Il est dit que le plus souvent, la première impression est la bonne. Pour être honnête, en voyant Guntasir pour la première fois, je n’aurais jamais imaginé que nous deviendrions un jour, si vous me permettez l’expression, comme cul et chemise. Il faut dire que notre rencontre fût des plus agitées.

Je venais de pourfendre une douzaine de moblaids, ces immondes créatures à peine plus hautes qu’une jeune pousse d’afprion, mais teigneuses et affamées, qui pullulent dans les plaines de Wovrinlo. Que faisais-je donc dans cet endroit maudit, me demanderez-vous, et pour rester bienséant, je me contenterai de vous signaler qu’en temps de guerre, les soldats de mon espèce n’ont guère le loisir de faire la fine bouche. Le seigneur de Civronno nous avait envoyés dans cette région afin de contrer l’avancée de l’avant-garde adverse, et la faune locale s’était invitée aux festivités, un point c'est tout.

Nous avions bataillé tout le matin, sous le ciel implacable d’un bleu aussi vif que le vent qui nous hurlait dans les oreilles. Je reprenais mon souffle, pantelant et couvert de déchets visqueux ; des poils et des boyaux, chauds et puants. Soudain, je fus heurté durement, et je plongeais tête la première dans la terre labourée et sanglante. Stupéfait, encore enragé, je fis volte-face en montrant les dents.

Il était penché au-dessus de moi. Guntasir, dans sa broigne auréoline, enlaidi d’un sourire qui fendait son visage de brute épaisse, me toisait avec une fatuité importune.

— Désolé, vieux. Parmi toute cette tripaille, je ne t’ai pas vu. Un peu d'aide ? me dit-il en déployant un battoir impressionnant qui me cacha le soleil.

Sa voix était étonnamment douce, étrangère à sa défroque de blandkrien féroce ; sa carapace pourtant souillée étincelait, son chapeau carré lui donnait l’allure d’un stratège qui aurait, dans un excès de zèle ou de bravoure, accompagné ses troupes jusqu’en première ligne.

— Non ! répondis-je en frappant sa main tendue.

Il rit fort et franchement, à en faire trembler toute la campagne.

Tandis que je me relevais, maladroit et vexé, je décidais de détester Guntasir de tout mon être.

Aujourd’hui, le chevalier jaune de Cobalt, champion des blandkriens, est mon meilleur ami. Je sacrifierais ma vie pour sauver la sienne, sans hésiter.