Chapitre 2-2 - Lyam

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Après avoir mangé, je couche ma fille dans la chambre qu’elle occupe lorsqu’elle dort chez ma mère, puis reste avec elle pour notre rituel du soir. Alors qu’elle est allongée sous ses draps, je m’assieds à ses côtés.

— Alors, qu’est-ce que tu veux lire comme histoire ce soir ?

— P’pa ? Tu promets de pas te fâcher ?

— Qu’est-ce qu’il y a ma baby ? Tu peux tout me dire, tu sais, ajouté-je pour la rassurer.

— Comment… Comment était maman ?

Mes yeux s’écarquillent de surprise. Je ne m’attendais vraiment pas à ça comme question. J’essaie de prendre sur moi pour ne pas montrer à ma fille les émotions qui menacent d’exploser au grand jour.

— Euh… Ta mère était la plus belle femme de la Terre. Tu as ses cheveux, tu sais ? lui dis-je en esquissant l’ombre d’un rictus. Elle t’aurait adorée plus que tout.

Elle me sourit tristement.

— Hope, à quoi tu penses ?

— Je sais que ça te rend malheureux, mais moi j’aimerais la connaître. Même si c’est avec des photos ou avec des mots, ajoute-t-elle d’une toute petite voix. Je sais même pas pourquoi elle est morte.

Mes yeux se posent sur mon bébé qui a tellement grandi. Je dois prendre mon courage à deux mains, et enfin lui raconter la disparition de sa mère. J’ai tant redouté qu’elle me le demande un jour, que même en pensées, je n’arrivais pas à le lui expliquer. J’inspire et expire profondément avant de me lancer.

— Si tu as vraiment besoin de savoir, je vais te raconter tout ce que tu veux.

Ses yeux pétillent de reconnaissance. Je pensais avoir encore un peu de temps avant de devoir lui confier notre histoire, son histoire. J’espérais pouvoir encore reculer cet instant.

Je replonge dans le souvenir de ce moment funeste où mon unique amour m'a été arraché.

Putain, elle a dit oui ! Je me redresse tout en la maintenant dans mes bras, ma bouche toujours vissée à la sienne je me délecte de son odeur, de son goût, de ses gémissements. De notre bonheur. À bout de souffle, je m'écarte légèrement d'elle. Front contre front, je caresse son visage délicatement alors que je lui chuchote un je t'aime ému.

Mes doigts récupèrent fébrilement la bague pour lui passer autour de son annulaire. Alors que je suis préoccupé par le fait de ne pas faire tomber l’anneau, je ne remarque pas tout de suite qu’Erin semble figée. Un mauvais pressentiment s'empare de tout mon être lorsque je sens sa main molle dans la mienne. Inquiet, mon regard remonte instantanément sur son visage pâle lorsque, sans prévenir, son corps s'écroule sur le parquet.

Le rêve devient cauchemar.

Je me jette au sol et crie son prénom à m’en briser les cordes vocales. Mon corps est traversé de spasmes, un torrent de larmes ruisselle le long de mes joues pendant que je hurle entre deux soubresauts à ce qu’on appelle les urgences. Je perçois les gens autour de nous s’affoler, des éclats de voix, des bris de verres. On me pose des questions, mais mon esprit embrumé reste focalisé sur Erin, comme sans vie dans mes bras. Ses cheveux roux s’étalent sur le sol formant un halo, sa peau diaphane, son ventre se soulève difficilement et faiblement. Elle ne réagit pas à mon étreinte. Je la berce en lui murmurant que tout ira bien tandis que mon cœur sombre dans les ténèbres.

Je ne sais pas combien de temps je reste dans cette position, avec Erin contre moi, mais lorsque des personnes essaient de m’arracher à elle, je gronde, rugis qu’on ne me l’enlève pas. Puis, la voix d’une femme me parle à l’oreille, doucement, comme si elle redoutait de me faire peur.

— Monsieur, nous sommes les pompiers. Vous devez nous laisser faire notre travail.

Les mots mettent quelques secondes à se frayer un chemin jusqu’à mon cerveau, mais à ce moment je tourne la tête vers celle, compatissante, d’une femme d’une cinquantaine d’années. Elle me sourit pour m’encourager à me détacher du corps d’Erin. À contrecœur, je confie la femme de ma vie aux secouristes.

— Promettez-moi qu’elle va s’en sortir. S’il vous plaît.

Ma gorge se serre sur ces mots et les larmes coulent à nouveau le long de mes joues.

