Chapitre 14.3 : Astrid

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Inquiète, Astrid préféra rester en retrait tout le long du trajet, tenant compagnie à Fileya, qui fermait également la marche, son regard pensif perdu sur le sentier terreux. Yume et Léterno guidaient quant à eux le groupe. Sans doute connaissaient-ils l’un comme l’autre la direction à emprunter pour atteindre leur prochaine destination, qui était… La jeune fille ne s’en souvenait même plus. Tout ce qu’elle savait, c’était qu’ils devaient rejoindre la mystérieuse petite fille qui s’était adressée à Yume et elle devant les portes de Fikternand.

Le soleil se couchait progressivement, et l’ambiance dans la Forêt de Cristal ne perdait rien de sa majesté, peu importait l’heure. Les rayons de l’astre incandescent étaient filtrés par les feuillages mauves des arbres de cristal, plongeant les bois dans une atmosphère chaleureuse. Astrid n’avait d’ailleurs plus l’impression d’être constamment observée, sans doute car les Gardiens de Cristal avaient maintenant retrouvé leur forme initiale, et qu’il n'en restait plus aucun dans la forêt. Les troncs des arbres commençaient à luire de leur lumière nitescente, comme s’ils avaient, à l’instar d’une belle de nuit, emmagasiné toute la lueur du jour pour la laisser éclater la nuit.

En d’autres circonstances, Astrid aurait pu passer sa vie dans ces bois, propices au calme et à la plénitude. De plus, leur allure de balade n’arrangeait en rien son sentiment de bien être ; elle n’avait plus l’impression d’être une fugitive, bien que son estomac restait encore noué à l’idée que des Miliciens pouvaient surgir de derrière un arbre pour les surprendre tels des bandits de grands chemins à n’importe quel moment. Tiens, d’ailleurs, c’était assez surprenant qu’ils n’aient jamais croisé un seul pilleur de trésors depuis le début de leur quête. Les larcins n’existaient-ils donc pas à Onyrik, ou bien avaient-ils seulement une chance hors du commun ?

Curieusement, Astrid ne vit pas le temps passer. Elle réalisa que le soir était tombé lorsque Yume et Léterno se mirent d’accord pour s’arrêter pour la nuit. La jeune fille n’allait pas s’en plaindre ! Certes, cette soirée ne serait pas aussi luxueuse que celle passée dans le palais du Village de Cristal mais, au moins, elle pourrait reposer ses pieds et ses jambes endolories ! Pourquoi l’idée d’investir dans un cheval n’avait traversé l’idée de personne ? Ça, elle savait que les équidés existaient à Onyrik, car elle en avait déjà vus un dans ses précédents rêves !

Tandis que les trois garçons s’affairaient à monter les tentes, Fileya, assise en tailleurs dans l’herbe sauvage, farfouillait à la recherche de quelque chose dans le sac sans fond des Falkies. Intriguée, Astrid contemplait ses sourcils froncés et ses lèvres pincées, se demandant si elle pouvait lui être d’une quelconque aide. Cependant, lorsque les traits faciaux de la jeune fille se détendirent finalement en une expression ravie, la jeune archère comprit qu’elle avait déniché ce qu’elle souhaitait. Lorsque la magicienne retira enfin son avant bras du sac, elle en ressortit une première couverture épaisse à fourrure. Redressant sa petite tête arrondie sur les garçons qui enfonçaient les pieux des tentes dans la terre à l’aide d’un maillet, la jeune fille ne se déplaça qu’une fois sa cible en vue.

– Tiens, Khomas, c’est pour toi, dit-elle chaleureusement en tendant la couverture douillette au pauvre petit garçon mort de froid.

Le petit frère de Thandon n’avait pas ouvert la bouche une seule fois depuis qu’ils avaient quitté le Palais de Cristal. Il avait passé la majeure partie du trajet blotti dans les bras de son grand frère, dans lesquels il avait fini par s’assoupir, sans doute terrassé par les émotions continues de peur qu’il avait ressenties ces dernières heures.

Marmonnant un tout petit remerciement, Khomas accepta la couette sans rechigner et l’enroula autour de son petit corps comme dans un cocon. Astrid n’avait pas remarqué à quel point elle avait froid jusqu’à présent, elle aussi. Ouvrant la bouche, la jeune fille soupira et remarqua avec effarement que son souffle ressortait en buée.

– Et voilà pour toi, annonça Fileya en lui tendant à son tour une couverture, posée sur son avant bras.

Surprise par un tel élan de bonté, Astrid la remercia d’un hochement de tête, ses lèvres bien trop sèches pour parvenir à les remuer convenablement, même pour exprimer un simple mot comme “Merci”. Une fois le précieux bien en main, la brune n’en perdit pas une seule seconde : elle le passa sur ses épaules qui tremblaient de froid. L’effet fut immédiat : son corps entier cessa de trembler, et une agréable chaleur se répandit dans tout son être. La seule chose qui la dérangea pourtant fortement fut la fourrure de sa couverture. Mais la jeune fille avait tellement froid qu’elle préféra se taire et ne pas faire de scandale à l'idée de porter de la fourrure animale.

