Chapitre 12.1 : Fileya

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Fileya avait craint plus d’une fois pour sa vie lorsque Iakyndy avait eu la folle l’idée de l’agripper par le bras pour la forcer à se faufiler entre les pattes énormes du Dragon. La jeune fille avait bien failli se retrouver écrasée comme une crêpe à de nombreuses reprises, ne parvenant pas à esquiver les énormes coussinnets de la bête légendaire avec autant de facilité et d’agilité que sa meneuse. Mais, après quelques minutes de course folle et de peur indiscible, ses pas rythmés par un battement de coeur affolé et l’adrénaline pour tonifiant, la jeune Invoqueur était arrivée saine et sauve devant l’antre de la bête. À peine avait-elle eu le temps de jeter un coup d’oeil inquiet en direction de son meilleur ami resté à l’arrière que Fileya avait senti une nouvelle pression au niveau de son avant-bras, avant d’être tirée avec force et détermination en direction de l’obscurité qui dégageait une froideur incontestable à en geler les os.

Le contact glacé avec l’avant-bras de Iakyndy ne mit pas bien longtemps à se rompre. À peine les deux jeunes femmes s'étaient-elles aventurées quelques mètres plus loin que la princesse des glaces avait froidement relâché son emprise, au plus grand soulagement de Fileya. La peau de la jeune femme de cristal était aussi froide que lui avaient laissé penser les traits de son visage lorsqu’elles s’étaient rencontrées pour la toute première fois. Cette caverne était déjà assez glaciale au goût de la jeune Invoqueur.

Comme dans les prisons de Fikternand, se trouvaient sur les murs des torches étrangement sophistiquées qui s’allumaient automatiquement au passage des deux jeunes femmes, par rangées de trois. Les flammes, au lieu de présenter leur belle couleur orangée ordinaire, se coloraient d’un bleu turquoise inquiétant, dont les ombres dansaient sur les murs tels les silhouettes des démons du Royaume Cauchemardesque.

Fileya se demanda pourquoi le brasier avait pris cette couleur si particulière, et pourquoi les torches étaient si distinguées, dans cette caverne coupée de tout. Un Dragon n’avait pas besoin d’autant de raffinerie, n’est-ce pas ? Avait-il seulement besoin de s’éclairer ? N’était-il pas doté d’une vision nocturne comme la plupart des animaux et autres bêtes féroces ? Cet endroit n’avait décidément rien d’ordinaire, ce qui renforça la méfiance de la jeune Invoqueur. Yume lui avait confié qu’il ne faisait aucunement confiance à Iakyndy et, à cause de ses doutes, elle ne pouvait que se méfier davantage de la Princesse de Cristal, elle aussi. Mais son meilleur ami avait-il raison de ne pas lui accorder fisance ? Cet endroit pourrait en effet être un piège…

Fileya chassa ses pensées d’un revers de tête qui fit voler ses oreilles de chat de part et d'autre de son visage. Tirant sur ses manches pour espérer tromper le froid tandis que son souffle se transforma rapidement en buée devant ses yeux inquiets, la jeune fille se répéta metalement que, dehors, les garçons se battaient de toutes les forces pour lui permettre de sauver des jeunes femmes potentiellement encore en vie. Elle ne pouvait pas les décevoir. Elle devait également penser à Astrid toujours prisonnière de ce mariage arrangé horrible, qui attendait leur retour au château avec la plus extrême des impatiences et des inquiétudes. La jeune Invoqueur ne pouvait tout bonnement pas les laisser tomber, pas maintenant, pas après s'être aventurée si loin. Ils comptaient tous sur elle. Astrid, Yume, les jeunes femmes prisonnières du Dragon, et même Thandon et Khomas restés en arrière. Elle se devait de leur prouver qu’ils avaient eu entièrement raison de lui faire confiance.

Les parois de la grotte s’écartaient au fur et à mesure de leur avancée, comme les contours d’un entonnoir ou d’une fiole qui laissaient place à plus d’espace. Iakyndy et Fileya arrivaient à l'orée d’une salle plus vaste. Marchant sur la pointe des pieds, prudentes, les deux jeunes femmes débouchèrent finalement dans ce qui semblait être le fond de la caverne. Là, les yeux de Fileya furent les seuls à s’agrandir d’effroi.

Au centre de la pièce, si on pouvait la qualifier comme telle, se trouvaient étendus à même le sol les corps d’une dizaine de femmes, de tailles, de poids, et d’âges différents, allant de la plus petite des filles à la plus vieille ancêtre. Mais toutes ces silhouettes avaient un point en commun évident qui permettait de les associer à un seul et même peuple : leur peau terreuse, pigmentation particulière qui n’avait rien de comparable avec la teinte bronzée d’un habitant du désert.

Paniquée, Fileya poussa un hoquet de surprise tout en s’élançant en direction du corps de la jeune femme la plus proche d’elle. S’accroupissant à la hâte, la jeune fille plaça deux doigts tremblants juste sous la jugulaire de cette dernière, et constata avec étonnement que sa peau était aussi dure que de la roche. Mais, malgré cette rudesse, la jeune Invoqueur parvint à sentir un pouls sous ses doigts délicats. Faible, mais régulier. Balayant l’assemblée d’un regard circulaire, Fileya comprit que ces femmes et filles n’étaient pas encore mortes, et qu’elles avaient une chance de pouvoir toutes les sauver de la terrible fin qui les attendait.

