Chapitre 1-1 - Beibhinn

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— Je prononce le divorce de Madame Beibhinn Ella Healy, épouse Murphy et Monsieur Ryan Murphy effectif à compter du 5 août 2020. Le droit de garde des enfants Kieran, Aylin et Ciara est accordé à Madame Healy, d’un commun accord entre les parties. Monsieur Murphy aura un droit de visite et d’hébergement pendant la moitié des vacances scolaires, dont les modalités seront exposées à vos avocats. La séance est levée.

Le juge frappe son marteau contre le bloc actant la fin de treize ans de mariage.

Je me retrouve à trente-trois ans célibataire, divorcée et maman de trois enfants. Ce n’est pas du tout ce que j’imaginais à vingt ans lorsque nous nous sommes passés la bague au doigt. Je pensais qu’on finirait nos vieux jours ensemble dans un cottage qu’on aurait retapé, mais parfois la vie en décide autrement. Nos sentiments ont évolué et nos chemins se sont séparés.

J’observe tristement Ryan, son visage est crispé, et je m’en veux toujours un peu d’avoir arrêté d’espérer que tout pourrait s’améliorer à force d’efforts. Il était contre ce divorce, contre mon futur déménagement de Dublin, mais comme il est peu souvent en Irlande, à cause de son métier, le juge n’a pas contesté ma demande. Suite à notre rupture, j’avais besoin de me ressourcer, de partir à la campagne. La vie au vert leur fera le plus grand bien, j’en reste persuadée.

Je me lève et m’approche de mon ex mari qui a le regard dans le vague.

— Ça va aller ? lui demandé-je, compatissante.

— Ouais, ouais. Ça va faire bizarre de ne plus voir les enfants le soir en rentrant du travail, mais bon c’est la vie. Je ne vais pas te séquestrer pour que vous restiez à mes côtés.

Un léger rictus s’affiche sur nos visages alors que son semblant de blague tombe à l’eau. Même si l’amour n’est plus là, j’entretiens des sentiments tendres à son égard. Il demeure le père de nos enfants, celui avec qui j’ai partagé mes joies et mes peines pendant tant d’années.

— Même si ce n’est pas écrit dans l’acte de divorce, tu peux les avoir dès que tu seras sur Dublin, je précise d’un ton doux.

— Ok, déglutit-il. Tu déménages quand ?

— Dans trois jours, soufflé-je.

Je laisse passer quelques secondes afin qu’il assimile toutes les informations avant de reprendre :

— Tu les prends toujours cet après-midi jusque fin août ?

— Ouais, on fait comme prévu. Je viendrai les chercher pour seize heures, je les emmènerai goûter à Merrion Square avant de rentrer chez moi.

J’acquiesce puis, après un dernier regard affectueux, je pars rejoindre ce qui fut notre maison tandis qu’il regagne son nouvel appartement.

Au milieu de mon salon rempli de cartons, je me retrouve seule. Ryan vient de récupérer Kieran et les jumelles jusqu'à la fin août afin de faire ce déménagement en toute tranquillité. Parfois, je me demande comment je vais réussir à élever seule un adolescent de douze ans et des filles de sept ans. Même si j’ai l’habitude avec mon travail de maîtresse d’école de gérer plusieurs enfants, il n’en reste pas moins qu’avec les siens c’est nettement différent. Je repousse ces pensées qui me minent pour continuer à empaqueter les dernières babioles qui traînent.

Je suis en train de finir mes cartons quand la sonnette à l’entrée retentit. Je me redresse, étonnée d’être dérangée, pour ouvrir et découvrir mes amies, sourires aux lèvres. Lena, Abby et Neve sont sur le pas de la porte. Dès que celle-ci est grande ouverte, elles se mettent à brailler :

— Dernière soirée entre filles, la lâcheuse !

Je secoue la tête à la fois amusée et dépitée. Lena, tient dans ses mains deux packs de bières, Abby des boîtes de pizzas, quant à Neve, elle se contente de porter un petit sac en kraft noir par la anse. Apparemment, elles ont tout prévu.

Nous nous sommes toutes quatre rencontrées sur les bancs de Trinity College pour ne plus nous quitter. Un coup de foudre affectif. Toujours soudées quels que soient les moments, joyeux ou non. Mariage, rupture, naissance, décès, baptême et divorce. Il n’y a pas eu un seul instant où nous n’étions pas présentes les unes pour les autres.

Ce soir, pour ce moment que j’ai attendu pendant des mois, et en même temps tellement appréhendé, elles sont là, à me soutenir. Et j’en ai bien besoin. Besoin de leur compagnie, de leur réconfort. Oui, je ne pouvais plus vivre avec Ryan, oui mes sentiments n’étaient plus en phase avec les siens, mais j’ai longtemps eu l’impression que je n’en faisais pas assez, que si j’essayais plus ou autrement, l’amour reviendrait. Je l’ai voulu, fort, et plus encore, mais ce n’est jamais arrivé. Tant d’années à être seule le soir lorsqu’il était en vol longue durée, à me sentir délaissée pendant que des femmes gravitaient autour de lui n’espérant qu’un seul faux pas. Les non-dits, les reproches, les disputes ont eu raison de nous.