Refermant plus fermement la couverture qui faisait toute la longueur de son corps, même debout, Astrid vit Fileya sortir trois autres couettes qu’elle mit de côté pour leurs amis encore affairés à monter les tentes. Puis, elle s’en dénicha une, qu’elle s’empressa de poser sur ses propres épaules, soupirant d’aise tout en fermant les yeux, heureuse de trouver enfin une source de chaleur dans ce froid mordant ! Les nuits dans la Forêt de Cristal n’étaient décidément pas à prendre à la légère, et Astrid était étonnée de constater que Yume avait réellement pensé à tout, pour ce voyage !

Toujours sans prononcer le moindre mot, Fileya commença à faire le tour de leur camp de fortune, caché au milieu des arbres luminescents de la Forêt de Cristal. Lorsqu'elle la vit ramasser un premier bout de bois, Astrid comprit que sa jeune amie s’était mise en tête de construire un feu de camp. Voulant se montrer utile elle aussi, et sachant aussi que Yume serait capable de la charrier si elle ne se bougeait pas d’elle-même pour aider à la vie du camp de fortune, l’Enfant aux Rouges se mit elle aussi en quête de bois. Quand elle mit enfin la main sur un rondin assez épais pour prendre feu assez longtemps, la jeune fille s’étonna de le voir ressembler à un rondin tout à fait ordinaire. La branche d’arbre avait tout perdu de sa belle couleur luminescente.

– Là ! Voilà ! s’exclama tout à coup Yume en assénant un dernier coup puissant dans le dernier pieux. On sera bien pour ce soir, non ?

Astrid, qui lâchait son tas de rondins de bois qu’elle tenait dans ses bras comme des enfants, les laissa tomber sur l'amoncellement de branches qui se trouvait au centre du camp. Puis, quand elle redressa la tête pour jeter un coup d'œil au travail des trois garçons, elle vit Yume, tout fier de lui, les mains sur les hanches, la fixer avec satisfaction. Sentant ses lèvres complètement gelées, la jeune fille ne trouva d’autres moyens pour lui répondre que de hocher la tête de bas en haut, approuvant son travail de maître.

Alors que Thandon allait récupérer son petit frère pour le garder précieusement avec lui, Yume et Léterno, quant à eux, vinrent s’asseoir autour du tas de bois pas encore allumé. Sachant pertinemment qu’ils allaient tous mourir de froid s’ils restaient assis à ne rien faire malgré leurs chaudes couvertures, Fileya savait que c’était à son tour de jouer. Bravant le froid qui lui engourdissait les membres, la jeune fille parvint à invoquer son bâton dans un flash lumineux. Elle récita la formule d’un sort Brasier, pointa son cristal en direction des rondins, et ceux-ci prirent feu immédiatement. Astrid trouvait la magie véritablement pratique dans ce genre de situation, et se demanda pourquoi elle n’existait pas dans son monde, avant d’en venir à la conclusion que, comme à Onyrik, des gens mal censés seraient capable de faire régner la terreur avec une telle arme.

Une fois qu’elle eut accompli son travail, Fileya prit place à son tour sur le sol, s'asseyant avec une grâce digne des plus grandes reines. Pas comme Yume qui s’était littéralement laissé tomber à terre ! Même Léterno, malgré ses muscles, s’était posé avec plus de souplesse.

– Bon, démarra Thandon, qui s’installa entre Astrid et Yume, sans doute pour ne pas se retrouver à côté de sa chère et tendre avec qui il semblait visiblement en froid. Léterno m’a raconté ce qu’il s’est passé dans le château de Cristal. Quand même… Le Roi et ses sujets, endormis par la magie de cette perfide Iakyndy… C’est dingue, quand même !

– T’as répété deux fois quand même, plaisanta Yume pour détendre l’atmosphère, mais personne ne rit à sa blague.

Astrid, les bras enserrant ses genoux, avait porté son regard sur les flammes. La chaleur des braises commençait petit à petit à lui dégourdir les membres, et elle parvint même à sortir sa langue pour humidifier ses lèvres gelées.

– Est-ce que je peux dormir ? questionna tout à coup la petite voix fatiguée de Khomas dans les bras de son frère, levant sur lui un regard étincelant. Je suis fatigué…

– Bientôt, petit bonhomme, bientôt… lui répondit le plus âgé en lui adressant un sourire attendri, avant de jouer avec ses cheveux du bout de son nez en trompette.

– Mais laisse-le dormir ! s’offusqua curieusement Yume le premier, les sourcils froncés de désaccord. Il a l’air crevé, ce pauvre gosse !

– Ah non ! désapprouva Fileya contre toute attente, ses yeux écarquillés, comme prête à faire des menaces. Pas avant d’être passés par la case douche avant cela !

– La douche ? réagit son meilleur ami, déconcerté. Et comment tu veux t’y prendre, on est en pleine forêt, je te rappelle !

Astrid ne se sentait pas la force de prononcer le moindre mot. Elle fut donc heureuse de constater que Yume était d’humeur à exprimer tout haut ce qu’elle pensait tout bas, pour une fois que leurs idées convergeaient en un même point… Même s’il y avait de l’eau, ne risquait-elle pas d’être gelée avec ce froid digne du Pôle Nord ?

– La rivière coule une fois encore pas trop loin, expliqua Fileya d’une voix plus doucereuse, tandis que les oreilles de chats sur sa capuche se dressèrent, comme à l’écoute. On peut aller y faire notre toilette là-bas sans soucis. N’est-ce pas ?

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