Chapitre 57

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Tout le monde fait la grasse mâtinée le lendemain matin, excepté moi. J’ai un mal de crâne épouvantable, mais je ne regrette rien de ma soirée. Par ailleurs, je compte bien profiter de cette journée pour en savoir un peu plus sur le rapprochement entre Flynn et Alice. Emma est très douée pour tirer les vers du nez, je suis certain qu’elle se fera un plaisir de me venir en aide.

Alors que minuit approche, je me retourne dans mon lit en essayant de ne pas faire attention à mon haleine et mon odeur de transpiration. Au bout d’un moment, alors que Flynn n’a même pas encore ouvert les yeux, je craque et je me lève. Je rassemble mes draps en silence et les fourre dans un panier à linge, notant dans un coin de ma tête de lancer une machine cette après-midi, puis je vais dans la salle de bain prendre une douche et me laver les dents.

J’en profite au passage pour passer un coup de rasoir sur ma mâchoire, passer une crème – j’ai beau savoir que ça ne sert à rien si ce n’est pas régulier, je me dis que ça ne peut pas me faire de mal. Puis j’enfile des vêtements frais. Quand je sors de la salle d’eau, je me sens propre et réveillé, paré pour une nouvelle journée.

Flynn sort tout juste de la salle de bain quand Emma débarque, aux alentours de midi. D’un seul regard, on se met d’accord et on le prend en traître pour le cuisiner sur sa relation avec Alice.

— Alors, qu’est-ce qui s’est passé, hier soir ? Je demande en baissant le son de la télé.

— Rien qui vous regarde, râle-t-il.

— Vous avez disparus pendant presque deux heures, insiste Emma. Je le sais, j’ai essayé de vous tenir à l’œil jusqu’à ce que vous soyez introuvables. Aller, raconte.

Malgré le regard sombre qu’il nous lance, Flynn a ce petit sourire en coin qu’il avait toujours quand il parlait à une fille les premiers jours de la rentrée – ce genre de sourire dragueur réservé aux gens séduisants, et qui font tourner la tête. Le genre de sourire qu’il ne peut avoir que si Emma et moi avons raison.

— Qu’est-ce que vous avez fait pendant deux heures ?

— Rien que je ne ferais pas, j’espère ? Demande Emma avec une mine faussement outrée.

Flynn sourit franchement, cette fois-ci. Il n’y a pas beaucoup de choses que Emma n’essayerait pas, elle est du genre libérée, comme fille, et Flynn l’a très vite compris.

— Si vous voulez tout savoir, on était dans le jardin avant. Il y avait quasiment personne.

Je savais qu’il ne résisterait pas longtemps. C’est un des avantages d’avoir un pote qui soit du genre dragueur et aussi fier, c’est qu’il suffit de toucher son égo pour lui tirer toute sorte de confessions. J’imagine que c’est moins fair-play pour Alice, mais en même temps, elle savait très bien que je ne laisserais pas passer un truc pareil !

— Et alors, qu’est-ce qui s’est passé ?

— J’avais besoin de sortir, à cause de l’alcool, explique Flynn. Alice m’a entraîné dehors, et on a discuté un moment jusqu’à ce que je me sentes assez à l’aise pour revenir à l’intérieur.

— Vous avez juste discuté ? Fait Emma avec un haussement de sourcils pas convaincu.

— Non… Enfin, au début, si. Au bout d’un moment, je lui ai dis que j’étais heureux qu’elle m’aide, et qu’on redevienne amis comme avant. Et puis elle m’a embrassé.

— Bien joué, A, dit Emma avec un signe de victoire. Je savais que c’était elle qui avait fait le premier pas.

Flynn sourit en se passant la main dans les cheveux.

— Je sais pas trop comment les choses vont se passer, maintenant.

— Pourquoi ça ? Je demande alors que mon téléphone sonne.

Je me lève pour aller le chercher.

— Eh ben, j’ai envie que ce soit sérieux, explique Flynn. Mais j’ai jamais eu ce genre de relation.

— Quel genre ?

Je lève les yeux de mon téléphone pour le regarder. Flynn a un regard entendu.

— Du genre qui dure.

