Chapitre 59

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Cette soirée-là, on ne va pas courir.

Du moins, j’y vais, pour ma part. Mais après avoir attendu Lista pendant trois quarts d’heure à l’autre bout de la rue, j’envoie un texto pour proposer à Flynn de venir avec moi. Il accepte d’un simple « oui », et me rejoins après avoir enfilé un pantalon de survêtement.

Il ne dit pas un mot, pas même une remarque acerbe, ce qui en soit montre à quel point il pense que je suis dans la merde. Je l’imagine bien penser un truc du genre « vaut pas mieux l’enfoncer plus profondément dans la merde ». On se met tous les deux à trottiner, multipliant les pauses car il n’a pas l’habitude de courir aussi longtemps.

Le lendemain, je suis réveillé tôt par la sonnerie de mon téléphone. Ou plutôt par l’oreiller que Flynn me lance sur la tête, me criant d’éteindre cette « putain de sonnerie de merde ».

Je réponds d’une voix pâteuse, m’extrayant de mon lit pour aller dans le salon.

— Joshua, on peut parler ?

Entendre la voix de Lista me fait l’effet d’une douche froide.

— Main-maintenant ? Euh, ouais, je sors tout de suite…

— Je suis à la plage, tu me rejoins.

Elle raccroche. Je n’ai pas le temps de décider si le ton de sa voix est un bon ou un mauvais signe. Je me ramasse dans la chambre en cherchant des vêtements propres, et je fais un rapide saut dans la salle de bain pour me laver les dents. Mes cheveux ne ressemblent à rien, mais je fais l’impasse dessus et je fonce derrière le volant de ma voiture.

Lista m’attend non-loin d’un petit parking, entre deux palmiers, le long d’une voie piétonne. C’est quand je la rejoins à pieds que je me rends compte que c’est ici qu’à eut lieu notre premier baiser. Pitié, faites qu’elle casse pas avec moi ici…

— Salut, fais-je en essayant de discipliner mes cheveux avec les doigts.

— Salut.

Wow, pas la voix la plus chaleureuse que j’ai entendu. Ça me fait panique, même si je m’efforce de ne pas montrer à quel point j’ai peur de ce qu’elle me dire.

— Tu t’es levée tôt, commenté-je.

Je sais pas vraiment comment engager la conversation. Lista regarde l’eau s’échouer sur la plage et, au loin, s’écraser sur les rochers. Elle a des poches sous les yeux.

— J’ai pas dormi. Je suis sortis de la maison quand mes parents dormaient. (Elle baisse les yeux sur son téléphone.) J’ai laissé un mot, mais ils continuent à me bombarder de messages. Je vais devoir rentrer si je veux pas qu’ils appellent les flics.

Elle dit cette dernière phrase comme si c’était chez moi que les flics viendraient. Ce qui serait sans doute vrai, après ce qui s’est passé hier.

— Tu sais, Emma s’en voulait à mort quand tu es partie. Et moi aussi, j’aurais dû te défendre…

Lista me jette un regard équivoque. Un mélange entre de la tristesse et de la colère, comme pour me dire « ferme-la, laisse-moi parler ». Ce que je fais.

— Je sais très bien ce qui s’est passé hier. Je sais que t’as remis Emma a sa place, que tu lui as promis de régler les choses avec moi. Je sais que tu t’es montré mature et que t’as pas voulu gâcher la fin de son voyage ici avec des embrouilles. (Elle me montre l’écran de son téléphone, où s’étend le fil de sa discussion avec Emma.) Je le savais même avant qu’elle m’envoie des textos pour tout m’expliquer.

— Comment ?

— Parce-que je sais de quel garçon je suis tombée amoureuse. Je te connais, et je suis plutôt contente de pas me tromper.

Une chaleur doucereuse m’envahit la poitrine, et j’ai un grand sourire de soulagement. Lista me fait un petit sourire en coin – enfin, un tremblement à la commissure des lèvres – et se tourne de nouveau vers l’horizon.

— J’en veux pas à Emma, et je t’en veux pas non-plus, dit-elle.

— Tu vas pas rompre, alors ?

Il y a tellement de peur dans ma voix que, cette fois, son sourire est franc.

