Chapitre 14

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Plusieurs jours étaient passés. Cela s’était transformé peu à peu en semaines. C’était une routine déconcertante d’avoir une personne qui suivait vos mouvements constamment et qui vous espionnait. Bien sûr, j’avais été terrifiée la plupart du temps au début. Mais il ne semblait pas faire plus que me prendre en photo. Avec une grande difficulté mentale, j’avais réussi à me convaincre que tout ceci faisait partie d’un jeu de rôle grandeur nature et je devais m’y conformer. Ma concentration était la clé. Et ma vie, celle de mes parents et probablement celle de Pox en dépendait. Alors je n’avais pas le droit à la moindre erreur.

  • Ma chérie, tout va bien ? Tu sembles ailleurs.

J’étais chez mes parents pour dîner et ils avaient réussi à se libérer tous les deux. Même si l’invitation venait d’eux, ça restait une chose exceptionnelle. Je levai la tête et souris le plus sincèrement que je pouvais. Maman m’avait probablement demandé quelque chose avant ça mais je n’avais aucune idée de ce que c’était.

  • Oui, désolée, j’ai beaucoup de boulot en ce moment. m’excusai-je rapidement.
  • Tu es toute pâle, tu devrais prendre des compléments vitaminés pour booster ton organisme. s’inquiéta ma mère.
  • Elle a peut être la…
  • Je ne suis pas venue pour me faire diagnostiquer papa ! l’interrompis-je. Que m’avais-tu demandé juste avant ? demandai-je, voulant changer de sujet à la première occasion.

Mes parents se regardèrent un moment, l’un fit les gros yeux, l’autre secoua la tête et finalement ils tournèrent à nouveau vers moi, l’air plus détendu. J’étais interloquée, j’avais l’impression qu’ils venaient de se parler par télépathie devant moi. Tant d’émotions étaient passées dans leurs yeux.

  • Je t’avais demandé ce que tu voulais pour ton anniversaire.

La banalité de sa question me laissa sans voix un moment.

  • Ah. Euh, je ne sais pas. Je vais réfléchir, je te dirai plus tard, ok ?
  • De toute façon, son anniversaire n’est que dans deux mois. Elle a encore bien le temps. renchérit papa.

Le reste du dîner passa rapidement. J’avais guetté une occasion de d’aborder le sujet qui m’intéressais pendant tout le repas mais je n’en avais trouvé aucune alors je m’étais résolue à me jeter à l’eau.

  • Dites, ça fait combien de temps que vous habitez là ? demandai-je.

Mes parents me regardèrent, interloqués, sans comprendre où je voulais en venir.

  • Depuis toujours voyons. fut la réponse de mon père.
  • Nous n’avons jamais déménagé, tu le sais bien. renchérit ma mère.
  • Oui… je sais… Mais c’était ici, à Oreley que je voulais dire...

Et voilà, le sujet était lancé. J’espérais simplement que tout ça n’allait pas retomber sur ma tête pour m’assommer.

  • Ah, eh bien…

Le regard de mon père se perdit dans le lointain pendant qu’il se remémorait les choses.

  • Nous sommes arrivés à Oreley en 2110, il y a 37 ans. répondit ma mère du tac-au-tac.
  • Oh, ça fait déjà si longtemps ? s’étonna mon père.
  • Et avant ça, vous viviez où ? essayai-je de demander d’un ton dégagé.
  • Où nous…
  • Oh Kaylin, ça n’a pas vraiment d’importance. Notre vie est à Oreley à présent. Nous n’avons jamais été plus heureux que depuis que nous vivons dans cette ville. C’est ici qu’est notre vie. C’est ici que tu es née et que tu fais ta vie. Et j’espère bien qu’un jour prochain, c’est à Oreley que tu rencontreras un gentil garçon pour te rendre heureuse.

Mon père hocha vivement la tête pour appuyer les dires de ma mère. Et vu le ton qu’elle avait employé et les regards qu’ils me lançaient, je compris que c’était un sujet clos et qu’il ne valait mieux ne pas revenir dessus.

