Chapitre 14.4 : Astrid

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La jeune Invoqueur tourna lentement la tête en direction d’Astrid, qui la fixait avec des yeux ronds. Hors de question de partager son bain – enfin, la rivière – en compagnie d’hommes ! De son âge ou non ! Fileya pouvait bien comprendre ça, n’est-ce pas ? Si elle avait le choix, Astrid aussi aurait voulu réfuter cette idée de bain, surtout car elle refusait de se montrer entièrement nue à qui que ce soit… Garçon ou non !

– Ah ! Et les filles séparément des garçons, bien entendu ! ajouta la jeune fille aux oreilles de chats en étirant un large sourire en direction de Yume, qui avait tout de suite deviné ses intentions.

– J’approuve ce plan ! réagit pour la première fois Astrid, maintenant qu’elle avait récupéré du froid qui l’empêchait de se prononcer comme elle en avait l’habitude.

– Mais… Mais… On va se geler les… protesta le jeune homme, horrifié.

– Fais ce qu’on te dit, intervint Léterno à temps.

Astrid écarquilla les yeux quand elle remarqua qu’il n’avait même pas porté sa couverture si gentiment offerte par Fileya sur ses épaules. Bras croisés sur son torse à moitié dénudé, le grand homme ne semblait même pas souffrir du froid. La brune pensa définitivement que cet individu n’était pas humain, ou alors qu’il avait débloqué, par elle ne savait quel stratagème, une immunité contre le gel !

– Un bain froid ne fait jamais de mal, dit-il en se redressant de toute sa hauteur.

Léterno posa son unique œil améthyste sans émotion sur les deux Buxihens. Il était difficile de lire l’expression de son visage si renfermé, malgré les flammes qui se reflétaient sur celui-ci. Mais Astrid lui trouva un air curieusement chaleureux, malgré toutes les réserves qu’elle pouvait avoir à son sujet.

– Et le petit est éreinté, ajouta-t-il d’une voix platonique. Au plus tôt on en aura terminé, au mieux on se portera.

Resserrant son étreinte autour des bras recroquevillés de son petit frère tout contre son torse, qui luttait de toutes ses forces pour résister à l’appel du sommeil, Thandon se redressa à son tour, tout en hochant gravement la tête, le regard fixé sur leur nouveau compagnon de voyage. Il n’avait pas quitté la chaleur bienfaisante de leurs couvertures, toujours sur ses épaules, qu’il tentait de garder en place du mieux qu’il pouvait, ce qui n’était pas tâche aisée avec un petit garçon dans les bras.

Yume était quant à lui plus réticent à l’idée de se baigner dans une rivière glacée, ce qu’Astrid pouvait parfaitement comprendre. Adoptant l’attitude d’un enfant de huit ans qui boudait car ses parents refusaient de céder à ses caprices, le jeune homme croisa les bras sur son torse, tout en détournant le regard, avec une moue boudeuse sur les lèvres et les yeux résolument clos.

Désespérée, Fileya lui lança un nouveau regard noir, mais son meilleur ami ne le vit pas, à cause de ses paupières fermées et de sa tête détournée sur le côté.

– Hors de question ! protesta finalement Yume, toujours sans adresser un seul regard pour ses amis. Et si l'Élite attaque le camp pendant notre absence ?

– Voilà qu’il recommence avec son sexisme ! répliqua aussitôt Astrid, les yeux exorbités de mécontentement devant une telle remarque. Tu crois qu’à nous deux, on n’est pas assez fortes contres de malheureux soldats ?!

– N-Non ! se récria le blondinet, réalisant son erreur, portant son regard bleu turquoise sur son amie, qui le fixait avec une haine féroce. C-C’est pas ce que je voulais…

– Viens-là au lieu de pleurnicher comme une fillette, décida Léterno, pour mettre fin à cette conversation qui risquait de prendre des minutes précieuses sur leur heure de bain et de sommeil.

Déterminé à l’y traîner de force, Léterno agrippa la capuche du veston de Yume d’une poigne ferme, manquant de peu de l’étrangler. Là, il le tira à sa suite comme on emporte dans son sillage une charge trop lourde pour être prise sur le dos, sous les cris de protestation du blondinet, qui se débattait comme il le pouvait pour se dégager de sa prise.

Astrid avait l’impression que le grand homme l’étranglait en le transportant ainsi, mais elle savait que Yume, s’il souffrait trop, lui demanderait de s’arrêter. Alors, elle décida de ne rien dire. Elle continua à rire à gorge déployée en même temps que Fileya, qui avait pudiquement caché une partie de son visage pour ne pas laisser trop apercevoir son expression hilare.

Une fois que les garçons se furent finalement éloignés, les deux jeunes filles soupirèrent de contentement, achevant ainsi leurs rires. Cependant, un sourire énorme avait fleuri sur le visage de Fileya, ce qui ne manqua pas à Astrid, qui se demanda depuis combien de temps son amie ne s’était-elle pas amusée de la sorte.

– Qu’est-ce qui te fait sourire ? demanda Astrid pour briser la glace, sa tête posée sur ses genoux ramenés contre son torse pour plus de chaleur.

– Les garçons ne seront jamais assez intelligents pour penser à réchauffer l’eau avec de la magie, dit-elle sur un ton taquin.