— Non, je vais pas rompre. Et toi ?

— J’en ai pas l’intention.

— Alors tout est bon.

Elle range son téléphone dans la poche de son jean et me tend sa main, que je m’empresse de serrer dans la mienne. Elle glisse les doigts de son autre main dans mes cheveux, pour essayer d’en lisser les boucles brun-clairs.

— Je t’ai tiré du lit.

— C’est plutôt l’oreiller de Flynn, qui m’a tiré du lit.

— Tu pourras me ramener en voiture ?

— Bien entendu.

Je fais mine de la prendre dans mes bras et, comme elle ne me repousse pas, je la sers contre moi. Savoir qu’elle ne m’en veut pas me fait un bien fou, mais je n’en oublie pas la promesse que je me suis faite pour autant.

— Tu sais, je ne suis pas d’accord avec ce que Emma a dit. Sur ta religion.

— Je sais. Je sais que tu respectes mais que t’y crois pas. Ce serait pas avec toi que j’irais à l’église.

Dans ma tête, ça fait tilte.

— C’est pas une mauvaise idée, pourtant.

Elle me rend un regard étonné.

— Je suis curieux. Bien sûr, j’irais pas dans ton église si tout le monde voit mes mères de la même façon, mais je suis sûr que quelque part, les gens seraient plus ouverts, et que ça pourrait me plaire. J’ai envie de me débarrasser des préjugés que je peux avoir sur la religion.

— C’est intelligent, fait-elle avec un sourire. Je trouve ça cool.

— Je voulais aussi te dire que tu n’es pas seule. J’ai pas envie que tu crois que je te soutiens seulement parce que je suis amoureux, et que Alice et Flynn traînent avec toi parce-qu’on est ensemble. On est tous tes amis, peu importe ce qui peut arriver.

Lista m’embrasse. Un baiser doux, un contact qui ravive une flamme éteinte par la peur et l’émotion. Elle murmure un « merci » tout contre ma bouche tandis que je la sers plus fort contre moi.

— Je sais que ce n’est pas le moment, avec tes parents, mais… Samedi, Alice et Flynn sortent ensemble, alors je me disais qu’on pourrait passer la soirée tous les deux.

— Chez toi, tu veux dire ?

Je rougis violemment.

— Ouais, c’est ça.

Lista plaque un baiser sur ma joue.

— Ça marche, j’essaierais de balader mes parents.

On rigole tous les deux. Même quand elle prévoit de transgresser les règles, Lista a une certaine pureté qui donne la sensation qu’elle joue un rôle. J’aime bien ça, le fait qu’elle soit aussi gentille, qu’elle soit aussi fiable. Ça me donne l’impression d’avoir une mauvaise influence sur elle, mais également qu’elle a, de son côté, une bonne influence sur moi.

Son téléphone se remet à sonner. Lista pousse un soupir.

— Il est temps de rentrer, souffle-t-elle. Et j’ai besoin de dormir un peu, je suis vraiment crevée.

— Je te ramène.

On rejoint la voiture, et je la dépose au bout de la rue. Comme je ne veux pas que les Estella me voit me garer quelques minutes après le retour de Lista, j’en profite pour faire un tour. Être obligé de me concentrer sur la circulation, les panneaux, les feux, empêche mon esprit de vagabonder, ce qui me soulage un peu. Je rentre juste avant que ma mère ne parte travailler à l’hôpital. Je l’embrasse rapidement avant qu’elle ne monte dans sa voiture et entre à l’intérieur de la maison.

Flynn et Périne sont dans la cuisine. Ma mère a sorti le gâteau qu’elle a laissé au frigo pendant toute la nuit, et en coupe une part à mon ami.

— Tiens, Joshua, tu veux goûter aussi ? C’est une nouvelle recette.

— Génial, j’ai super faim.

J’attrape une assiette à dessert dans le placard et je la laisse poser une fine part au milieu. Le glaçage rose me donne l’eau à la bouche.

— J’espère que ça va vous plaire, dit-elle en nous faisant signe de manger. J’ai prévu de le servir au mariage d’un couple mais j’ai du mal à trouver une recette de gâteau à base de kiwi.

