Chapitre 71

8 minutes de lecture

Je laisse mes larmes couler le temps de rentrer chez moi.

Je n’arrive pas à croire que j’ai plaqué Lista. Que j’ai mis fin à notre relation, alors que c’était l’une des plus belles choses que j’avais. Et pourtant, ça me semble tellement nécessaire. J’ai la sensation que c’est une étape désagréable par laquelle je dois passer pour que le reste des choses s’améliore.

Et pourtant, ce n’est rien comparé à ce qui doit suivre.

Lorsque je gare la voiture dans l’allée, je sens tout de suite que quelque chose ne va pas. La maison est trop calme, malgré les lumières qui sont allumées dans le salon.

Poussé par un instinct étrange, je me précipite à l’intérieur, sans faire attention à mes vêtements qui dégoulinent d’eau sur le sol du couloir. Après plusieurs appels, je me rends bien compte que la maison est vide, ce que je trouve étrange, car mes parents prennent toujours le soin d’éteindre toutes les lumières avant de sortir.

Je profite qu’un chargeur de téléphone soit branché à une brise du salon pour charger mon portable. Puis je rejoins la porte arrière pour aller voir dans la dépendance comment vont Flynn et Alice.

La première chose que je remarque lorsque je sors dans le jardin, c’est que la porte du petit bâtiment arrière est ouverte. Je m’approche, laissant la pluie me tomber dessus presque sans me rendre compte de sa présence. Lorsque j’arrive devant la porte, j’ai l’impression d’être plongé au beau milieu d’un cauchemar.

La dépendance est en ruine. La télévision est tombé par-terre, l’écran brisé. Des morceaux de verre jonchent le sol, derniers vestiges des vases, accompagnées de roses piétinées. La table en verre a perdu un pied, et s’est à moitié affaissée elle-aussi. Seul le canapé semble n’avoir aucun dommage, bien qu’il soit drôlement éloigné de sa place d’origine.

Je me précipite dans ma chambre, qui semble avoir était épargnée. Le gros des dégâts se trouve dans la pièce principale. Je ne trouve nulle part ni Flynn, ni Alice, et l’angoisse me serre la gorge. Je retrouve le mot que j’ai laissé avant de partir au milieu d’une flaque d’eau formée par la pluie battante qui passe par la porte grande ouverte.

— Putain, je laisse échapper, qu’est-ce qui s’est passé ici ?

La première chose à laquelle je pense, c’est Eugène et notre discussion. Mais c’est impossible. Il me faut quelques secondes pour me rappeler des menaces contre Flynn. Pourtant, j’ai du mal à y croire. Ils n’auraient quand même poussé le bouchon jusqu’à débarquer chez moi ?

Alors que je cherche, fébrile, un moyen d’obtenir des renseignements, je me rappelle de mon téléphone. Évidemment, il fallait que j’épuise la batterie ce soir !

Je me précipite dans la maison principale pour récupérer mon portable. Le temps qu’il se rallume et que je tape mon code me semble interminable. Au bout de quelques minutes, une successions de textos et d’appels manqués se succèdent. J’ai à peine lu les premiers que je reprends déjà mes clés pour retourner derrière le volant de ma voiture.

J’ai l’impression d’être en plein cauchemar. Je conduis si vite que plusieurs voitures klaxonnent à mon passage. Je grille des feux rouges comme si c’était un jeu. J’ai l’esprit totalement ailleurs, le cœur qui bat à mille à l’heure. Ma poitrine se serre, ma gorge me fait mal, et j’ai l’impression que je vais vomir.

Non. Non, non non.

Les choses ne peuvent pas se passer comme ça. Cela n’arrive que dans les films !

Non. Non, non, non.

On aurait du agir plus tôt. On aurait pas dû attendre. Il fallait prévenir les flics, balancer chacun d’eux avant qu’ils ne puissent tenter quoique-ce-soit. Mais putain, pourquoi on n’a pas fait ça ?

Non, non, oh putain, non !

J’ai du mal à me garer sur l’une des places du parking de l’hôpital. La voix de ma mère, paniquée, résonne dans l’habitacle alors que j’écoute l’un de ses derniers messages. Une fois la voiture immobilisée de travers, j’attrape mon téléphone et je sors de nouveau sous la pluie. Je cours jusqu’à l’entrée de l’hôpital comme si c’était ma propre vie qui en dépendait.

Ma vie, non. Mais celle de mon meilleur-ami, peut-être.

Je débarque à l’intérieur sans faire attention aux regards qui convergent vers moi. J’avance dans les couloirs immaculés en laissant des traces d’eau dans mon sillage. J’appelle fébrilement ma mère, mais mes doigts mouillés glissent sur mon écran. Avec colère, je le fourre dans ma poche et me précipite à l’accueille.

Je ne comprends pas réellement comment l’infirmier fait pour me comprendre, car mes paroles ne sont qu’un tissu de mots incompréhensibles. Il réussit tout de même à me donner l’étage où je peux retrouver ma famille, et je m’y précipite en espérant me souvenir de lui pour pouvoir le remercier plus tard.

Quand j’arrive, Périne est assise sur un siège et se ronge les ongles tandis que Alice fait les cent pas en se passant vigoureusement la main dans les cheveux. Quand elles me voient arriver, ma mère bondit de sa chaise pour venir me serrer dans ses bras.

— Tu m’as fait tellement peur, me soupire-t-elle en enfouissant son nez dans mon cou.

