Chapitre 12 - Lyam

9 minutes de lecture

Ses talons claquent contre le sol alors qu’elle s’éloigne rapidement. J’ai failli commettre une belle bourde ce soir. J’ai mérité cette claque qui a eu le don de me remettre les idées en place. Ma mère a raison, je me comporte comme un véritable enfoiré. Pour la première fois depuis toutes ces années, je remets en question mes choix de vie, mon comportement. Et putain, qu’est-ce qu’il m’a pris d’avoir cette rancœur alors qu’elle dansait avec d’autres types ! La dernière fois que j’ai été envahie par un sentiment similaire, c’était à ce repas avec Erin lorsque le serveur ne faisait que la mater. Le soir de son décès, quand tout allait encore bien, qu’elle me souriait, qu’elle respirait.

Je me frotte le visage en faisant demi-tour pour rejoindre Noah à l’intérieur. Je suis dans une merde incroyable ! Si cela se sait par ma mère ou Nya – avec qui elle semble devenue proche – je risque de passer un mauvais quart d’heure !

Je passe en une demi-seconde de la fraîcheur nocturne à la chaleur étouffante du pub. Je ne suis plus d’humeur à la fête. Rapidement, je cherche mon pote qui discute avec une nana avec laquelle il compte finir sa soirée. Arrivée à sa hauteur, je m'assois lourdement sur la banquette. La blonde décolorée m’y rejoint instantanément, essayant de reprendre ses aises sur mes jambes. Je la bouscule, attrape ma veste sous ses insultes alors qu’elle tente de se relever et de se redresser sur ses talons aiguilles. Mon pote arrête sa conversation et me dévisage en essayant de décrypter ce qui se passe.

— Qu’est-ce qui se passe, Lyam ? Pourquoi tu courais derrière Bei ?

— Je sais pas, soufflé-je.

Il chuchote quelque chose à sa partenaire qui s’en va tout en lui souriant.

— Assieds-toi et explique-moi tout.

— Fais pas chier, Noah. Je ne suis pas d’humeur pour tes conneries de psychologie de comptoir.

Cet imbécile éclate de rire.

— Ça marche plutôt bien pourtant, pouffe-t-il.

C’est vrai en plus. Cet abruti arrive à se chopper de ces meufs en les écoutant chouiner. Bien qu’il soit l’un de ceux qui m’ont ramassé à la petite cuillère il y a huit ans, ce soir je ne suis pas encore prêt pour poser des mots sur ce qui se passe en moi. Je ne m’en sens pas le courage.

— Pas ce soir, Noah.

J’observe à la ronde et trouve la petite brune qui l’attend.

— Puis, il y en a une qui n’espère qu’une chose, que je me casse pour que tu la fasses grimper au rideau.

Il secoue la tête, amusé, puis pose sa main sur mon bras.

— Ok, quand tu seras prêt, tu sais où me trouver.

J'acquiesce et m’en vais en le plantant là.

Je suis réveillé par des chuchotements et des petits rires tout proches de ma tête. J’ouvre un œil et tombe sur Hope accompagnée des jumelles qui s’amusent avec un morceau de tissu à essayer de me chatouiller les pieds. Je grogne en attrapant mon téléphone. Il est neuf heures et j’en ai à peine dormi trois.

Hier soir, j’ai failli faire demi-tour pour me rendre chez Beibhinn. Honnêtement, je ne sais pas ce que j’aurais bien pu lui dire ou faire. Mais j’avais envie de m’excuser à nouveau de mon comportement d’homme des cavernes, mais je sais au plus profond de moi, que j’aurais voulu plus. Bien plus. Le souci, c’est qu’immédiatement après, j’ai pensé à ma fille qui, pour une fois, a des amies et pour qui tout se passe bien en classe. J’ai peur de faire une connerie et de lui enlever ce micro-équilibre qu’elle a enfin trouvé à l’école. Je suis rentré chez ma mère plutôt que chez moi, voulant retrouver cette ambiance paisible qui y règne et apaise mes maux depuis tout petit.

Alors, pendant des heures, je suis resté là, assis sur mon lit, à regarder de vieilles photos d’Erin et moi. Nous nous sommes connus à l’adolescence. Elle était fille de militaire et déménageait très souvent au bon gré des mutations de son père. Lorsqu'elle est arrivée dans mon collège, j’ai de suite flashé sur elle. Elle était si rayonnante, ses cheveux roux et sa peau blanche, lui donnait une allure dingue ! On aurait dit une naïade. Elle m’a tellement fait galérer avant d’accepter de sortir avec moi. Je me souviens, c’était à une fête chez Aaron. De fil en aiguille, on s’est apprivoisés. Elle, cette lionne au tempérament de feu, moi ce petit branleur qui ne voulait que la rendre heureuse. J’ai passé ma nuit à chialer comme un môme en repensant à tous ces précieux souvenirs.

