Chapitre 11.6 : Yume

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À cette dernière affirmation, Astrid releva un regard de braise en direction de Iakyndy, qui fit fine de ne rien voir. Telle une diva appréciant d’être enfin le centre de l’attention, la jeune femme à la peau de cristal dégagea une mèche de cheveux bleue tombée sur son épaule d’un geste dédaigneux. Tout comme son amie, Yume aussi était surpris que la Princesse de Cristal n’ait pas tenté de l’assassiner par tous les moyens qu’elle aurait pu disposer. Iakyndy ne lui inspirait pas confiance, et le jeune homme était ravi que son amie partageât cette même opinion. Il n’y avait décidément que Thandon pour être aussi naïf et croire en ces paroles mesquines et diaboliques maquillées de douceur à faire dormir debout.

– Pourquoi tenterais-je d’assassiner la sauveuse de notre malheureux petit village ? se défendit la Princesse de Cristal d’une voix faussement peinée.

– Parce que personne ici ne te fait confiance, répondit derechef Yume, laconique, croisant ses mains sur son torse.

Le jeune homme croisa un bref instant le regard étonné d’Astrid un peu plus loin, et il crut discerner une marque de reconnaissance briller dans ceux-ci. Il se convainquit, en son for intérieur, que la jeune fille le remerciait de partager ses pensées. Yume sentit ses joues picoter drôlement, aussi se pressa-t-il de détourner le regard, se pinçant la lèvre inférieure, conscient de ce que cela représentait.

– Sauveuse ? questionna cependant Fileya, bien plus pragmatique que son meilleur ami.

La jeune Invoqueur s’était à son tour avancée dans la pièce, pour aller à l'encontre d’Astrid, à qui elle avait attrapé le bras, comme pour la rassurer par sa présence.

– Astrid, tu veux bien nous expliquer ce qu’il se passe ? demande-elle à son amie, penchant adorablement sa tête intriguée sur le côté.

– Ouais, parce qu’on est carrément embrouillés, là ! soutint Thandon, qui avait écarté les bras de part et d’autre de son corps dans un geste incompréhensible, tandis qu’il s’était imperceptiblement rapproché de Iakyndy, dont les lèvres de cette dernière s’étaient étirées en un sourire ravageur et conquérant. Un coup, les Gardiens essaient de nous tuer, et dans la seconde près, leur Princesse nous accueille comme des héros !

– Toute cette histoire est louche, intervint Léterno de sa voix grave, lui qui ne s’était que très peu prononcé jusqu’à lors.

D'abord surprise par cette silhouette et ce visage ascétique, Astrid trésaillit lorsque son regard croisa celui, à l’oeil unique, du tout nouvel arrivant. Ravalant sa salive, la supposée Enfant aux Yeux Rouges resserra ses doigts autour du bras de Fileya, qui la soutenait depuis un certain temps. Puis, elle lança un regard en direction de Iakyndy, qui hocha finalement la tête de manière nonchalente, avant qu’elle ne repportât son attention sur ses ongles, dont la manucure la souciait subitement.

Yume fut surpris de cette marque de complicité entre les deux jeunes femmes, mais il préféra ne rien relever. Il préssentait qu’Astrid en avait gros sur le coeur à leur dévoiler, et il ne voulait pas faire attendre le moment fatidique des révélations tant désirées plus que de coutume.

Inspirant profondément pour se donner du courage, Astrid tâcha de les éclairer du mieux qu’elle put de la situation dans laquelle ils se trouvaient tous embarqués par sa faute. Ainsi, Yume et ses amis apprirent que le Village de Cristal était tenu sous le joug d’une terrible créature, qui réclamait, à chaque renouvellement de saisons, des jeunes filles et femmes. Cependant, le Roi, qui avait désormais perdu sa femme, devait se résigner à confier son unique fille et héritière du trône à la bête. Alors, pour remédier au manque de femmes de son Village, Iakyndy avait eu la fantastique idée d’enlever la première créature femelle capable de remonter la courbe de démographie.

Subitement gênée, Astrid détourna le regard de ses compagnons pour conter le reste de leur présence ici. Elle avait proposé, en lieu et place de servir de femme au Roi de Cristal, que ses amis viennent à bout de la bête qui les tourmantait. S’ils sortaient victorieux, Astrid était libre de partir. Dans le cas contraire, Fileya servirait de prochain sacrifice, Iakyndy serait sauvée pour une saison supplémentaire, et elle-même devrait épouser ce Roi dont elle ignorait tout, jusqu’à même son apparence physique, pour lui assurer une descendance.