Je lève les yeux au plafond. Évidemment, Flynn n’a jamais eu de relation sérieuse. C’est le genre de mec qui enchaîne les conquêtes, les coups d’un soir pendant les soirées de Jérémy, et qui n’a aucune idée de savoir comment on gère une relation durable.

Enfin, c’était.

— T’es dans la merde, mec, fais-je en rigolant. Comme Emma et moi.

Emma hoche la tête avec l’air de la fille désolée pour son amie. Flynn pousse un soupir alors que j’ouvre le texto d’Alice.

— En parlant du loup, dis-je, Alice nous propose de passer la journée chez elle.

Flynn bondit du canapé comme un ressort. Emma et moi éclatons de rire alors qu’il va s’enfermer dans la salle de bain pour se préparer. J’envoie un message pour proposer à Lista de venir, et en une demi-heure top chrono, on est prêts tous les trois, poussés par mon coloc pour qu’on soit dans la voiture avant 14 heures.

On va entrer dans le véhicule lorsque Lista se glisse de notre côté de la haie, le pas rapide.

— Vite vite, dit-elle, faut qu’on dégage avant que ma mère débarque.

On entre tous à l’intérieur et on boucle nos ceintures. Je démarre et fais un grand détour pour éviter d’avoir à passer devant la maison de ma voisine. Quand je me gare en face de la maison d’Alice, sa mère est justement en train de partir.

— Salut les jeunes ! Lance-t-elle en venant nous embrasser. C’était comment, la soirée ?

— Géniale, répond Flynn en la dépassant pour se précipiter à l’intérieur.

Emma et moi échangeons un regard entendu. Quand on le suit à l’intérieur, Lista m’interroge, et je lui promets de tout lui expliquer.

— Comment ça se passe, le piano ? Demandé-je discrètement.

— Très bien. Flynn manque un peu de patience, mais il sait dans quoi il s’engage. Apprendre un instrument, c’est pas anodin. Mais il se concentre, si tout se passe comme ça à chaque fois, il pourra bientôt jouer ses titres préférés.

On entre à l’intérieur, et on rejoint Emma et les deux amoureux. Sérieux, j’arrive pas à croire qu’ils se moquaient de Lista et moi. OK, ils sont loin du couple cul-cul des films romantiques, mais leur comportement donnerait des haut-le-cœurs à n’importe qui étant un minimum allergique à l’amour.

Au bout d’un moment à mater la télé et à discuter, Alice annonce qu’elle veut se teindre les cheveux.

— Sérieux ? Demande Lista en sirotant son coca.

— Ouais, j’adore les cheveux d’Emma, ça m’a donné envie de faire la même chose.

— Du rouge ?

— Ou du vert, du bleu, du rose, du roux…

— Du roux ? Sorry, je sors pas avec les rouquines, plaisante Flynn.

Alice le pousse gentiment en riant avec lui. Il n’empêche que je la verrais bien avec des cheveux roux à la Clary Fairchild.

— Et quand tu vas faire ça ? Demande Emma en rigolant.

— Maintenant.

Lista et moi, qui allions boire une nouvelle gorgée de soda, arrêtons notre geste pour la regarder avec de grands yeux. Alice bondit presque du canapé et va chercher dans la cuisine pas-moins d’une demi-douzaine de boîtes de teintures pour cheveux.

— Tu les as vraiment toutes acheter ? Demande Flynn en se redressant.

— Je rendrais celle qu’on utilisera pas, j’ai gardé le ticket de caisse. Alors, dit-elle en les faisant circuler, lequel m’irait le mieux ?

Après débat, on opte pour le bleu – enfin, c’est surtout la voix de Flynn qui fait pencher la balance. Emma se propose de faire la teinture, et peut-être même de lui couper les cheveux si elle en a envie. Je plussoie ses capacités de coiffeuse, c’est elle qui coupait ma tignasse quand je vivais à Paris.

— J’arrive pas à croire que tu vas le faire, s’amuse Lista alors qu’Emma prépare la teinture.

On s’est tous rassemblés dans la salle de bain. Assise sur une chaise, devant un miroir, Alice attend que Emma lui fasse le carré qu’elle a demandé. À côté, la préparation pour la teinture n’attend plus qu’elles.

— C’est qu’une couleur, répond Alice, ça va partir.

