L'ours et la belette

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Je crois que tout est prêt. J’espère que cela fera son effet. Un exorcisme efficace pour partir du meilleur pied ; je voudrais enrayer le cycle amorcé par une horrible peine de cœur.

Trop longtemps, je me suis délaissé, joué de facilité et de paresse. Plusieurs mois, j’ai endossé passivement le costume d’ours mal léché. Ma vie n’est pas folle, je m’en suis contenté, mais cette histoire d’agios bancaires perpétuels est la gouttelette de vinaigre qui a fait déborder le pichet de mon aigreur. J’ai décidé de me reprendre en main, en commençant non par les cornes du taureau, mais carrément par ses couilles. Il paraît qu’on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs.

Mon studio n’est pas grand, mais l’après-midi n’a pas été de trop pour le remettre en ordre ; des mois de flemme s’y étaient accumulés. J’ai rempli un rouleau entier de sacs poubelles, fais la chasse aux chaussettes orphelines et aux caleçons distendus. J’ai descendu à la cave l’épave de trottinette qui me servait de portemanteau — de porte-un-peu-tout, soyons honnête —, passé un bon coup d’aspirateur, même dans les coins. Même le tapis ne s’est pas reconnu. J’ai récuré évier, lavabo et bac de douche, frotté les carreaux qui se perdaient sous le tartre et remplacé le rideau ; j’ai tant astiqué les gogues qu'on peut se voir dedans. La kitchenette semble en exposition chez Ikéa, avec ses placards rangés au cordeau, ses torchons pendus comme des œuvres d’art, l’égouttoir malicieusement faussement vidé. La plaque à induction est une piste d’atterrissage pour les rayons du Soleil. La hotte est tellement briquée que le père Noël en serait jaloux.

Assis dans mon clic-clac dispensé de miettes, ses coussins aussi moelleux que le ventre d’un chat angora, j’attends une fille rencontrée sur internet ; une jolie belette patiemment apprivoisée (par un ours, c’était un réel défi), rudement disputée, d’autant que j’ai tenu à rester vertueux. Vraie photo, vraie description, vrais défauts sciemment mis en avant. Nous avons finalement convenu d’un rendez-vous. Je n’y croyais pas, et pourtant !

Cela dit, elle est en retard, et pas qu’un peu. Dire que j’ai trimé comme une bête pour que mon antre soit présentable et dans les temps ! Ça me fait tressauter le genou. Je m’impatiente. Sur la table basse, où la poussière n’ose plus se poser, j’ai planté une bouteille de Bordeaux qui chambre gentiment. J’ai envie d’y goûter, m’envoyer une rasade, me rincer le gosier. Je dois résister ; pas question d’être pompette avant son arrivée. Pompette ? Bon sang, c’est vrai que je me civilise, encore hier j’aurais dit bourré.

Mon téléphone tintinnabule pour annoncer un message : salut toi. Finalement, je préfère qu’on se voie dans un endroit public, j’espère que tu me comprends. Tu as une idée ? Avec le petit smiley, pour signifier qu’elle est désolée, mais contente d’avoir osé dire les choses.

Je grimace au souvenir de tous mes efforts. J’ai envie de grogner, mais au moins ma caverne est-elle propre, n’est-ce pas ?

J’enfile un blouson, lace mes chaussures, tout en réfléchissant à un lieu de rendez-vous. Je dois bien avouer que non, je n’ai aucune idée. Un bar à saumon, peut-être ?

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