Chapitre 13.10 : Astrid

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Déstabilisés par ce Roi qui les terrifiait de par son simple regard, Astrid, Yume et Fileya se jetèrent des regards en coin, leurs corps restant campés sur leur position initiale. Ils n’osaient même pas remuer le moindre petit pouce, de peur d’effectuer un geste déplacé et de travers qui pourrait leur coûter gros. Aucun des trois compagnons ne semblait décidé à se lancer dans une longue diatribe explicative, bien trop cois par cette personnalité qui en imposait clairement plus que Iakyndy, pourtant Princesse de Cristal.

Finalement, après un temps qui parut durer une éternité, le Roi de Cristal croisa ses bras sur son torse, et le trio comprit qu’il s’impatientait. Comme elle refusait de perdre la tête pour une raison aussi futile, Astrid trouva le courage, elle ne savait comment, de tout avouer au Souverain du Village de Cristal.

– Je ne sais pas qui elle était pour vous, début-elle en tâchant de ne jamais le regarder droit dans les yeux, sentant ses épaules trembler d’épouvante, mais une jeune femme appelée Iakyndy nous a introduit dans votre palais, prétextant une histoire horrible comme quoi toutes les femmes du Village de Cristal s’étaient faites enlevées et dévorer par une bête féroce, qui en réclamait toujours davantage toutes les saisons.

Fileya et Yume échangèrent un regard interdit. Astrid faisait preuve d’une assurance à couper le souffle elle qui, quelque jours plus tôt, n’aurait pas hésité à leur laisser faire toute la dure besogne !

– Pour palier au problème… poursuivit la brune, visiblement gênée, sentant ses joues s’enflammer, tout en jouant nerveusement avec ses doigts, refusant catégoriquement de lever les yeux vers le souverain qui la fixait pourtant avec un intérêt grandissant, et bien… démographique, comme elle l’a si bien dit, cette Iakyndy a eu l’idée d’enlever la première femme qu’elle trouverait pour en faire une épouse pour son père… Vous en l'occurrence… Mais…

Astrid avait bien évidemment omis de dire que l’épouse en question était elle-même. Se retrouver face au Roi l’embarrassait déjà plus que de mesure, hors de question de dévoiler cette partie de l’histoire ! De toute façon, le Souverain de Cristal ne semblait pas vraiment intéressé par sa promise illusoire. Fort heureusement pour la jeune fille, qui ne souhait pas finir mariée de force à une personne atteignant pratiquement le double de son âge !

– Mais cette Sorcière des Glaces s’est assez jouée de nous pour qu’on se méfie encore de quelque chose, intervint Yume, les mains sur les hanches et un pli de colère barrant son front, ce qui déforma sa cicatrice. Après tout, cette histoire a été inventée de toutes pièces. Il n’y a jamais eu de Dragon mangeur de femmes, seulement cette Princesse de pacotille qui leur volait leurs énergies vitales pour en faire la Déesse sait quoi ! M’est avis qu’elle n’est Princesse de rien du tout, d’ailleurs, si ce n’est de son petit palais imaginaire.

Trop occupés à râler contre Iakyndy qui s’était bien amusée avec eux grâce à ses jeux d’actrice, personne ne remarqua la mine livide du Roi de Cristal. Du moins, jusqu’à ce que l’illustre personnage ne demandât, d’une voix grave mais étrangement enrouée :

– Avez-vous bien dit… Iakyndy ?

– C’est cela, approuva Fileya avec un hochement de tête, mais la mine passablement inquiète lorsqu’elle nota la première l’état de confusion sur les traits nobles du souvenir de pierre. Ce nom vous évoque-t-il quelque chose ? Elle s’est présentée à moi comme une… Demie-Mage…

– Iakyndy… balbutia le Roi de Cristal, complètement ébranlé. Iakyndy est véritablement ma fille.

– COMMENT ?! s’écrièrent Astrid et Yume dans une synchronicité parfaite, leurs yeux écarquillés d’effarement.