Je la serre fort contre moi, parce que mine de rien, elle aussi m’a fait flipper. J’attends que notre étreinte nous rassure tous les deux, avant d’aller serrer Alice contre moi. Elle lâche un sanglot en essayant d’expliquer ce qu’il s’est passé. Il lui faut un moment avant d’avoir la voix assez claire pour faire un résumé compréhensible :

— Tu étais parti depuis vingt minutes, environ, quand ils ont débarqué. Ils ont directement fait le tour de la maison pour entrer dans la dépendance. Je ne sais pas s’ils savaient qu’on seraient seuls, mais de toute façon ça change rien. Ils devaient six ou sept, même avec toi on aurait pas fait le poids. (À court d’oxygène, Alice prend une profonde inspiration.) Deux types m’ont écarté de Flynn et m’ont empêché de me débattre. Ils l’ont tabassé pendant un long moment et je… j’ai rien pu…

En voyant ses larmes couler de plus belle, je la serre de nouveau contre-moi. Je la laisse pleurer sur mon épaule, conscient que ses larmes ne feront pas une grande différence avec la pluie que je viens de braver.

Par-dessus son épaule, je vois le visage de Périne. Le visage d’une mère dont le fils est à l’hôpital. Flynn est devenu tellement important en si peu de temps…

— Où est maman ? Je lui demande sans m’écarter d’Alice. Elle est au courant ? Est-ce que…

— Elle parle avec des médecins, répond-elle. Elle était déjà à l’hôpital quand je suis arrivée à la maison, c’est elle qui a prévenu l’ambulance quand Alice nous a appelé.

— Et Flynn, comment il va ?

Périne me retourne mon regard, incapable de répondre. Je ferme les yeux avec force, refusant de pleurer une nouvelle fois. Il faut que je sois fort pour pouvoir les soutenir toutes les trois.

— Et les types ? Ceux qui sont venus, où est-ce qu’ils sont ?

— La police les recherche, répond Alice d’une petite voix. Ils ont réussi à rattraper deux de ces connards…

Elle s’écarte de moi et se laisse tomber sur le deuxième siège de libre, visiblement à bout de force. Je passe la main dans mes boucles trempées, regardant le couloir de l’hôpital avec un dégoût que je n’avais encore jamais ressenti pour cet endroit.

On attend un long moment, tous les trois. De temps en temps, j’arrête un infirmier pour lui poser une question, mais ils ne peuvent jamais me répondre. Ça m’inquiète qu’on n’ait aucune idée de l’état dans lequel peut-être Flynn. J’ai vraiment peur pour lui, et je déteste cette inquiétude constante, cette solitude terrible qu’on ressent tous.

Nicole revient quelques minutes avant que les Pacat n’arrivent, affolés. Ma mère nous fait un bref topo de la situation.

Flynn va s’en sortir. Ses blessures sont plutôt graves, mais il ne devrait pas avoir de séquelles dont on ne saurait quoi faire. Ses deux jambes sont brisées, il a une épaule démise et un traumatisme crânien. Tout ça, il devrait pouvoir s’en remettre avec des soins et du temps, mais certaines cicatrices resteront toujours.

Et malgré tout, on ne peut toujours pas lui parler. Plongé dans un comas artificiel, les Pacat sont les seuls à pouvoir lui rendre visite ce soir. J’ai l’impression qu’on appuie sur une plaie à vif. Aucun de nous ne serrons rassurés tant que nous ne l’aurons pas vu de nos propres yeux.

La présence de mes deux mères me rassurent tout de même un peu, du moins pendant un moment. Jusqu’à ce qu’elles nous proposent de rentrer à la maison pour nous reposer. Alice et moi refusons net. Nous n’avons pas besoin de nous concerter pour savoir qu’on compte tous les deux rester jusqu’à demain. Jusqu’à ce qu’on soit autorisés à rendre visite à Flynn.

Mes parents insistent longtemps, mais avec peu d’énergie. Elles voient bien que nous sommes décidés. Périne décide de rentrer pour mettre un peu d’ordre à la maison, et Nicole attend un peu avec nous. Le fait qu’elle travaille en partie à l’hôpital l’aide à nous procurer certaines affaires, et à obtenir quelques informations.

On s’installe tous les trois dans un sorte de petit salon réservé aux visiteurs. On y trouve une cafetière, et bien que je déteste le café, j’en suis à ma troisième tasse lorsque les Pacat reviennent, l’air un peu sonnés par ce qu’ils ont vu.

— Nous allons rentrer, disent-ils après nous avoir rassuré sur l’état de notre ami. Les enfants attendent des nouvelles, eux aussi. Nous repasserons demain.

Sabine se rapproche d’Alice et moi avec un sourire triste.

— Merci infiniment pour votre présence, nous dit-elle. Ça fait du bien de savoir que Flynn est aussi bien entouré, malgré tout.

La nuit a l’hôpital est compliquée. Je continue de boire du café, mais je suis incapable d’avaler quelque nourriture que ce soit. Nicole finit par nous laisser tous les deux, nous faisant confiance pour ne pas faire quelque chose d’irréfléchi, et Alice et moi nous tenons compagnie tous les deux jusqu’à l’aube.

— Je n’arrête pas de me dire que c’est de ma faute.

C’est la première fois qu’Alice parle depuis un moment.

— Je me dis exactement la même chose. J’ai l’impression qu’on a fait tous les mauvais choix.

— Tu crois que Flynn aurait été plus en sécurité si on avait agit autrement ? Si on avait parlé à la police, ou si on avait donné leur argent aux amis de Noah ?

— J’en ai aucune idée. On avait confiance en aucun d’eux. Ça aurait peut-être fini de la même façon. Ou pire.

— J’ai du mal à imaginer que les choses puissent être pires.

Alice laisse reposer sa tête contre mon épaule, et je sers sa main dans la mienne. J’ai la certitude que, si, les choses auraient pu être pires. Mais ça ne veut pas dire qu’on sort bien pour autant.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Sullian Loussouarn ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0