisirs. Je me décide pour une robe noire arrivant au-dessus des genoux et des bottines à talon. Je me maquille seulement d’un coup de crayon noir et d’un rouge à lèvre carmin, je ne fais pas partie de ces femmes qui mettent une heure devant un miroir, je n’ai d’ailleurs jamais aimé ça. J’avise l’heure, il est temps de rejoindre Nya. Je récupère mon téléphone qui est resté au sol tout ce temps et grimace en voyant l’écran fissuré. Je réussis malgré tout à envoyer un message à ma compagne de soirée lui indiquant mon départ.

La chaleur et l’odeur typique du pub m’enveloppent instantanément lorsque j'en ouvre la porte. Le samedi étant une soirée scène ouverte, des musiciens sont en train d’accorder leurs instruments. Je porte mon regard à la ronde pour rechercher Nya. Tout en me faufilant parmi la foule, je la retrouve rapidement à une table proche du bar en train de siroter une pinte de bière.

— Comment tu vas ? lui demandé-je en m’asseyant après que l’on se soit embrassées.

— Ça peut aller, souffle-t-elle.

Je perçois à son ton que c’est loin d’être le cas. J’interpelle le serveur au comptoir et lui fais un geste pour commander la même chose que ma compagne.

— Nya, nous pouvons dire que nous commençons à être amie, n’est-ce pas ?

— Oui, je le pense également.

— Alors, dis-moi exactement ce qu’il se passe. Je sens bien que tu n’as pas l’air dans ton assiette. Tu n’arriveras pas à t’amuser si tu ne craches pas le morceau.

Elle me dévisage, un petit sourire aux lèvres avant de prendre une goulée d’air. J’attends patiemment qu’elle se lance.

— C’est Aaron. Un jour j’ai l’impression que je lui plais pour que le lendemain il soit distant. Et il y a mon frère qui ne semble pas voir cela d'un bon œil et qui oublie que je n'ai plus quinze ans. Je crois qu’il lui met la pression pour qu’il ne tente rien.

Je lève les yeux au ciel en imaginant très bien Lyam voulant protéger sa sœur comme il le fait avec sa fille. Une serveuse vient déposer ma bière devant moi. J’en bois une gorgée tout en réfléchissant.

— Je pense que ton frère n’a pas vraiment son mot à dire. Est-ce qu’il te plaît ?

Ses joues se colorent. Oui, je crois qu’Aaron l’intéresse. Elle se contente de confirmer avec un signe de tête.

— Tu as quoi ? Vingt-huit, vingt-neuf ans ? Je n’ai pas de frères ou sœurs, mais il me semble que s’il doit se passer quelque chose entre Aaron et toi, c’est à vous deux de le décider.

Elle s’affale sur la table, les bras autour de sa tête.

— Je sais, geint-elle. Il m’agace quand il se comporte comme ça. Si ça ne tenait qu’à moi, je dirais clairement à Lyam d’aller se faire voir ailleurs. Mais, Aaron et lui sont amis depuis tellement d’années. Ados, tous les trois avaient passé une sorte de pacte comme quoi aucun d'eux ne tenteraient quoi que ce soit avec moi. Comme dans ces putains de films !

— Mais vous n’êtes plus des ados, Nya. Et encore moins dans un film, réponds-je en rigolant.

Elle se redresse, réfléchit un instant avant que son air devienne déterminé.

— Tu as raison ! s'exclame-t-elle. C’est ma vie, après tout !

— Aux femmes indépendantes ! Santé !

Je tends ma pinte, et nous entrechoquons nos verres tout en rigolant.

La soirée se poursuit. Nya et moi discutons de tout et de rien. Nous dansons, buvons, chantons, et rions, le tout en apprenant à se connaître. Cet instant d'insouciance est une bénédiction après l’après-midi que je viens de passer. La dernière fois que je me suis sentie aussi bien, libérée, remonte à plusieurs années, avant même mon mariage d’avec Ryan.

Nous sommes sur la piste de danse à nous déhancher au son du groupe de rock qui passe, lorsqu’un homme se cale derrière moi et calque ses mouvements aux miens. Habituellement, je me serais retournée et aurais certainement envoyé paître l’importun, mais l’alcool aidant, je me contente de lui sourire. D’autant plus qu’il est plutôt charmant. J'entreprends alors une danse plus lascive quand Nya me tapote l’épaule. Je porte mon attention sur ce qu’elle regarde au loin, Aaron. À son air qui pétille, je vois bien qu’elle veut le rejoindre.

— Vas-y, lui dis-je à l’oreille.

— Tu es sûre, ça ne te dérange pas ?

— Non, allez file ! Amuse-toi !

Je la pousse gentiment tout en rigolant vers ce grand blond qui lui plaît tant.

