Les jeux sont déjà faits 1/2

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Notre invité avait repris du poil de la bête. Plus que je ne l'aurais parié. Certes, il avait pu profiter d'une bonne nuit de sommeil mais en fin de compte ce bâtard avait récupéré plus rapidement que moi. D'un point de vue extérieur, cela ne se remarquait sûrement pas : un sac en toile de jute lesté lui recouvrait la tête, ses mains étaient liées derrière son dos et entre le Keish Bourassa, Piquiri et moi, il devait avoir l'air plus frêle qu'il ne l'était vraiment. Mais quand je lui avais ligoté les mains - repenser à ces putains de mains tatouées de noir me mis mal à l'aise - j'avais été surprise par sa vigueur et la souplesse de ses mouvements. Il avait pourtant passé deux nuits et deux jours à se faire tabasser par la clique du Keish ; et après la mort de Koshju, ils avaient tous de foutues raisons de passer leurs nerfs sur ce chien. Je m'y étais essayée aussi pour faire bonne figure mais ça n'avait pas fait partir mes mauvaises humeurs.

Il trébucha sur les pavés grossiers quand je le poussais dans la rue menant à la Porte d'Inksa. Etonnamment, il y avait du monde à La Prune. Entre Piquiri sa carrure de géant, son fouet et sa massue, la renommée du Keish dans les rues de Dunem et la mienne dans ce bouge, aucune chance de passer inaperçus. Mais les sempiternels agitateurs et ivrognes de sortie s'empressèrent de replonger le regard dans le fond de leur gobelets. La sagesse d'une nuit encore jeune. Ou le bon sens engrangé d'une semaine plombée. Du coin de l'oeil, j'aperçus Tysha, elle me fixait avec une détermination étrange. Je ne lui rendis pas son regard. Mon ventre se noua, et je ne pus m'empêcher de cracher pour contrer le mauvais sort.

Le Keish avait dit que le lieu de rendez-vous était dans la Pente d'Or, sur l'ancienne place du marché aux bords de l'Osul. Cela faisait un bon bail que le quartier était à l'abandon et bien que les taudis des orpailleurs n'aient jamais été réputés pour leurs charmes, cette partie de la ville était lugubre depuis que la rivière avait retenu ses trésors. Alors que nous grimpions les rues tortueuses et serrées de la Pente d'Or, les bruits de la ville s'assourdissaient derrière nous et des nuages vinrent masquer la lumière de Nomo comme si nous rentrions dans une obscurité ouatée. Cette fois-ci, c'est le Keish qui cracha sur la chaussée.

  • Soit ce fils de chien est déjà terré là-bas depuis un moment, dit-il en soufflant comme un boeuf, soit il a déjà quitté la ville sans son bâtard de mignon. Lunpo devait être son ombre toute la journée, mais il n'a pas su le dénicher. Ni dans sa crèche, ni vers le Palais. Pas de trace non plus de son cul à la Négoce, apparemment plus personne ne le connait là-bas, disparu qu'ils disent. Mais j'ai quand même idée de lui mettre la main sur le collier et s'il nous invite là-haut, je pense qu'il est bien là-haut. Le sorcelard est acculé, il ne peut pas se passer de son dernier atout. Alors on va pas l'effaroucher, on va baragouiner un peu. Mais il est dangereux et tordu, alors qu'on se le plante ou qu'on se tire de là, on le fait et fissa. Clair ?

Tout en donnant ses instructions, il tripotait nerveusement quelque chose sous sa chemise au niveau de sa poitrine. J'avais rarement vu le Keish Bourassa aussi nerveux que ce soir, je jetais un  coup d'oeil à Piquiri mais le colosse semblait aussi impassible que d'ordinaire, si ce n'est que son regard triste et ses paupières mi-closes lui donnaient dans l'obscurité un air étrangement morbide.

Finalement, la montée déboucha sur l'ultime rue en escalier qui menait à l'ancien marché. Il fallut que je rattrape notre prisonnier une paire de fois tant les marches étaient inégales et brusques. Arrivés au sommet, la grande place de terre battue s'étalait devant nous, bizarrement plus vaste que ce dont je m'en rappelais. Sur notre droite, l'Osul chantonnait. Ici son cours était plus large et elle passait presque tranquillement avant de retomber en fracas à travers la roche. De l'autre côté de la place, une silhouette montée se dressait silencieuse et seule. Je sentis alors sur ma nuque une brise glacée. Alors que le Keish me passait devant, je le vis jeter des coups d'oeil en direction des vieilles bâtisses éventrées qui bordaient la place sur notre gauche. Il grognât comme pour lui même et je n'aurai su dire si c'était un bon ou un mauvais présage. Piquiri fermait la marche. D'ordinaire, cela aurait du me rassurer tant le géant incarnait la stabilité mais ce soir-là cela me faisait froid dans le dos.

Notre maigre procession progressait lentement sous le regard lourd du cavalier noir. Après ce qui m'apparu une éternité, Le Keish s'arrêta finalement à quelques toises de l'homme qui venait de frapper au coeur de son empire scélérat, le pédagogue Caphaneli. Il renifla bruyamment et cracha un nouvelle fois.

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