Chapitre 56

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Quand Lista ouvre la porte d’entrée, je l’attends dans le couloir. En me voyant, elle sourit et vient déposer un baiser sur mes lèvres. La tenir dans mes bras me ferait presque oublier le reste de ma vie. J’aimerais qu’on ne se sépare jamais, pour autant on s’écarte au même moment pour aller plus avant dans la maison.

— Emma est ici ? Demande-t-elle quand on entre dans la cuisine.

Elle hume le jus de fruit dans une bouteille pour s’assurer que personne n’y a mis d’alcool, et se serre un gobelet. J’hésite entre une bière et du jus de pomme, avant de me souvenir que je vais sans doute devoir ramener tout le monde et qu’il vaut mieux que je ne sois pas trop alcoolisé pour prendre le volant.

Au moment où on entre dans le salon, je remarque tout de suite le regard d’Emma qui se pose sur nous, et sur nos doigts entremêlés. Je crois bien que les présentations vont avoir lieues.

— Emma, je te présente Lista, dis-je quand on la rejoint. Et Lista, voici Emma, ma meilleure amie.

Lista se montre tellement souriante que je n’imagine pas une seconde que le courant ne puisse pas passer. Elles s’embrassent, mais restent relativement silencieuses. Emma la regarde avec l’air de celle qui n’arrive pas à se faire un avis, et qui se fout de prendre son temps.

— On va dehors ? Finit-elle par demander.

À la manière dont elle pose la question, je devine que Déborah et moi ne sommes pas invités à les suivre. Lista accepte tout de suite, et suit mon amie jusqu’au jardin abandonné à cause du froid.

— C’est moi, où Lista va se faire cuisiner ? Demande Déborah en les regardant disparaître.

— J’ai raison d’être inquiet ?

La lueur dans les yeux de mon amie veut tout dire.

Au moins ai-je la certitude que, si le courant ne passe entre elles, elles ne seront pas obligées de se côtoyer quand Emma rentrera à Paris. Pour autant, j’ai vraiment envie qu’elles s’apprécient. Emma est tellement importante à mes yeux, et mes sentiments pour Lista se font tellement puissants, que j’aurais du mal à supporter une confrontation entre elles.

Je termine mon gobelet d’un trait, avant de secouer la tête. Pourquoi est-ce que je m’inquiète ? Lista est adorable, la fille la plus gentille que j’ai jamais rencontré. Et Emma veut ce qu’il y a de mieux pour moi, soit exactement le genre de fille qu’est ma voisine.

Aussitôt que je me fais cette réflexion, je repense à tout ce que j’ai raconté à Emma par textos : l’influence négative de Jérémy sur nos vies, les parents homophobes de Lista, et tous les problèmes que cela à engendré.

Les battements de mon cœur s’accélèrent dans ma poitrine, et je suis Déborah au milieu des danseurs pour me sortir tout ça de la tête.

On verra bien comment les choses se passeront.

L’ambiance finit par faire le ménage dans mon esprit, et je me laisse gagner par l’amusement. Je danse un peu, avant de m’asseoir sur un coussin dans un coin du salon, pour discuter avec le noyau de la bande. On me propose une bière et, finalement, je décide d’accepter. On s’apprête tout juste à commencer une partie de Blanc Manger Coco lorsque Emma et Lista nous rejoignent.

Lista s’installe tout de suite à côté de moi, en souriant. Emma ne me regarde pas particulièrement, se laissant entraîner dans le jeu, et j’ai aucune information sur comment s’est passée leur rencontre. Je n’ose pas poser la question devant tout le monde, mais l’attitude légère et chaleureuse de ma copine me laisse à penser ça s’est bien passé.

Ça me trotte dans la tête pendant une bonne demie-heure, et le jeu n’aide pas – je suis bien incapable de savoir si Lista est mal-à-l’aise à cause d’Emma, et à cause des phrases carrément tendancieuses des cartes à jouer.

Quand les filles décident de faire une pause le temps d’aller chercher à boire et à manger dans la cuisine, j’en profite pour m’écarter un peu avec Lista. Elle me sourit.

— Arrête de t’inquiéter, dit-elle. Emma est très gentille.

Je soupire, un poids en moins sur les épaules.

— Mais honnêtement, dit Lista en se mordant la lèvre, je ne pense pas qu’on va être très proches.

— Comment ça ?

— Je n’ai pas trop aimé la façon dont elle a parlé de mes parents.

Et merde… Je vois pas pourquoi je suis surpris, Emma est typiquement le genre de fille qui va lui balancer à la figure que ses parents sont des connards.