— Du kiwi ? s’amuse Flynn.

— Ils sont végétariens, et ils adorent le kiwi. C’est mon travail de les servir.

J’avale une cuillère de gâteau et sens aussitôt le goût du fruit envahir ma bouche. La crème à l’intérieur a, outre sa couleur verte, son côté acide. Flynn et moi échangeons un regard en écarquillant les yeux, et ma mère jubile.

— C’est gagné ! Fait-elle en levant le poing. Alléluia !

Flynn et moi reprenons une part quand elle décide de le goûter à son tour. Une mine satisfaite se dessine sur son visage. Elle coupe le gâteau en deux, mettant une moitié sur une autre assiette qu’on pourra ramener dans la dépendance. Quand elle nous demande, on répond qu’on n’a rien de prévu pour aujourd’hui.

— C’est bien, se réjouit-elle, vous pourrez faire vos devoirs pour la rentrée.

— Berk !

Elle me tire la langue.

— Tu te sens toujours prêt à retourner au lycée à la rentrée ? Demande-t-elle à Flynn.

Le garçon hoche la tête. Je crois qu’il en a vraiment assez de rester coincé dans la dépendance.

Quoique, maintenant qu’il sort avec Alice, il sera sûrement tenté de donner une excuse bidon pour rester tout seul avec elle pendant qu’Alice et moi mourrons à petit feu en cours.

Un peu plus tard, dans la mâtinée, on retourne dans la dépendance et Flynn allume la console. On passe presque toute la journée à rincer des jeux vidéos en mangeant du gâteau au kiwi. Ça m’était pas arrivé depuis qu’on est parti de Paris. Là-bas, c’était avec Emma que je passais des heures devant l’écran. C’est dur à croire, mais c’est plutôt cool de passer du temps avec Flynn.

En tout cas, c’est vrai maintenant qu’il ne vomit plus, ne fait plus de crise, que je n’ai plus besoin de fermer toutes les portes à clé et que je peux sortir de la pièce sans avoir totalement peur qu’il va se barrer par la fenêtre. Il y a bien quelques moments où il de mauvaise humeur, mais c’est passager. Je découvre le caractère de Flynn – son vrai caractère. Un type amusant, pas forcément désagréable, et avec qui on peut avoir envie d’être pote.

Bon, c’est vrai, son sourire Colgate de mannequin me tape parfois sur les nerfs, mais en même temps je peux pas lui en vouloir pour être le type le plus séduisant que j’ai rencontré. Et puis, dans la mesure où je plais à Lista, je m’en fous un peu de savoir que Flynn est mille fois plus beau gosse, et qu’il n’a qu’un mot à dire pour avoir une dizaine de filles et de garçons à ses pieds.

OK, ça m’énerve quand même un peu, surtout quand il rit. Mais c’est pas comme si je pouvais – ou devais – y faire quoique ce soit.

Quand le soir arrive, on reste tard pour regarder une série après avoir passé une heure à nous battre sur la-dite série. Je voulais finir Desperate Housewives, mais Flynn trouve ça désespérant. On finit par se mettre d’accord sur Gotham, et il admet avoir eut un crush sur Erin Richards il y a quelques années.

— Une nana sexy et psychopathe, c’est tout ce que je rêve.

— C’est ce que t’as trouvé avec Alice ?

— Attend, t’as pas grandit avec elle. Moi je te dis qu’Alice elle a un un sérieux grain. Il suffit de la titiller un peu et…

— J’ai pas envie de savoir comment tu titilles Alice.

Flynn me lance une poignée de pop-corn à la figure.

— Petit con !

Morts de rire, on finit par s’endormir sur le canapé pendant que Netflix fait défiler les épisodes. Le lendemain matin, je suis tombé parterre dans mon sommeil et je me réveille avec un mal de tête qui me met le doute un instant sur la quantité d’alcool que peut contenir une bouteille de coca.

J’en profite pour prendre une photo de Flynn, la tête tombant dans le vide, un filet de bave sur le menton. Je l’envoie à Alice juste histoire de la voir le chambrer toute la journée, et je vais me brosser les dents avec un sourire qui joue au coin des lèvres.

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