Lorsque je me retourne, l’homme charmant qui m’accompagnait quelques secondes plus tôt n’est plus là. Peu importe, ce soir j’ai décidé de ne plus me prendre la tête, de me laisser aller, ne plus penser à rien et de profiter. Je retourne au bar pour commander une autre bière tout en me dandinant sur la piste, comme si la barrière que j’ai gardé toutes ses années était enfin brisée.

La soirée se poursuit. Je danse seule ou accompagnée. Souvent, j’ai la sensation d’être épiée, mais j’ai beau me retourner et scruter les environs, je ne vois rien. Aaron et Nya me rejoignent de temps à autre au bar ou pour danser. J’en suis à ma quatrième pinte que je partage avec Nya à une table un peu à l’écart. Aaron est parti je ne sais où.

— Alors, tout se passe comme tu veux ? demandé-je.

— Oh oui, me répond-elle joyeuse. Il me plaît vraiment, et je pense que c’est réciproque.

— Tu crois ? rigolé-je. Vu comment il te mange du regard, je pense que ce soir tu ne dormiras pas seule.

Nya devient aussi rouge qu’une tomate alors qu’un sourire prend forme sur sa bouche.

— Justement. J’ai toujours connu Aaron, je sais qu’il a eu beaucoup de copines, et ça me fait peur. Je n’ai pas envie d’être la énième nana avec qui il couche. Je sais pas, Bei. Je suis perdue.

Ses paroles font échos à mes propres pensées. C’est curieux comme, au final, les gens nous considèrent en fonction de notre sexe. Si tu es un homme, tu es un Don Juan, tandis que la femme restera une fille facile, ne se respectant pas. La société dans laquelle nous vivons est d’une hypocrisie sans nom. Moi homme, moi diriger, toi femme, toi faire bébé et toi te taire.

— Vous devriez avoir une discussion, ne serait-ce que pour être certain de vos attentes. Mais, fais-lui confiance, Nya. Ne te ferme pas à la possibilité de vivre une belle histoire.

Même si je peux comprendre ses inquiétudes, je ne peux m’empêcher de penser à ma propre situation. Ses yeux remplis d’émotions semblent me dire merci.

Aaron réapparaît au loin et se dirige vers nous. Je souris à Nya et la prend dans mes bras.

— Va le rejoindre. Profite de ta soirée.

— Et toi ?

— Moi ? Je vais finir ma bière et rentrer chez moi.

Toujours enlacées, elle me dévisage un instant.

— Tu es une belle personne, Beibhinn.

Son compliment me va droit au cœur et je la pousse gentiment vers son compagnon de soirée, et je l’espère, de plus.

Je finis ma boisson tout en repensant à cette soirée. Finalement, je rentrerai seule. Un jour, j’espère rencontrer à nouveau un homme qui me regarde comme le faisait il y a quelques minutes Aaron lorsque ses yeux se posaient sur Nya. Ils forment un joli couple, je leur souhaite de tout cœur d’être heureux.

Cette impression d’être observée me reprend d’un coup. Maintenant seule et au calme, je repère un regard bleu empli de colère. Lyam me dévisage au loin, une bimbo se trémoussant sur ses genoux. Ses iris me déstabilisent un instant. Pourquoi semble-t-il furieux ? Nous ne sommes rien l’un pour l’autre. Néanmoins, une vague de chaleur se répand en moi lorsque le fil de mes pensées se dirigent vers ce qu’il s’est passé dans ma baignoire, laissant libre court à mes fantasmes. À moins que je ne me fasse des films, et qu’il soit agacé que j’ai poussé sa sœur dans les bras de son ami ? Peu importe, si c’est le cas, il peut bien m’en vouloir, je reste persuadée que ces deux-là sont fait pour être ensemble. Mes yeux naviguent entre lui et la barbie qui rit aux éclats à l’une de ses copines tandis qu’il me fixe toujours aussi intensément. L’impression que cet après-midi n’a jamais eu lieu, que cette attirance qui semblait nous lier n’était que dans ma tête. Finalement agacée par cette fin de soirée, je décide de me lever pour me rendre aux toilettes avant de partir d’ici pour me réfugier sous ma couette.

Une fois ma vessie vidée, et mes mains propres, je marche dans le couloir qui mène à la salle principale du pub. Une poigne puissante empoigne mon bras et me pousse contre un mur. Je lâche un cri de stupeur, et essaie de me débattre. Je ne vois pas le visage de l’homme qui me garde prisonnière contre lui. Car je sais que c’en est un au vu de la prise, de l’odeur et de cette silhouette qui me surplombe. Des gouttes de sueurs froides longent ma colonne vertébrale. J’ouvre la bouche pour hurler à l’instant où mon genou cogne, essayant de s’abattre contre la partie sensible de mon agresseur.

— Putain, Bei !