— Je suis désolé, dis-je en lui serrant la main. Je lui parlerai, je…

— Laisse, c’est normal, fait-elle en rougissant. Mes parents sont clairement pas des modèles de tolérance, et je suis rassurée de savoir que tu as une amie qui vous soutienne, tes mères et toi. Emma a l’air d’être une fille bien mais… je ne pense pas que son caractère et le mien soient faits pour s’entendre. Je suis désolée…

C’est à mon tour de la couper – en posant mes lèvres sur les siennes. Ses parents ne sont peut-être pas les plus tolérants, en effet, mais elle n’en reste pas moins la fille la plus compréhensive que je connaisse.

— Merci d’être franche avec moi, lui dis-je.

— Je ne te cacherais jamais rien, me promet-elle. Surtout pas quelque chose comme ça. Profitons du temps qu’elle passe ici, c’est le plus important.

Je l’embrasse de nouveau, avec avidité, en la serrant dans mes bras. On en oublie presque qu’on est au milieu d’une soirée, et d’une cinquantaine de personnes qui s’amusent. On se sépare au moment où Déborah vient nous chercher pour reprendre le jeu.

— Trouvez-vous une chambre ou passez vos pulsions sur le jeu, il est fait pour, dit-elle avec un accent beauf digne de Jean-Marie Bigard.

On se réinstalle sur nos coussins. Flynn et Alice nous ont rejoint entre-temps, et s’installent à côté d’Emma. J’ai l’impression de les sentir beaucoup plus proches, mais je n’en suis pas certain – si rapprochement il y a eu, ils le cachent très bien.

La moitié d’entre nous sommes bien alcoolisés lorsqu’un type vient voir Tim pour lui parler du couple qui a été surpris à l’étage.

— Quelle chambre ? Sérieux ? Mais pas la chambre de mes parents, putain !

Il se lève et fond vers les escaliers devant le public mort de rire.

Quand on me tend une nouvelle cannette de bière, je refuse – une bouteille à largement suffi. Lista est l’une des seules à ne pas avoir avalé une goutte d’alcool, et Emma est clairement en train de profiter de sa vie au milieu des danseurs, sous le regard un peu trop appréciatif de certaines personnes.

Je sais qu’elle aime ça, c’est son style dans les soirées, d’aguicher sans rien donner en retour, cependant je n’arrive pas à m’empêcher d’être inquiet. On pourrait croire qu’après avoir vécu à Paris j’aurais tout vu, mais j’ai découvert de sacrés connards à Larmore-baie, et je suis sûr que des types comme Jérémy font partie de la foule qui la regarde.

Comme si elle savait ce que j’ai dans la tête, Lista m’entraîne à ses côtés, et j’essaye de me laisser porter par l’ambiance avec elle. Très vite, Alice et Flynn nous rejoignent, puis Audra et Déborah, et plus personne ne joue plus au jeu.

Quand Tim descend, il met le fameux couple à la porte. Il retourne ensuite derrière la table de mixage, et on avance doucement dans la soirée – une soirée normale, presque sans excès. Sans prise de tête avec Jérémy et ses potes, même si ça aurait été cool de voir Charlie et Antoine se joindre à nous. En tout cas, je crois bien que c’est la meilleure soirée où j’ai eu l’occasion d’aller depuis mon emménagement à Larmore-baie.

La fin de la fête commence à se faire sentir vers 2 heures. Tim propose à certains de rester dormir, ce qui, au vu de l’état d’ébriété de certains n’est pas une mauvaise idée. Pour ce me concerne, avec une bière et demie descendue avant minuit, on convient que je suis capable de prendre le volant pour nous ramener dans notre quartier.

On traîne juste un peu, mais à 4 heures on est tous crevés. La moitié des invités sont déjà repartis, et on rassemble nos affaires.

On quitte tous la maison avant que la mère de Lista ne vienne la chercher, histoire qu’elle ne me croise pas, ou n’ait la bonne idée de reconnaître ma voiture. Avec un peu de chance, elle aura pas regardé si elle était présente dans l’allée de ma maison.

J’embrasse Lista et la tiens fort dans mes bras, songeant que j’aurais bien voulu rester ainsi tout le reste de la nuit. Mais on se sépare, et je reprends le volant.

Personne ne parle, le silence règne dans l’habitacle. Je ne mets même pas de CD, trop concentré sur la route, roulant à deux à l’heure. Je dépose Alice devant chez elle, et elle embrasse Flynn sur la joue avant de sortir, confirmant tous mes soupçons – la prochaine fois qu’on va se voir, demain sans doute, je vais pas me gêner pour la cuisiner.

Quand je me gare dans l’allée, la voiture des Estella est déjà parti, et on se précipite à l’arrière de la maison avant qu’elles ne rentrent. Emma attrape ses affaires et rejoint la chambre d’ami, nous laissons tous seuls, Flynn et moi. On se laisse tomber sur nos lits respectifs, et avant d’éteindre la lumière, je lui fais bien comprendre :

— Vous avez intérêts à tout me raconter, demain.

Mais si Flynn ne s’est pas endormi, au moins est-il très doué pour me convaincre.

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