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– Vous êtes désespérants, fatigants, attristants, assommants… désespérants, se manifesta à leur bon souvenir la jusque-là discrète Ivana.


Éléna et Ivan, se rappelant alors son existence, se tournèrent vers elle dans un parfait mouvement synchronisé.


« Accaparée par les niaiseries des deux autres, j’ai presque failli oublier qu’elle existait, celle-là.

Bien sage.

Mais peut-être pas pour autant inintéressante. Regarde-la donc, avec son air malin, elle semble préparer quelque chose.

Roublarde ? »


– Alors que ta sœur et moi sommes résolus à avancer, à travailler de façon méthodique, professionnelle, alors que nous sommes d’accord sur la suite des évènements, que nous en avons fini des sottises, que nous reprenons notre sérieux – au passage, il en était grand temps – que ta charmante sœur a enfin abandonné l’idée de me tourmenter, voilà que tu te montres bien…

– Désobligeante !

– Et répétitive !

– Pourquoi doublement désespérants ?!

– Dis-le nous si on t’ennuie, chérie ! s’offusqua faussement Ivan.


« Chose est sûre en tout cas, à force, vous deux, vous m’ennuyez !

Bien contrariants. »


Ivana ignora toutes leurs réflexions, referma le sac dans lequel elle était toujours en train de farfouiller et se leva. Elle les fixa un instant puis, sans rien leur dire, partit d’un pas résolu vers la pierre.

Ivan et Éléna, pris au dépourvu par son étrange attitude, n’eurent pas le temps de réagir, de réfléchir, de se questionner sur ses intentions que, déjà, tout en leur faisant face, elle se retrouva accroupie à hauteur de la pierre, tête baissée à la regarder.

Toujours dans l’expectative, attentifs, le clic significatif qu’ils entendirent, suivi de l’éclat de la lame qui jaillit de la main d’Ivana, les tira de leur torpeur.


– Woh, oh ! Tu as un truc comme ça, toi ?! s’étonna pour de bon Ivan à la vue de sa bien-aimée tenant un cran d’arrêt.

– Hé bé ! s’écria Éléna, pas moins stupéfaite. Tu caches bien ton jeu, sœurette. Et la prochaine fois, tu vas nous sortir un flingue ?!


« Woohh, je la savais surprenante.

Crooh, plus si sage.

Chose est sûre, cela va redevenir intéressant.

Amusante. »


– Qui, de nos jours, sort sans son cran d’arrêt ? les questionna le plus tranquillement du monde Ivana.

– Baaahh, eeuuhh… personne ne se trimballe avec un couteau de la sorte ! C’est un couteau de voyou, ça !

– Ta femme est incroyable, Ivan.

– Oh, arrêtez. N’exagérez pas non plus. De un, ce n’est au final qu’un simple couteau, bien utile pour couper toute sorte de choses, de deux, on est en plein milieu de nulle part et tout bon aventurier se doit d’être un minimum équipé, de trois, je l’ai trouvé sympa, plutôt joli… bien pratique.

– Mais, mais… mais le couteau de ta sœur est bien pratique, pas le tien ! Le sien fait couteau, tire-bouchon, décapsuleur, mini-scie, ciseau et certainement plein de trucs encore.

– Je ne te le fais pas dire, lumière aussi.

– Tu vois, lumière aussi ! Tandis que le tien, bah… bah il fait juste peur !


« Qu’en sera-t-il lorsqu’il verra mes lames.

Et quand lui y gouttera. »


– Tu en rajoutes… je le trouve joli, moi. Et commode, point, dit-elle tout en rentrant et ressortant convulsivement la lame. Puis regarde, le manche est rose, c’est pour fille.

– C’est… c’est… ce n’est pas une excuse que le manche soit rose ! Et pour votre information, parce que vous êtes bien ignorante jeune fille, de un, on ne doit plus assimiler le rose pour les filles et le bleu pour les garçons, c’est de nos jours trop réducteur, et de deux, il y a encore moins d’une génération, le rose était réservé aux garçons !

– Et bien moi je trouve que, et les bien pensants peuvent en bien penser ce qu’ils veulent, le rose fait fille et que ce couteau est très sexy !

– Une arme sexy… une arme de caïd sexy, oui ! Tu n’as pas deux trois paillettes à y ajouter pendant que tu y es ?!


Ivana regarda le manche, fit une petite moue et se demanda si elle devait, ou non, avouer à son cher et tendre, qui paraissait réellement surpris et ahuri qu’elle fusse en possession d’un tel objet, qu’il s’y trouvait bien incrustées quelques paillettes.

Ivan, connaissant bien sa femme, sut lire dans ses pensées :

– Il y a des paillettes ! Je vois à ta tête qu’il y a des paillettes !

– Quelques-unes… avoua Ivana, d’une petite voix la faisant paraître une timide enfant face à un adulte furax sur le point de la punir.

– Ah bah bravo, ah bah bravo c’est le pompon ! Ma femme, coupe-jarret, vaurien, bandit de grand chemin, se balade avec un surin de malandrin et trouve ça sexy ! Voilà qu’elle trouve ça cool, tendance, huppé, un poil bobo peut-être ? Et penses-tu que tes paillettes seront toujours glamour une fois ensanglantées ?!


Cette dernière phrase, lâchée à la va-vite, lancée à la volée, expulsée tel un exutoire, lui rappela qu’il venait tout juste d’échapper à la torture du canif d’Éléna.

À la fin de cette phrase, l’esprit d’Ivan se fit enfin vif ; il tilta, réalisa, comprit.

Il devina que ce terrifiant couteau pouvait, dans l’idée et la manière, dans l’intention, s’associer au sang.

Éléna n’avait pas besoin de cette dernière phrase pour s’en rendre compte, elle attendait seulement la fin du « Ivan’s show » pour poser la seule, unique et bonne question à sa sœur :

– Que fais-tu, là, près de la pierre, avec un couteau dans les mains, sœurette ?


« Je crois que tout le monde sait très bien ce qu’elle s’apprête à faire.

Nous savoir.

Ce que d’autres n’ont pas eu le courage de faire.

Enfin. »

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