À l’instant où mon esprit repense à ces périodes de doute, je comprends qu’il n’y avait pas d’effort à faire, parfois la vie nous sépare sans qu’on le voie ou le souhaite. Un sentiment de bien-être me gagne, je me sens enfin en paix avec moi-même.

Comme à chaque fois où l’on se retrouve toutes ensembles, j’oublie tout et profite de l’instant présent. Songeant que nous ne partagerons plus autant ce genre de moment, la mélancolie me comprime la gorge. Parce que même si seulement deux heures de route vont me séparer d’elles, c’est la première fois que je serai aussi loin. Ce sont les sœurs que je n’ai jamais eues, et à une époque, l’unique famille que j’avais. Elles ont toujours été mon point d’ancrage. Les souvenirs de nous quatre faisant les quatre-cents coups me font apparaître des perles salées sous mes paupières.

Abby le remarque aussitôt, ses yeux verts cachés sous sa frange brune me fixent.

— Qu’est-ce qu’il se passe, ma belle ? me demande-t-elle tendrement.

— Je pensais à nous, et… et vous allez me manquer.

Je ravale difficilement la boule qui s’est logée en travers de ma gorge. D’un même mouvement, elles me rejoignent et m’étreignent. Leurs bras me serrent, leurs mains me caressent le dos puis nous fondons toutes en larmes.

— Allez ! On arrête de pleurer ! nous motive Neve tout en séchant ses joues. On a un petit quelque chose pour toi. Avec les filles, on s’est dit qu’il était temps que tu te reprennes un peu en main, si je puis dire.

Nous nous installons sur le canapé, seul rescapé du déménagement, et décapsulons les bières. Abby et Lena gloussent pendant que Neve part chercher ledit cadeau et me le tend. Je sors du sac un carton d’une trentaine de centimètres, mais assez léger.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Ah, on ne te le dira pas ! s'esclaffe Lena.

— Tout ce que tu dois savoir, c’est que ça m’a été d’une grande aide quand je me suis séparée de Ronan, m’avoue Neve. Allez, ouvre vite !

Les filles semblent excitées et les connaissant je m’attends au pire. Après une œillade circonspecte, je déchire le paquet. Une autre boîte noire mate avec un liseré cuivré apparaît. Je la déballe et mes pupilles s’écarquillent de surprise face à la chose qui se dévoile.

— Les filles… ne me dites pas que c’est ce que je crois ?

— Ah ? Et tu penses à quoi ? se marre Abby.

J’attrape la chose du bout des doigts et la sors de son emballage. Je suis assez étonnée, l’image que j’avais d’un vibromasseur n’était pas du tout celle-ci. On en est même très loin. J’avais en tête une reproduction de pénis qui vibre, bruyante comme un marteau piqueur. Mais non, la forme est plutôt épurée et moderne. Sa base est ronde et deux parties s’élancent comme un Y dont une est plus petite et fine. Je le retourne dans tous les sens pour essayer d’en comprendre le fonctionnement. Je suis surprise par la douceur de la matière. En continuant de le manipuler, j’appuie sur un des boutons. Le gode vibre de toute part, silencieusement. Étonnant. La partie la plus longue fait également des mouvements circulaires. Je suis obnubilée par les cercles que ça produit et mets quelques secondes de trop avant de l’éteindre.

— Aaaah ça à l’air de te plaire, dis donc ! me raille Lena.

— On te prévient, c’est ni repris ni échangé ! badine Abby.

— Vous êtes vraiment cinglées, vous le savez ? rigolé-je en reposant le vibro dans sa boîte.

— Ouais ! C’est pour ça que tu nous aimes, ajoute Neve avec un clin d’œil.

Oui c’est exactement pour cela que je les aime comme les sœurs que je n’ai jamais eues, elles désamorcent une situation triste en un rien de temps.

La soirée se poursuit durant plusieurs heures encore. Nous discutons, rions, pleurons. Les filles m’interrogent sur l’organisation des prochains jours, semaines, de mon nouveau quotidien, avant de rentrer chez elles. Après avoir fait un brin de rangement, je prends mon surprenant cadeau et pars me coucher.

En tailleur sur mon lit, je contemple plusieurs minutes mon insolite compagnon de jeu avant de le jeter dans le tiroir de ma table de chevet en pouffant de rire et éteins la lumière après m’être allongée. À la fois excitée et inquiète de ce futur que j’ai choisi d’amorcer, Morphée prend son temps avant de venir m’accueillir dans ses bras.

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