Ça semblait perturber mes parents alors j’avais laissé coulé en leur présence. Mais je n’allais pas abandonner pour autant. Evidemment, tout ça était très étrange : ils disaient qu’ils étaient arrivés à Oreley il y a 37 ans, soit lorsqu’ils entraient dans la vingtaine. Ils avaient alors fini leurs études de médecine en ville. Mais où les avaient-ils commencé ? Dans cet autre endroit où le hackeur semblait s’être volatilisé ? Cet endroit labellisé NY ? Tout ceci n’avait aucun sens. Personne ne quittait ou n’entrait en ville. Tout le monde était...là, tout simplement.

J’étais chez moi, tranquillement installée à ressasser encore et encore tout ça. Lorsque j’entendis des bruits de pas dans le couloir, je ne fis pas attention, mes voisins n’étaient pas toujours du genre discrets. C’est alors qu’une enveloppe fut glissée sous ma porte. Je bondis sur mes pieds, je me précipitai sans réfléchir et j’ouvris la porte à la volée. Je me mis à courir dans le couloir jusqu’à rattraper la silhouette qui s’éloignait. C’était lui ! Je le tenais ! Je me jetai sur lui et lui saisis fermement le bras.

  • Hé ! Lâchez-moi ! Qu’est ce qu’... s’énerva t-il en se retournant.

C’était un homme petit, chauve, dans la cinquantaine. Ses habits étaient dans un tel état que leurs beaux jours étaient bien loin derrière eux. Un pauvre malheureux qui faisait ce qu’il pouvait pour vivre sans doute.

  • Je vous ai demandé de me lâcher !
  • Vous venez de glisser une enveloppe sous ma porte ? rétorquai-je, le tenant toujours fermement.
  • Oui ! dit-il en donnant un grand coup d’épaule pour se dégager.
  • Pourquoi ? demandai-je.

La question sembla le chambouler un peu. Ce type n’était surement pas mon harceleur. Il n’avait pas l’air assez intelligent pour ça. Mais les apparences pouvaient être trompeuses.

  • Parce qu’un type m’a payé 100 crypto-crédits pour le faire.
  • Et les autres enveloppes, c’était vous ? Vous l’avez bien vu ? Vous avez son nom ?
  • Calmez-vous ! C’est la deuxième enveloppe que je glisse sous cette porte ! J’avais trouvé ça étrange mais comme il m’avait promis 100 crédits… Je l’ai fait. Et je les ai eu. Alors j’ai accepté de recommencer. J’ai besoin d’argent, vous comprenez ? J’imagine à votre tête que ce n’était pas des lettres d’amour.

Je secouai la tête vivement et le laissa continuer.

  • Il avait une casquette alors je n’ai pas bien vu son visage. Et je ne connais pas son nom, désolé. Mais je crois qu’il y a un ces logiciels espions sur son ArmScreen, j’ai vu la notification quand il m’a tendu l’enveloppe. C’est tout ce que je peux vous dire.
  • Bien… merci. N’acceptez plus, c’est un criminel. chuchotai-je.

Je le regardai partir et je retournai chez moi songeuse. Un logiciel espion ? Voulait-il parler de ces logiciels de surveillance ? Oui pourquoi pas, ça expliquerait certaines choses. Je me baissais et pris l’enveloppe. Je la fis tourner entre mes mains. Le papier était cher. Cherchait-il à m’effrayer en me montrant qu’il ne regardait pas à la dépense lorsqu’il s’agissait de me montrer les fruits de son travail ? Ou était-ce parce qu’il ne connaissait pas grand chose aux rouages de la technologie et qu’il était un fan des techniques “à l’ancienne” ? Se considérait-il comme un homme d’une autre époque, qu’il aurait aimé vivre au moment où les gens utilisaient le papier à tort et à travers ? Si c’était le cas, j’avais un sérieux avantage sur lui. Car j’étais née dans la technologie, c’était mon travail et un outil dont je pouvais me servir à ma disposition. Je me demandais si je pouvais inverser les rôles du chasseur et de la proie.

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