Acte VII : une vérité douloureuse

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Des éclats de voix dans le village, accompagnées du son d’une corne suspendirent les interrogations d’Erin. Les deux femmes se précipitèrent dehors, lampes en main. Que se passait-il encore ?

— La mort nous a ôté un nouveau membre de notre communauté ! criait le maire en boucle, une lanterne à la main et suivi par le cortège des habitants. Restez chez vous, enfermés à double tour ! Des volontaires monteront la garde à tour de rôle. Je vous demanderai également de rassembler toutes les denrées alimentaires et l’eau potable afin de les partager équitablement. Ne cédez pas à la panique, même si l’incompréhension nous terrifie.

Alors Andersen n’était pas l’auteur du meurtre de Jan Larsen. La peur engourdissait l’esprit de tous. Erin aperçut Sveinn passer devant elle. Il s’arrêta un bref instant pour la regarder.

— C’est le barman Rasmus qui a été tué cette fois. Au moins, celui-là, il ne te draguera plus.

Puis il se détourna et continua son chemin. Erin fut estomaquée par sa remarque, si déplacée. Il semblait impassible face à ce malheur. Si froid et distant comme si…

Erin décida de le suivre, ignorant les appels de sa mère afin qu’elle regagnât la maison. Elle éteignit sa lampe de poche et se fit la plus discrète possible. Il marchait droit vers le phare, sa petite lanterne dans sa main. Qu’allait-il bien faire là-haut ? Erin pinça ses lèvres quand elle le vit forcer la porte et entrer à l’intérieur. Elle frissonna en distinguant sur le mur les lettres sanglantes que personne n’avait pris la peine d'effacer. La jeune femme hésita un instant et se décida enfin à pénétrer dans l’endroit qui avait vu mourir son gardien deux jours plus tôt. Elle commença à monter les marches quand la porte se referma derrière elle avec un grand fracas qui résonna dans le phare. Elle fit volteface et se retrouva devant Sveinn, un sourire fielleux sur le visage. Une de ses mains était cachée dans son dos. Erin se fustigea intérieurement d’avoir pu le sous-estimer ainsi. Elle surmonta sa peur et le défia avec courage.

— Alors, Erin, on court se jeter dans la gueule du loup ?

Gagner du temps. Elle recula d’un pas tandis qu’il avançait vers elle.

— Mais qu’est devenu l’adolescent jovial et gentil que tu étais ?

Un rictus de haine déforma son visage.

— Ce garçon n’existe plus, il est mort quand j’ai quitté Mykines. Quand je n’ai reçu aucunes nouvelles de toi. Tu m’as oublié, Erin.

— J… mais enfin c’est la vie, Sveinn. À quoi aurait rimer une relation à distance ? Tu étais mon ami et tu l’es toujours.

Il cracha sur le sol et dévoila alors à la jeune femme le poignard que dissimulait sa main derrière son dos. Quand elle aperçut l’éclat argenté de la lame, elle sentit la peur la paralyser de nouveau.

— Sveinn, que… qu’est-ce…

— Sois mienne, Erin. Et il ne t’arrivera rien, jura-t-il le couteau sous sa gorge.

Dans l'esprit de la jeune femme s'établit la connexion entre son arme et les récents meurtres. Alors elle dévisagea avec horreur celui qu'elle croyait connaitre.

— C’est toi… c’est toi le meurtrier que tout le monde recherche !

À cet instant, un vrombissement sourd à l'extérieur du phare détourna l’attention du jeune homme. Erin en profita pour le pousser le plus fort possible sur le côté pendant qu’elle ouvrit la porte et s’enfuit au-dehors. Avant de se figer net. Au loin, une vague immense progressait vers le village. Elle compta sur ses doigts. Il leur restait encore un jour avant la fin de leur monde. Pourtant, si ce raz-de-marée touchait Mykines Bygd, cela en était fini pour les villageois. La belle rousse s’écroula à genoux devant l’inéluctable. Indifférente à son ami d’enfance, devenu un monstre, qui l’attrapa par ses cheveux bouclés et la traîna à l’intérieur du phare. Une nouvelle fois, la porte se referma dans un bruit assourdissant. Apathique, Erin le regarda se déshabiller et le laissa même toucher son visage. Ses yeux bleus brillaient d’un éclat de folie.

— Ô Erin, j’ai tant rêvé de ce moment. Quand je fusionnerai avec toi, nous deviendrons liés pour l’éternité.

Elle voulait mourir. Vite. Elle repensa à son Esprit, le Vitne dont son grand-père avait eu si peur. S’il avait su…

— Vitne, murmura-t-elle d’une voix éteinte, finalement je ne pourrai pas faire de choix. Quel qu’il soit.

Tu te trompes…retentit une voix dans son esprit.

Sveinn interrompit ses caresses, de plus en plus intimes, et la fixa.

— Qu’est-ce que tu dis, ma belle ?

Erin voyait danser devant ses yeux l’Ombre de ses cauchemars. Elle n'éprouvait plus aucune peur. Elle consentit donc à la laisser venir se fondre en elle, révélant une noirceur insondable enfouie à l’intérieur de son être. Erin laissa éclater un rire démoniaque devant un Sveinn stupéfait. Lequel des deux était le plus fou maintenant ? Plus rapide que l’éclair, Erin ramassa le poignard que le Suédois avait laissé tomber à ses côtés face à l'apparente docilité de la jeune femme. Elle lui enfonça la lame dans la carotide sans aucune hésitation. Le regard de son ancien ami trahissait une incompréhension empreinte d'un intense chagrin. Du sang gicla de la plaie puis la vie quitta son corps et il s’écroula sur le sol comme un pantin désarticulé. Des images surgirent alors devant les yeux d’Erin. S’unir consciemment avec l’Ombre avait réactivé une mémoire dont elle ne soupçonnait même pas l’existence. Comment Erin avait égorgé Jan Larsen alors qu’il essayait de la convaincre de le suivre dans le confessionnal, histoire d’avouer ses plus grands péchés. Nu de préférence. Andersen s’était bel et bien suicidé, elle s’était simplement contentée de peindre les lettres sur le phare. Quant à Rasmus, le pauvre s’était retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment alors qu’elle ressentait le besoin de libérer sa sauvagerie intérieure. Mais la conscience de la jeune femme pure ne put supporter ces révélations.

Elle se précipita hors du phare et vomit dans l’herbe glacée toute l’atrocité de ses actes. Elle vit la haute vague déferler sur le port et l’engloutir. Heureusement, elle distingua une bonne partie des villageois sur les hauteurs des terres. Elle soupira de soulagement. Puis son regard se voila ; elle ne pourrait jamais les rejoindre sans leur avouer quel monstre se cachait derrière son visage en coeur. La mort lui sembla préférable au jugement de sa mère et à sa propre culpabilité. Erin, penchée au bord de la falaise, espéra que sa fin serait rapide. Alors qu’elle chutait, le regard rivé sur la lune, une nuée obscure l’enveloppa soudain et Erin fut emportée dans un néant duquel elle ne s’éveilla que le lendemain soir. Lors de l'ultime nuit de cette île.

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