Je suis ramené au présent à l’instant où Hope essuie une larme sur ma joue de son petit doigt. Je l’attrape et la serre fort contre moi. Ma fille, mon oxygène. C’est pour elle que je me bats tous les jours. Cette gamine est mon rayon de soleil. Du coin de l’œil, j’aperçois Ayleen et Ciara s’observer, gênées d’être à ce moment présent, ici. Je repousse légèrement ma baby, puis lui fais un énorme bisou sur la joue, un de ceux qui claque fort et qu’elle n’aime pas.

— Faut que je me lève, c’est ça ? demandé-je tout en connaissant déjà la réponse.

— Oui, confirme Hope. Grannie a préparé le petit déjeuner, et aintín est arrivé.

Je veux repousser la couette, mais m’aperçois que je ne suis pas montrable.

— Ok. Alors les filles, vous allez redescendre pendant que je me lève et me prépare. D’accord ?

— Ouiiiiiiiiiiii ! hurle Hope à mon oreille.

Aïe ma tête, bonjour gueule de bois.

Les filles repartent au pas de course, dévalant les escaliers aussi délicatement qu’un troupeau d’éléphants. Si avec ça je ne deviens pas sourd avant mes cinquante ans…

Je me lève de mon lit, attrape dans mon armoire des vêtements de rechange et file dans la salle de bain attenante à ma chambre pour un brin de toilette. J’en ressors propre, cependant mes cernes n’ont pas diminué. Je descends à mon tour et retrouve tout le monde attablé en train de rigoler tout en mangeant le petit déjeuner.

— Hello tout le monde ! m’exclamé-je en entrant dans la pièce.

Je me dirige en premier vers ma mère pour l’embrasser sur la tempe, puis à ma sœur que j’étreins avant d’aller me faire un café.

— Comment tu vas ? me demande ma mère. Tu as de sacrés cernes.

— Ça va, j’ai juste passé une mauvaise nuit. Et toi ? demandé-je en me tournant vers Nya.

Elle détourne le regard tout en se raclant la gorge, puis elle reporte ses yeux vers moi comme pour me mettre au défi de lui reprocher quoi que ce soit. Ma mère nous dévisage à tour de rôle.

— Que se passe-t-il ? nous demande cette dernière.

— Il se passe que je commence à me rapprocher d’un garçon et que ça déplaît à monsieur je veux contrôler la vie de tout le monde ! déclare ma sœur en me fusillant du regard.

— Je ne fais qu’assurer tes arrières !

— On se calme vous deux ! Je vous rappelle qu’il y a trois paires d’oreilles innocentes présentes à table.

Nous marmonnons tous les deux des espèces d’excuses. Ma mère a raison, nul besoin d’en parler à cet instant, le sujet aura bien le temps de revenir sur la table.

— Alors les filles, vous avez passé une belle soirée ? demandé-je.

— Oh oui, daidì ! Mhaimeo nous a laissé regarder le premier Harry Potter !

— Même qu’on n’a pas eu peur ! s’exclame Ciara – ou Ayleen ? –

— Et Sinéad nous a même fait du popcorn ! C’était génial ! ajoute la seconde jumelle.

— Oh, mais ça avait l’air super ! J’aurais peut-être dû m’incruster à votre soirée pyjama, les filles.

— Ah non, tu aurais pris toute la place sur le canapé ! s'esclaffe Hope.

Je me joins aux rires qui inondent la cuisine. J’écoute ma fille et ses copines, et ce doux son emplit mon cœur de joie et le panse.

— Au fait, papa. J’ai un mot à te faire signer. On va aller visiter la cristallerie avec la classe ! C’est trop bien, je vais te voir travailler !

— Ah… euh… ouais, c’est top ma fille.

Merde, j’en perds mes mots. Ça veut dire que même au boulot, je vais avoir Beibhinn sous les yeux.

Arrive l’heure de ramener les sœurs chez elles. Je n’ai vraiment pas envie de voir Bei aujourd’hui, je reste encore chamboulée par les pensées et les sentiments que j’ai pu ressentir hier.

— J’aurais tellement aimé que mes copines restent plus longtemps, dit d’une bouille boudeuse Hope.