Je souffle de soulagement en entendant la voix de Lyam, cependant ma colère reste entière. Je m’énerve tout en le repoussant de toutes mes forces. Aussi maigres soient-elles, j’arrive à le faire reculer de quelques petits pas.

— Lyam ! Mais, ça ne va pas ? De quel droit te permets-tu de me bloquer ainsi contre un mur ?

Il se repositionne face à moi, réduisant la distance entre nous. Son regard, mélange de lubricité et de dégoût, se fixe au mien.

— Et toi, Bei ? Pourquoi tu te frottes à tous ces connards ? C’est ça que tu veux ? me demande-t-il en appuyant son bassin contre moi.

Sa respiration alcoolisée s’échoue sur ma bouche. Je m’étouffe avec ma salive tandis que ma main part d'elle-même pour atterrir contre sa joue. Le bruit résonne autour de nous. Les larmes me montent, ma main vibre aussi fort que brûle en moi cette boule de rage.

Nos yeux se livrent bataille. Je sais, je le ressens au fond de moi, ce qui va exploser ce soir risque de ne pas nous laisser indemne.

— Tu n’es qu’un abruti, Lyam ! m’exclamé-je la voix chevrotante.

Comment peut-il penser que je le laisserai agir ainsi sans réagir ? Comment peut-il croire que je lui donnerais le droit de se comporter avec moi comme il le fait avec les autres. Je ne suis pas une de ces bimbos. Il me dégoûte, autant que je me dégoûte d’avoir espéré un rapprochement.

Je le détaille un dernier instant avant de lui souffler tout en essayant de camoufler mes émotions qui menacent de s’échapper :

— Ne t’approche plus de moi, Lyam.

Je m’éloigne en courant, des larmes s’échappant de sous mes paupières. Qu’est-ce que j’ai pu être idiote ! Un homme me sourit et j’ai la bêtise de penser qu’il s’intéresse à moi. Mes pas me portent comme mus par leur propre volonté de me tenir le plus loin possible de lui. Les gens protestent lorsque je les bouscule. Je m’excuse entre deux sanglots. La porte n’est plus très loin, je cours de plus en plus vite. J’ai besoin d’air.

Enfin, je suis dehors. L’air frais s’échoue sur mon visage. Ma tête tourne, je me sens vide. Je prends de grosses respirations, chaque goulée s’infiltrant en moi. Ce n’est pas suffisant, j’ai besoin de m’éloigner encore et encore, mais mes jambes flageolantes me forcent à prendre appuie contre le mur du pub.

La porte claque. Des pas résonnent contre les pavés. Un souffle rapide s’arrête à mes côtés. Lyam. J’arrive à sentir son parfum, son regard perçant dans mon dos.

— Désolé, chuchote-t-il.

Je refuse de lui faire face, pas après qu'il se soit conduit ainsi. Je le sens proche de moi. Sa respiration est forte, mais il ne dit plus rien. J’amorce un pas pour fuir, encore.

— Bei… S’il te plaît, regarde-moi.

Voyant que je ne compte pas me plier à sa demande, il me contourne et se plante face à moi, cependant, je me refuse toujours de lui obéir.

— Je suis désolé, Bei. Vraiment. Je…

Il gronde et souffle en même temps. Je me permets un léger coup d’œil que j’espère discret, malheureusement il surprend mon geste. Un sourire, à la limite de l'insolence, naît sur son visage. Un sourire que je rêve d’effacer de son beau visage.

— C’était quoi cette crise que tu m’as fait ?

Mettre les pieds dans le plat est ma spécialité, en plus ça a le mérite de lui faire perdre son petit air de vainqueur. Ses mains viennent frotter son visage. Je peux apercevoir sa joue toujours rougie par ma claque magistrale. Il part s'asseoir sur le bord du trottoir. Ses bras entourant ses jambes repliées, il lève la tête au ciel plusieurs longues secondes, puis il plante son regard au mien.

— Je ne sais pas, Bei. Je me suis mal conduit tout à l’heure, et je m’en excuse. Si ça ne te dérange pas, restons-en là. Je ne voudrais pas que mon comportement nuise à la relation entre les jumelles et Hope.

En moi, ses mots résonnent à m’en donner la nausée. J’ai bel et bien imaginé cet après-midi. Il n’y a jamais eu cette alchimie que j’ai cru ressentir. Je me sens tellement idiote ! Même à quinze ans, je ne me faisais pas autant avoir. Je sors de mes pensées lorsque j’aperçois Lyam, le bras tendu vers moi. Je le dévisage, ne comprenant pas pourquoi il se tient ainsi.

— Amis ? demande-t-il.

Mon regard passe de sa main à son visage et vis versa. Amis. Je prends une profonde respiration, puis attrape sa poignée. Amis. Nous les serrons brièvement avant que je ne me recule et fasse demi-tour sans un mot.

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