— Nous ferons tout notre possible, c’est tout ce que je peux vous promettre.

Je hoche la tête, conscient qu’elle ne peut faire plus. Je suis dirigé dans l’ambulance dans laquelle Erin est installée sur un brancard, sa chevelure flamboyante contrastant avec sa peau diaphane devenue encore plus pâle. Reliée de toute part à différents instruments permettant de la maintenir en vie, je n’arrive toujours pas à réaliser ce qui vient de se passer. Nous passions un merveilleux moment, elle venait d’accepter de se marier avec moi, et l’instant d’après, elle est comme morte dans mes bras. Je reste tout le trajet à regarder l’écran qui bipe. S’il fait ce bruit, c‘est que tout va bien, n’est-ce pas ? Je me raccroche à cet espoir.

Lorsque nous arrivons à l’hôpital, je suis pris dans un tourbillon d’hommes et de femmes. Ils courent dans tous les sens ne me laissant pas le temps de calmer mes émotions. Erin est amenée rapidement par tout un groupe dans une pièce dont on me refuse l’accès. Putain ! C’est quoi ces conneries ! J’ai envie de tout casser, d’exploser cette porte qui m’empêche d’être auprès d’elle.

Je ne sais pas comment j’arrive à l’accueil entouré de gens que je ne connais pas, attendant, eux aussi, sûrement des nouvelles de leurs proches. Alors que l’aube se lève, j’ai l’impression qu’il s’est passé une éternité quand un médecin appelle mon nom. Son visage impassible ne démontre aucune information sur l’état de santé d’Erin. Je m’avance rapidement vers ce gamin qui a presque mon âge, certainement un interne.

— Monsieur O’Connell ? Bonjour, je suis le docteur Byrne. Je suis en charge du dossier de votre compagne. À priori, Mademoiselle Walsh aurait été victime d’une tachycardie ventriculaire. Lorsqu’elle est arrivée aux urgences, elle était en arrêt cardio-respiratoire. Malheureusement, quand nous avons réussi à faire repartir son cœur, trop de temps s’était écoulé et son cerveau n’a pu être oxygéné comme il fallait. Elle semble en état de mort cérébrale. Je suis navré.

À ces mots, mon monde s’écroule. Ma tête tourne, mes oreilles bourdonnent. Je n’entends plus ce que ce médecin me raconte. Mon âme se désagrège. Je veux Erin, juste Erin. Sans elle, je ne suis rien. Mes poings se serrent, ma mâchoire se crispe. J’attrape cet abruti par le col de sa blouse, et le soulève de quelques centimètres.

— Vous allez retourner auprès d’Erin et la sauver ! le menacé-je, hors de moi.

Rapidement, des hommes de la sécurité m’agrippent les bras me faisant lâcher prise. Ils questionnent le docteur qui leur fait un signe de tête puis, tout en réajustant sa blouse, il s’adresse de nouveau à moi.

— Monsieur O’Connell, je suis vraiment désolé, mais nous ne pouvons plus rien faire pour mademoiselle Walsh. Cependant, nous l’avons placée sous assistance respiratoire pour la maintenir en vie et poursuivre la grossesse encore quelques semaines avant de devoir lui faire subir une césarienne. Votre enfant sera ensuite mis sous couveuse le temps nécessaire à son bon développement.

Putain ! J’en ai même oublié mon bébé. De nouveau, je perds pied avec la réalité, ma vue se trouble, ma tête tourne, et je ne comprends pas un traître mot de ce que le toubib me raconte.

En même temps que les souvenirs surgissent dans mon esprit, je lui raconte avec des mots d’enfants combien sa maman et moi étions heureux de nous marier, de l’accueillir. Malheureusement, l’avenir en a décidé autrement.

Une main fraîche me ramène au présent. Mon visage baigné de larmes entraperçoit celui de ma baby girl qui est dans le même état que le mien.

— On a appris par la suite que ta maman avait dû avoir des palpitations, mais qu’elle n’avait pas dû les sentir.

— C’est quoi des palpitations ?

Je me frotte le visage de mes mains pour me reprendre.

— C’est lorsque ton cœur bat trop vite, beaucoup trop vite..

Sans un mot de plus, je me glisse près de son petit corps, et la serre tout contre moi. Pas besoin de paroles. Seule la présence de l’un et l’autre nous suffit. J’attends que ses spasmes se calment, qu’elle s’endorme enfin. Je passe juste le fait que c’est sûrement moi et ma stupide demande en mariage qui ont précipités son décès.

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