Perdant définitivement pied, le contre-coup de toutes les émotions qui s’étaient succédées dans sa poitrine depuis la mention du prénom de sa chère petite Princesse, le Roi chancela. Plus vifs que l’éclair, deux Gardiens de Cristal s’élancèrent en direction de leur souverain, le rattrapant in extremis par les avant-bras, puis l’aidèrent à se maintenir campé sur ses jambes. Notant que celles-ci continuaient à trembler, les deux hommes décidèrent qu’ils resteraient ainsi pour soutenir leur Roi en détresse, pour échapper à une éventuelle catastrophe future.

– Difficile de démêler le vrai du faux, avec cette Mage… désespéra Fileya en soupirant d’agacement, une main perdue dans ses cheveux d’un blanc étincelant. Mais, Votre Majesté, vos paroles valent bien plus de valeur que les siennes. Que pouvez-vous nous dire exactement sur Iakyndy ?

– En toute vérité, je la pensais morte, tout comme sa mère, Shamyso, débuta le souverain du petit hameau de Cristal, la gorge nouée de tristesse et les yeux emplis de larmes qu’il s’efforçait de contenir, sans doute pour rester digne aux yeux des hommes de son peuple, mais sa carapace avait été brisée depuis la mention du prénom de sa fille.

– Encore le nom de cette femme… maugréa la jeune Invoqueur dans sa barbe, les sourcils froncés de concentration à l’extrême. Voilà un nouveau point sur lequel elle n’a pas menti. Curieux...

Astrid pouvait presque voir les engrenages du cerveau de la jeune Invoqueur s’activer pour tenter de comprendre le casse-tête que représentait Iakyndy à elle seule. L’une de ses oreilles de chat s’était d'ailleurs redressée sur sa capuche, tandis que l’autre était adorablement abaissée.

– J’ai reçu il y a des années maintenant une missive de Seven en personne, reprit le Roi en tentant de se remettre sur pieds par lui-même, mais ses jambes refusèrent étrangement de supporter son poids, m’indiquant la mort de ma femme et ma fille, qui avaient quitté furtivement le domicile familial pour rejoindre l’Élite. Je savais qu’aller à Aneco était dangereux, j'aurais dû tenter de les empêcher de courir tête baissée dans ce traquenard, les supplier de rentrer au palais, mais…

– Votre Majesté, intervint l’homme à sa gauche qui le soutenait de toutes ses forces, si c’est trop douloureux pour vous, vous n’êtes pas obligé de tout raconter à ces parfaits inconnus, sauveurs ou non.

Le Roi de Cristal leva une main calme mais ferme pour lui indiquer de se taire. Avec l’ombre d’un sourire sur son visage de pierre, il énonça :

– Tout va bien, laissez-moi poursuivre.

Astrid fut dérangée lorsqu’elle entendit un marmonnement tout près de son oreille. Fronçant les sourcils d’agacement, elle tourna légèrement les yeux en direction de Yume, pour le trouver lui aussi plongé dans de profondes réflexions. Une main sur sa bouche et la mine sombre, si pensif qu’il en donnait la chair de poule, la jeune fille l’entendait clairement murmurer des paroles incompréhensibles, légèrement déformées par le gant en caoutchouc qui recouvrait sa paume sur ses lèvres.

– Aneco… marmonnait-il tout contre sa paume, le visage sombre à cause de ses mèches blondes qui lui tombaient devant les yeux. L’ancien siège de l'Élite… C’était… Il y a des années…

Astrid fronça davantage les sourcils, prête à le questionner sur ses cogitations, mais elle comprit qu’il se parlait en réalité à lui-même lorsque la voix imposante du Roi de Cristal résonna à nouveau dans toute la salle.