Elle la gratifia d’un clin d'œil complice, et Astrid ne put s’empêcher de sourire à son tour. Malgré tout, la brune ne pouvait s’empêcher de penser à leurs pauvres compagnons masculins qui avaient été forcés de se baigner à l’eau gelée, tandis qu’elles allaient profiter d’un spa enchanté grâce à la magie de feu de Fileya.

– Je te connaissais pas ce côté perfide ! commenta Astrid, tout de même surprise par l’attitude de Fileya, elle d’ordinaire si douce.

– Moi non plus, à dire vrai… ! releva la jeune Invoqueur, un sourire rêveur flottant sur les lèvres et deux doigts surpris devant la bouche.

Un ange passa. Astrid avait reporté son regard sur les flammes dansantes devant ses yeux couleur du sang, ses bras enlacés autour de ses genoux. Du coin de l'œil, elle vit Fileya en faire de même, ses iris bicolores perdus dans la danse sensuelle du brasier. L’Enfant aux Yeux Rouges aurait bien aimé savoir ce qui pouvait bien se passer dans sa petite tête. Son amie était quelqu’un qui se torturait beaucoup l’esprit, cela, elle avait passé assez de temps en sa compagnie pour l’avoir remarqué.

Quelque chose n’allait pas ces derniers temps avec Fileya, par ailleurs, et même Yume en avait été aussi dérouté qu’elle. Que s’était-il bien passé pendant son retour à Buxih pour qu’elle se mette dans des états pareils ? Ou bien était-ce son séjour sous Fikternand qui l’avait marquée ? Astrid ne savait pas ce qu’elle avait vécu dans ces souterrains, mais ce devait sans doute être quelque chose loin d’être joyeux. Jamais elle n’avait vu Fileya avec des traits de terreurs aussi marqués que cette fois-là, quand elle était ressortie, Yume sur les bras, de sous la statue d’Invoqueur dans le jardin du Quartier Général de l'Élite.

– Au fait… engagea finalement Astrid, souhaitant à tout prix briser le silence.

– Mmmh ? fit la jeune fille, relevant subrepticement ses sublimes yeux insolites dans la direction de son amie.

– Je sais que ce sont des choses qui me regardent pas, mais… J’ai pas pu m’empêcher de… remarquer que… Thandon et toi vous êtes plus… distants…

Astrid n’avait jamais été l’amie qui savait réconforter, ni celle qui savait s’y prendre avec des pincettes dans des sujets délicats comme celui-ci. Elle se demanda si n’avait pas été trop curieuse lorsqu’elle vit les sourcils de Fileya se baisser de tristesse sur ses paupières. Puis, pinçant ses lèvres, la jeune Invoqueur resserra avec plus de poigne ses bras autour de ses jambes, tout en déposant son menton sur ses genoux. Elle déposa volontairement son regard sur les flammes rouges et orangées. Astrid comprit qu’elle était gênée par quelque chose. Se mordant la lèvre inférieure, la brune s'en voulut d'avoir posé une telle question.

– Vous vous êtes disputé ? enchaîna pourtant Astrid, car sa curiosité commençait à poindre petit à petit le bout de nez suite à cette réaction inattendue.

Fileya ne répondit pas de suite. Ce mutisme soudain acheva d’inquiéter Astrid, qui craignit le pire. Elle avait potentiellement mis le doigt sur la vérité. Thandon et elle s’étaient vraisemblablement disputés ! Mais que s’était-il donc réellement passé, cette nuit-là, pour ce qui devait être une rencontre romantique avait tourné au vinaigre ? Qui avait démarré les hostilités, et quel était son motif ? La brune n’était pas du genre commère ou encore indiscrète sur la vie des autres, mais Fileya était ce qui se rapprochait le plus d’une véritable amie ; son lien avec la jeune Invoqueur était même encore plus puissant que celui qu’elle avait forgé un an plus tôt avec Amy, dans le monde réel. Et Astrid avait envie de l’aider à aller mieux. Mais pour que cela puisse se faire, elle devait encore apprendre le fin mot de l’histoire, comprendre ce qu’il s’était vraiment déroulé entre les deux jeunes amoureux.

– Alors là, si je m’attendais à ça ! s’exclama-t-elle, sincèrement déroutée, posant deux mains dans l’herbe hirsute pour éviter de tomber de surprise. On vous a laissé seuls tous les deux après pour que vous soyez plus tranquilles, pour au final… vous envoyer sur les roses ?!

– On ne s’est pas vraiment disputé, trancha la jeune fille, resserrant ses bras autour de ses genoux, les dents serrées.

Astrid avait rarement vu la meilleure amie de Yume dans un état aussi fébrile, peut-être même était-ce la première fois. L’unique instant où elle avait fait preuve d’autant de froideur envers quelqu’un avait été cette fois, à Fikternand, quand elle s’était retrouvée devant Teki, à la sortie du terrible donjon de Seven. L’Enfant aux Yeux Rouges savait qu’elle devrait désormais prendre des pincettes pour la suite de la conversation, au risque de dire quelque chose de travers qui puisse froisser la jolie demoiselle.

– Ah bon ? fit-elle, étonnée, tout en abaissant légèrement la tête sur le côté. Pourtant, ça en a tout l’air, vu la tension qui règne entre vous deux.

– Ça… Ça se voit tant que ça ? hoqueta Fileya, relevant des yeux légèrement écarquillés sur son interlocutrice.

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