Le lieutenant-général Bakkor n’avait jamais vu son campement être levé aussi vite. À peine l’astre de jour avait-il allumé l’horizon que les chariots étaient déjà attelés, les chevaliers équipés, les brigades formées, visages déterminés et tournés vers le Nord ; les fanions claquaient au vent, les chevaux hennissaient d’impatience. Au moment où les premières ombres firent leur apparition, même le sonneur avait embouché son clairon, prêt à entamer la mise en branle.

Le terme camper était trompeur ; la division du lieutenant-général Bakkor était une véritable ville en mouvement, dont l’inertie était de taille à faire pâlir un troupeau de bœufs mené à l’abattoir. Nul ne doutait de la férocité des hommes, pour l’essentiel des sauvages très attachés à leur solde, encore fallait-il donner l’impulsion initiale. Le haut gradé était rompu à l’exercice ; de nombreuses troupes adverses, durant la dernière guerre, avaient été médusées de voir bastion aussi lourdaud capable de se muer en raz de marée.

Pourtant, ce matin-là, Bakkor fut tiré de sa paillasse par les battements de toile de son pavillon que l’on démontait en hâte ; le temps qu’il ajuste les boutons de son gambison, on lui présentait son palefroi, bichonné et sellé comme un jour de parade. Il fit enregistrer ce miracle dans son carnet de campagne, tenu par son biographe qui, surpris comme lui, avait oublié de rentrer sa chemise dans son pantalon.

— Mes salauds, maugréa-t-il dans sa moustache, un méchant sourire imprimé sur son faciès couturé. Lorsqu’il s’agit de retrouver foyers et terres, il n’y a guère besoin de vous fouailler.

À ces mots, l'historien sursauta et plongea de nouveau sa plume dans l’encrier.