Main au dargeot, Tom-ba au cachot

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Cela fait trois semaines que je croupis dans les oubliettes du château de Karth, sur l’ordre de la grande reine Deïnej, pour une raison inepte sur laquelle il est inutile de s’attarder. Disons, pour rester bref, qu’à avenir — si jamais je réchappe à l’humidité et la puanteur de cette basse-fosse —, je me méfierai des bals masqués donnés à la cour, et garderai sagement les mains dans mes poches ; l’erreur est humaine, mais la mort définitive.

Tant bien que mal, j’ai réussi à aménager ma nouvelle demeure. J’ai réuni, dans un coin, un petit tas de paille et de poussières pour confectionner un piteux matelas ; un lit de fortune, tout à fait inconfortable. Sous le soupirail généreusement ferré de barreaux, j’ai installé le lieu d’aisance, afin que mes doux fumets puissent, autant que possible, s’échapper de la geôle. À l’opposé de ma couche, à deux mètres tout au plus, je dépose ma gamelle à disposition de la vermine. Une fois par jour, on m’apporte un quignon de pain rassis, que j’engloutis en rêvant de viandes rôties et de petits légumes de saison. Je laisse néanmoins la dernière bouchée, pour satisfaire mes colocataires ; qu’ils épargnent mes arpions, mes oreilles, le bout de mon nez, lorsque je m’assoupis. Il me tarde de retourner au domaine, de m’abandonner dans son garde-manger.

Pour l’heure, mon estomac gargouille, les membres parcourus d’incontrôlables frissons. J’ai d’abord cru à une blague, à une bonne leçon, mais je sais maintenant être en vilaine posture.

J’ai eu le temps de réfléchir, durant ces trois semaines. Peut-être est-ce ce que la reine escomptait. Une méthode un peu rude, si vous voulez mon avis. Nous aurions pu avoir une conversation autour d’une partie d’Eishek, ou lors d’un déjeuner officiel. Son goût pour la stratégie n’est pas un secret. Après les années sanguinaires menées par le roi, son mari, dont la dépouille nourrit sans doute encore les créatures des plaines de Wofrinlo, la veuve redoutée conduit le pays depuis la grande salle du Conseil, entourée de ses savants les plus habiles et ses guerriers les plus retors. Si je n’avais pas mis la main au cul de sa fille, peut-être siégerais-je parmi ces derniers.

Je réfléchis beaucoup, donc, et j’en viens à la certitude que cette méprise était intéressée. Depuis la fin de la guerre, des rumeurs circulent depuis les galetas de la ville basse jusque dans les couloirs royaux où les nobles cancanent, comme à leur habitude. Des récits de familles enrichies par l’échange de fournitures et de nouvelles avec l’ennemi. Je sais que mon père est resté loyal, au point que lui aussi gît dans les plaines de Wofrinlo. Mais il est avéré que l’Histoire préfère les ragots.

Mon geste de l’autre soir était un malentendu, un piège et un prétexte. On me tient dans ce cachot sur une éventualité. Pour mon plus grand malheur, la Reine Deïnej est une femme ambitieuse, une calculatrice bien trop prudente, ainsi qu’une mère très à cheval sur l’étiquette.

D’accord, sur ce point je suis coupable : lors de ce bal masqué, j’ai effleuré, de manière absolument délibérée, le fessier de la jeune princesse du royaume.

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