Acte VI : une photo intrigante

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Erin franchit le seuil de sa maison à une heure tardive. Mais qu’importait l’heure dans un endroit où le temps n’existait plus ?

— Erin ! Mais où étais-tu passée ? Nous t’avons cherché partout ! s’exclama madame Jansen armée d’un chandelier d’où émanait la lueur chaude d’une bougie.

Le tremblement de terre avait provoqué une coupure d’électricité dans toute l'île. Elle soupira. Elle en avait plus qu’assez des interrogatoires de sa mère.

— Nous ?

— Sveinn et moi. Il s’inquiète beaucoup à ton sujet. Il m’a parlé de l’être invisible avec lequel tu sembles souvent parler.

— Ah oui ? La voix d’Erin tremblait de rage. Et il t’a aussi raconté comment il a essayé de… elle s’interrompit, les poings serrés le long de ses hanches.

Elle ne souhaitait pas inquiéter sa mère outre mesure. Elle règlerait elle-même le problème avec Sveinn.

— Laisse tomber, maman, poursuivit-elle en grimpant les marches qui menaient à sa chambre. On en parle demain.

Elle s’immobilisa soudain et se retourna.

— Dis, comment est morte grand-mère Astrid ?

La surprise se refléta dans les yeux de sa mère.

— C’est vrai que tu n’étais qu’un nourrisson quand elle nous a quittée. Elle est décédée des suites d’une mauvaise grippe. Pourquoi me demandes-tu cela ?

Erin secoua la tête et remonta en silence les escaliers. Allongée sur le lit, elle médita sur ce qu’elle venait d’apprendre. La mort d’Astrid ne collait pas avec l’histoire de son grand-père. Selon lui, sa femme avait été emportée par l’océan. La jeune femme bailla. Exténuée par sa marche depuis l’autre bout de l’île, Erin s’enfonça dans le sommeil sans s’en rendre compte.

***

Elle flottait sur le dos au milieu d’un océan carmin. Au-dessus d’elle, l’astre nocturne avait revêtu une robe de sang, teintant par son reflet les eaux calmes. Bercée par le léger roulis ondulatoire, elle ferma les yeux un instant.

— Erin… Erin… murmura la brise au creux de son oreille. Toi seule peut encore les sauver. Viens avec moi.

Elle ouvrit les yeux et se redressa. L’océan supportait son poids, elle n’eut donc aucun mal à marcher sur l’eau. Dans cet univers onirique, Erin ne s’en formalisa pas. Elle contempla un chemin de lumière ondoyante sous ses pieds. Ainsi, l’eau ne la soutenait pas ; un amas de pierres agglomérées formait un sentier révélé par l’éclipse de lune. Ce chemin de lumière lui rappelait quelque chose, mais le souvenir se perdit dans les méandres de son esprit. Un cri perça soudain dans la nuit rougeoyante. Erin se retourna et aperçut l’Ombre foncer droit sur elle, alors elle se mit à courir. Le sentier était sans fin, l’épuisement la guettait. Bientôt, l’Ombre l’avalerait et… et quoi ? Lasse de fuir, elle fit face à son ennemie dans un ultime sursaut de bravoure. Lui ouvrir les bras, la laisser l’englober toute entière, et l’accepter en elle. Telle était sa volonté.

Le lendemain, de nombreux moutons furent retrouvés morts, rejetés sur les côtes par l’océan. Pour une raison inconnue, ils avaient chuté du haut des falaises. Un suicide de masse sans aucun précédent. Mais à quoi pouvait-on s’attendre chez un animal grégaire ? Il suffisait d’un seul mouton qui glisse dans le vide pour que le reste du troupeau le suive dans la mort… Cette conclusion, avancée par le maire, satisfaisait peu les habitants. Et ce mystère se rajoutait aux autres. Personne n’avait encore réussi à contacter le continent ni même l’archipel. Et l’inverse était vrai aussi, ce qui ajoutait à l’angoisse générale. La disparition des poissons en premier lieu, une nuit interminable, un séisme, deux morts violentes et maintenant la disparition d’un troupeau de milles moutons, cela pesait lourd dans l’esprit des insulaires. La panique envahissait à présent nombre d’entre eux. Ils avaient déserté le pub et les vallées. Chacun préférait se barricader à son domicile et fermer les yeux sur tous les récents incidents.

Dans la jolie maison aux murs rouges et au toit végétalisé, que le séisme avait par miracle préservé, Erin aidait sa mère à nettoyer les dégâts mineurs, surtout des débris de verres qui jonchaient le sol. Elle alla ensuite inspecter chaque pièce, armée de sa lampe de poche, jusqu’au vieux grenier poussiéreux dans lequel plus personne ne se rendait, sauf pour y déposer les objets devenus inutiles. Erin poussa un long soupir en constatant le désordre qui y régnait. Tout était sens dessus-dessous. De nombreuses photos étaient éparpillées sur le plancher. Erin se pencha pour les ramasser et les ranger dans un coffre, mais une d’entre elles accrocha son regard. Intriguée, elle approcha sa lampe de poche. Sur le cliché aux couleurs un peu passées, une femme qui lui ressemblait trait pour trait souriait, une pinte de bière à la main. Le décor qui l’entourait lui rappelait le pub de l’île en un peu plus vieillot.

— Grand-mère Astrid ? souffla-t-elle.

On lui avait assez souvent répété que leur ressemblance était frappante. Même Joe la confondait avec elle pendant ses crises. Après avoir remis un peu d’ordre, Erin descendit rejoindre sa mère dans la cuisine.

— Hey maman ! J’ai quelque chose à te montrer.

Sa mère déposa la dernière assiette sur le bord de l’évier puis attrapa un torchon avec lequel elle s’essuya les mains avant de se tourner vers sa fille. Elle saisit la photographie qu’elle lui tendait et l’examina.

— C’est grand-mère, n’est-ce pas ?

Madame Jansen secoua la tête en lui rendant le cliché.

— Vous pourriez être deux jumelles, c’est vrai, mais Astrid avait des yeux vert foncé alors que les tiens sont…

— noisettes, dirent-elles à l’unisson.

— Donc, sur cette photo, ce serait moi ? Erin fronça les sourcils. Je ne me rappelle pourtant pas du tout de ce moment. Et puis, cela fait des années que je ne vis pas sur cette île, pourtant j’ai l’air d’avoir le même âge. Comment est-ce possible ?

Sa mère haussa les épaules. Pour elle, c’était seulement une bizarrerie de plus à ajouter au tableau des phénomènes inexpliqués de ces derniers jours.

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