Rapportant plus précisément son attention sur la jeune femme près de laquelle elle était accroupie, Fileya, avec un geste délicat, souleva quelques mèches brunâtres qui cachaient en majeure partie le visage de la Villageoise de Cristal. Avec inquiétude, elle constata que ses lèvres étaient anormalement violettes, tandis que sa peau, notamment autour des yeux, avait adopté une teinte verdâtre effrayante, qui n’était pas sans lui rappeler quelque chose… Après un froncement de sourcils concentré, sa mémoire repassant en revue toutes les atrocités auxquelles elle avait dû faire face ces derniers temps, la jeune Invoqueur fit un dérangeant parallèle mental entre cette jeune femme et l’état dans lequel elle avait retrouvé River quelques heures plus tôt dans la salle de jeu morbide de Seven, les horribles séquelles et le sang en moins.

– Iakyndy, s’écria tout à coup Fileya en se redressant vivement sur ses jambes tel un ressort, pressée, aide-moi, vite ! Je dois procurer des sorts de Soin à ces femmes de toute urgence, pendant ce temps, toi, tu peux…

La jeune fille tenta d'effectuer un volte-face en direction de son interlocutrice, mais la surprise la stoppa dans sa phrase. Une sensation de brûlure froide s’empara violemment de ses chevilles, avant de remonter rapidement le long de ses jambes, pour s’arrêter au niveau de ses cuisses. Ses membres étaient totalement entravés dans un bloc de glace joliment turquoise, dont de rares interstices laissaient échapper des nués de vapeur, signe que le sort venait d'être lancé il y a peu.

Fileya essaya de tourner son buste comme elle le put pour espérer rencontrer l’utilisateur de ce sort et, lorsqu’elle parvint enfin à apercevoir la silhouette de Iakyndy en face d’elle, elle comprit sa terrible erreur : celle de lui avoir accordé sa confiance, malgré les mises en garde de Yume. Une main levée dans sa direction, la Princesse de Cristal la toisait aussi froidement que lors de leur première rencontre. De ses doigts écartées et brillants s’échappaient des volutes de fumées fines, identiques à celles encore présentes sur son entrave magique. Les yeux écarquillés d’effroi, Fileya se demanda, en son for intérieur, après la mauvaise surprise passée, comment elle était parvenue à effectuer un sort sans même avoir eu recours à une incantation elfique...

– Mais… qu’est-ce qui te prend ?! s'énerva Fileya, le souffle coupé, totalement horrifiée par une telle attaque sournoise.

La jeune Invoqueur essaya de briser la glace à l’aide de sa jambe, mais cette dernière était aussi bien entravée que si elle avait été retenue par des chaînes métalliques. Elle tenta alors de briser le sortilège à coups de poings, mais sa main commença par rapidement la brûler. Fileya ne sentait déjà plus ses pieds.

– Ça aura été plus long que prévu, finalement, débuta Iakyndy en abaissant doucement sa main pour la porter à sa hanche avec une expression sarcastique. Mais j’ai eu ce que je voulais, au bout du compte.

– Quoi… ? s’étrangla Fileya, ses sourcils se fronçant progressivement de consternation.

Sans même prendre la peine de lui répondre, Iakyndy frappa du pied contre le sol rocailleux. Son talon de cristal résonna tel un carillon sinistre dans l’espace vide et, presque immédiatement, partirent de la pointe de sa chaussure de nombreux filets de lumière qui se fichèrent dans les parois de la caverne, avant de se réunir en un seul point au-dessus de leurs têtes, s’estompant en de milliers de petites étincelles. Ce spectacle aurait pu être magnifique si Fileya ne s’était pas retrouvée prisonnière de cette glace infernale. Sentant l’air devenir encore plus froid qu’il ne l’était déjà à son arrivée, la jeune Invoqueur comprit que Iakyndy avait recouvert la grotte d’une couche de glace.

– Comment peux-tu… user de la magie sans incantation ? demanda Fileya, surprise, tout en ravalant sa salive. J’ai bien réussi une fois, mais… C’est normalement impossible !

– Impossible pour des magiciens de second rang comme toi, débuta Iakyndy en jetant une mèche de ses cheveux bleus marine par-dessus son épaule dans un geste dédaigneux et hautain. Une banalité pour des Mages tels que moi.

– Mage…, réagit immédiatement Fileya, les sourcils froncés de concentration, son regard se détournant lentement de sa geôlière, avant de finir par comprendre : Tu es une Mage ? Mais... Comme les Dragons, je pensais que ce peuple magique avait disparu depuis des siècles...

Osant relever ses iris bicolores en direction de la Princesse de Cristal, Fileya la vit rouler lentement des yeux dans ses orbites, visiblement agacée par la surprise de sa découverte. Puis, elle déposa une main royale sur sa hanche, avant de commencer à faire lentement le tour de l’immense grotte désormais recouverte d’une épaisse couche de glace, sans se presser. Sa silhouette se reflétait dans les parois gêlés tels des miroirs déformants, mais ce que la jeune Invoqueur craignait le plus fut que tous ses affreux sosies ne se mirent à sortir de la glace pour la tourmenter davantage. Une seule Iakyndy lui donnait déjà beaucoup trop de fil à retordre, elle n’avait aucunement besoin de ses sœurs démoniaques.

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