— Te faire couper les cheveux, c’est une chose, dit Flynn, mais les avoir bleus pendant les trois prochains mois, je suis moins sûr.

— Tu veux parier ? Fait Alice avec un air de défi.

— Tu proposes quoi ?

— Si je finis la journée avec les cheveux bleus, tu te les teins en roux.

Les deux amoureux se regardent l’un l’autre, une bataille imaginaire dans le regard.

— Deal, fait finalement Flynn. Si tu le fais, je le fais aussi.

Emma a un petit sourire en coin. Je m’attendais pas à ce que Flynn se dégonfle, mais qu’il se bâterait au moins pour choisir la couleur. En même temps, entre le roux, le rose vif et le vert pomme, je crois pas qu’il perde au change.

Après le coup de ciseaux d’Emma, la coiffure d’Alice est en soit une petite merveille. Quand elle se retrouve avec du papier dressant ses cheveux tout autour de la tête, Flynn se marre en la mitraillant de photos.

— Tu peux rigoler, fait Alice, n’empêche que dans quelques minutes j’aurais les cheveux bleus, et tu devras y passer aussi.

Flynn ne se laisse pas démonter, mais j’ai presque l’impression que son visage a blanchi.

Lorsque le téléphone d’Emma lui dit qu’on a attendu assez longtemps, elle retire le papier alu des cheveux d’Alice et les lave avec le shampoing fourni dans la boîte. Alice se lève alors de la chaise en se séchant les cheveux avec une serviette orange – elle désigne la couleur :

— J’espère que t’es prêts à passer à la casserole, dit-elle à Flynn en plaquant un baiser rapide sur sa joue.

Il fait mine d’essayer de se dérober, hilare. Il s’assoit aussitôt sur la chaise, l’air pas du tout impressionné. Mais au fur et à mesure qu’Emma applique le produit sur ses cheveux, il commence à grimacer.

— Ça passe, lui dis-je, tes cheveux sont courts, si t’aime pas t’auras qu’à tout raser.

Il me tire la langue, mais j’ai l’impression que ma remarque l’a un peu rasséréné. Après tout, comme Alice l’a dit, ce n’est qu’une couleur.

Deux heures plus tard, quand on est de nouveau dans le salon, le résultat est quand même assez incroyable. Alice a hérité d’un carré bleu vif et Flynn de tifs oranges, davantage comme un coucher de soleil que comme une carotte. C’est pas la couleur qui lui va le mieux, mais il aurait pu tomber sur pire.

Morale de l’histoire, le dernier jour qu’Emma passe à Larmore-baie est l’un des plus joyeux. Lista confie même qu’elle aimerait avoir des mèches roses, mais que ça passerait jamais avec ses parents. J’imagine déjà leur tête s’ils voyaient leur fille se ramener à la maison avec des mèches colorées. Je peux plus m’empêcher de rire pendant un long moment, Lista rougissant jusqu’aux oreilles.

Vers 20 heures, au retour de la mère d’Alice, nous décidons de rentrer. Je vois bien que Flynn aurait préféré rester, voir passer la nuit ici – ce qui n’aurait sans doute déranger aucun des deux. Mais comme la mère d’Alice le dit si bien : Flynn n’a pas encore dix-huit, donc il est hors de question qu’il passe la nuit ici.

Je crois que je n’ai jamais vu Flynn se recroqueviller ainsi. Ce qui m’a franchement étonné : lui qui est si ouvert sur la sexualité, et qui n’en est clairement plus à sa première fois, il a l’air d’un gamin lorsque la mère d’Alice évoque les relations sexuelles qu’ils pourraient avoir.

En fait, à bien y réfléchir, je crois que je ferais à peu près la même tête si mes parents évoquaient ma sexualité devant moi.

Lista retourne rapidement chez elle, et Emma, Flynn et moi décidons de veiller tard pour la dernière nuit de mon amie ici. On a beau nous être gavés de sucreries et de sodas chez Alice, on avale presque tout ce que la dépendance contient de gâteaux. Les boissons énergisantes qu’on a bu dans l’après-midi nous maintiennent éveillés jusqu’à 4 ou 5 heures du matin, avant que chacun n’aille se coucher.

Quand on doit se réveiller le lendemain, on a tous les yeux explosés et l’air d’être tombé du lit.

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