— Je sais, ma baby. Mais on le refera si tout le monde est d’accord.

— Super, daidí ! T’es le meilleur papa au monde !

Je lui claque un énorme bisou sur sa joue encore légèrement potelée. Le meilleur père au monde… Non, mais je fais ce que je peux pour rendre hommage à Erin et faire en sorte que notre fille ne manque de rien.

— Allez, les filles. En voiture ! Nya nous attend, elle va nous amener.

Tout le trajet, les filles ne font que papoter et rire à l’arrière. Ma sœur me lance de temps à autre des regards comme pour savoir ce qui se passe dans ma tête pour que je sois si silencieux. Je stresse à l’idée de faire face à Beibhinn, mais je ne peux clairement pas en parler avec Nya, au risque de me faire arracher mon service trois pièces.

Nous nous garons enfin, puis sortons du véhicule. J’attrape le sac des filles tandis que la porte d’entrée s’ouvre. Beibhinn devait certainement nous attendre. Un sourire lumineux éclaire son visage et fait briller ses yeux. Je m’avance derrière les enfants et ma sœur, à l’instant où Bei m'aperçoit, son visage se crispe.

— Bonjour, la salué-je du bout des lèvres. Tiens, le sac des filles.

— Merci, me dit-elle en m’arrachant la anse des mains.

Nya nous dévisage à tour de rôle. Je me sens extrêmement mal à l’aise. Son regard meurtrier me peine plus que de raison. J’ai l’impression de manquer d’air, j'étouffe. Je ressens ce besoin de m’enfuir, d’échapper à son regard blessé. Je me sens comme un moins que rien face à son air réprobateur. La gorge nouée, je m’adresse à Nya :

— J’y vais, je dois me rendre quelque part.

Je ne lui laisse pas le temps de répondre. Je m’enfuis loin de cette maison.

Mes pas me portent machinalement jusqu’au cimetière Saint Otteran. Mes doigts s’attardent un instant sur la poignée de la grande porte en fer forgé. Je prends une inspiration avant d’ouvrir et longer les allées bordées d’herbe vertes. Je connais malheureusement cet endroit comme ma poche. Lorsqu’Erin est décédée, il m’arrivait souvent d’y passer un temps infini à pleurer mon désespoir et mon amour perdu. Parfois même, j’y restais la nuit entière, et ma mère, Nya ou les garçons devaient venir me récupérer sans que jamais ils ne me reprochent mon comportement. C’est durant l’une de ces nuits, que je me suis juré de ne plus tomber amoureux.

Après avoir passé la partie historique, je m’arrête enfin devant une tombe. Je caresse la stèle, m’attarde un instant sur les mots qui y sont gravés : “Pour toujours à toi

Je m’assieds lourdement au sol tout en poussant un râle de douleur. Une larme s’échappe de ma paupière. Un sentiment étrange m’étreint. Erin me manque terriblement, et à la fois son souvenir se fait de plus en plus diffus. Je lève les yeux au ciel en songeant aux émotions qui ont été les miennes. À cette culpabilité qui m’accable. Comment en suis-je arrivé à vouloir revenir sur la parole que je lui ai faite ? Mes mains empoignent mes cheveux tandis que je lâche un cri de douleur. J’essuie frénétiquement les larmes qui coulent toutes seules sur mes joues. Plusieurs minutes passent avant que je retrouve une respiration plus calme.

— J’ai oublié de t’apporter des fleurs, je suis désolé, dis-je à haute voix. Je… Hier soir j’ai fait une connerie. Je ne sais plus quoi faire. J’ai l’impression de t’avoir trompée en ayant eu envie d’embrasser Beibhinn. Je t’en ai déjà parlé, c’est la maîtresse d’Hope. Je suis perdu, Erin. Après ton départ, j’ai toujours pensé que je ne pourrais plus jamais désirer une femme comme je te désirais. Comme je la désire. Qu’est-ce que je dois faire ?

Je fonds à nouveau en larme tout en martelant la stèle froide. Pour la première fois, j’en veux à Erin de m’avoir abandonné, de ne plus être dans mes pensées jours et nuits.

— Qu’est-ce que je dois faire ? répété-je tout en plongeant sur le marbre.

Le vent se lève, les feuilles tourbillonnent tout autour de moi avant qu’un rayon de soleil perce les nuages pour venir caresser mon visage, m’apaiser. Puis, le silence revient sur le cimetière. Je ferme les yeux, juste deux minutes. Je suis épuisé.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Lucie "LaFéeQuiCloche" Lake ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0