– Vous dîtes donc que Iakyndy vous a invité à séjourner dans le palais ? Je n’ai même pas eu conscience de la présence de ma propre fille dans ma demeure, et encore moins… qu’elle était en réalité en vie ! Pourquoi Seven m’aurait-il menti à ce sujet ?

– Attendez, attendez, je suis plus très sûre de comprendre, là ! s’exclama Astrid, qui semblait être la seule à ne plus rien saisir à la situation. Iakyndy a eu plusieurs entretiens avec vous, avant de prendre sa décision finale sur le sort de la bête, pour nous donner l’autorisation d’aller l’affronter. Mais du coup… à qui est-ce qu’elle parlait lorsqu’elle prétendait venir vous voir ?

– À Seven ? tenta Fileya, son menton pris entre son pouce et l’index. Iakyndy et lui sont alliés, elle me l’a dit.

– Sa parole ne pèse pas très lourd dans la balance, rappela l’Enfant aux Yeux Rouges, ses bras croisés sur sa poitrine d'agacement. Rappelle-toi qu’elle nous a tous bernés.

– Elle n’avait aucun intérêt à nous mentir sur son lien avec Seven, à part pour nous effrayer, déclara Léterno dans son coin, qui suivait la conversation avec un grand intérêt, bien qu’il n’intervenait qu’en de rares occasions. De plus, Iakyndy savait extraire les énergies vitales, et Fileya nous a indiqué que Seven en cherchait également. Pas besoin de tergiverser encore des heures.

Suspicieuse, Astrid plissa légèrement les yeux, tout en dévisageant le samouraï. Fileya ou quelqu'un d'autre au courant de ce secret lui avait-elle réellement fait part d’une information aussi capitale, alors qu’il avait fallu des jours à Yume pour lui faire assez confiance pour lui dévoiler tout ce qu’il savait sur le dirigeant de l’Élite ? Ou bien était-il déjà au courant du secret de Seven avant qu’il ne fasse leur rencontre ?

Léterno sembla sentir qu’on le fixât avec intérêt, car il déplaça avec une lenteur calculée son unique iris en direction d’Astrid, qui s’empressa de détourner le regard, les joues empourprées, gênée de s'être faite prendre aussi facilement la main dans le sac. Ce guerrier était décidément très louche, et elle ferait tout ce qui était en son pouvoir pour dénicher au grand jour la véritable raison qui le poussait à les suivre dans leur quête.

– Il reste tout de même une dernière pièce de l’énigme à élucider, continua Fileya, s’imposant comme véritable détective, elle qui était bien décidée à mettre toute cette histoire au clair. Je sens que les machinations de Iakyndy sont sur le point d'être percées à jour, mais je n’arrive pas à trouver l’élément manquant.

– Votre Majesté, interpella Yume contre toute attente, lui aussi sceptique face à toute cette histoire saugrenue sans queue ni tête avec la Demie-Mage qui semblait ne jamais en finir. En quelle année sommes-nous ?

– À quoi est-ce que tu joues ? s’énerva doucement Fileya, son front plissé de contrariété, mais son attention toute concentrée sur son meilleur ami. Nous somme en deux-mille-dix-neuf-

– Deux mille-dix-neuf, dis-tu ?! s’égosilla le Roi de Cristal le premier, bien qu’Astrid avait été surprise par un tel chiffre, elle aussi, car il devait être exactement la même date dans son monde, si son coma n’avait pas encore duré une année. Mais… C’est… Non ! Impossible ! Nous sommes en mille huit-cent dix-neuf !

– Et voilà un mystère de plus ! se réjouit faussement Yume, pointant un doigt fier en direction du souverain du petit hameau, visiblement heureux d’avoir réussi à trouver cette anomalie à lui tout seul. Notre bon Roi de Cristal est aussi âgé que la chute de la Cité des Invoqueurs !

– La Cité des Invoqueurs est… tombée ?! s’exclama derechef la voix de l'illustre personnage, le teint blafard, une main apposée à l’endroit du cœur et les yeux écarquillés de sidération.

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