Yume avait écouté le discours d’Astrid sans l'interrompre une seule fois, bien que ce n’était pas l’envie qui lui en manquait. Plus il en apprenait sur Iakyndy, plus son désir de lui coller un poing dans la mâchoire le démangeait ! Les Gardiens de Cristal auraient pu tomber sur n’importe quelle femme, certes, mais la simple idée de savoir Astrid coincée dans cette position pire qu’incortable lui donnait envie de vomir et de détruire tout ce qu’il se trouvait à portée de main.

Serrant les poings le long de son corps et fronçant ses sourcils à l’extrême jusqu’à en faire disparaître sa cicatrice sur l’arrête de son nez, l’ancien Epéiste se contint de toute son âme pour ne pas invoquer son arme, laisser libre court à sa rage, prendre son amie par la main, et s’enfuir du Village de Cristal à toutes jambes. Heureusement, son âme altruiste lui souffla au creux de l’oreille des paroles réconfortantes, assez suffisantes pour calmer sa rage, lui rappelant qu’il y avait de nombreux êtres qui attendaient d’être libérés de la bête qui les tourmentait chaque saison.

– Je te promets qu’on n’en arrivera pas là, informa Yume, aussi déterminé que si on lui avait proposé d’assassiner Seven de ses mains. On trouvera une solution. Tous ensemble.

– Quelle horreur… ! commenta à son tour Fileya, une main posée près du cœur, tout en lançant un regard compatissant à son amie. Et dire que j’aurai pu me retrouver dans cette situation à ta place… Oh, comme je m’en veux, si tu savais !

Suivant l’échange entre le groupe de héros, Iakyndy ne put s’empêcher de commenter dans sa barbe, ses mots déformés par sa main devant sa bouche :

– Ah, ça, tu ne crois pas si bien dire, magicienne…

– Tu as dit quelque chose ? s’énerva Yume en tournant vivement son buste en direction de la jeune femme à la peau de cristal, qui écarquilla des yeux d’effroi, sans doute surprise de ne pas être passée aussi inaperçue qu’elle l’aurait souhaité.

– Aurai-je oublié de mentionner certains détails ? changea-t-elle subitement de sujet, jouant à la fausse petite fille à la fois outrée et malheureuse ; toutes ses réactions étaient trop exagérées pour être réelles. Le Roi a ordonné, dans l’expectative que vous alliez chasser la bête, que sa fiancée reste dans sa demeure. Désolée, mais elle ne viendra pas avec vous.

– Pardon ?! s’indigna l’intéressée, qui fit un pas en avant sous le coup de la frustration. Mais pourquoi me l’avez-vous caché ?!

Yume ne comprenait pas pourquoi Astrid faisait preuve d’autant de courtoisie à l’égard de cette princesse de pacotille, qui ne méritait rien d’autre qu’une bonne remise en place.

– Oh, je ne l’avais pas caché, seulement oublié, se défendit Iakyndy en brassant l’air d’une main, son autre bras toujours coincé sous sa poitrine.

– Autre chose que nous devons savoir avant de nous lancer dans cette quête ? s’impatienta Léterno, mais rien ne trahissait une telle expression, que ce soit sur son visage, dans sa posture, ou dans le timbre de sa voix.

Sans s'en rendre compte, Yume commença à dévisager le grand homme de haut en bas, comme on analysait un ennemi pour connaître ses points faibles et ses points forts. “On dirait presque une sorte de mercenaire… réfléchit Yume dans son for intérieur, son regard balayant furtivement la silhouette du grand homme. Se pourrait-il que c’en soit un ? Fileya m’a affirmé qu’il avait une sorte de lien avec Thandon, qu’il les avait possiblement trouvé grâce à lui… J’arrive pas à le cerner, ça m’agace… !”

L’expression sur le visage de Ialyndy changea étrangement du tout au tout. Ses traits altiers se tirèrent dans un masque d’une profonde concentration, ses fins sourcils bleus se fronçant presque de colère. Yume connaissait cette expression, pour l’avoir lui-même arborée à de nombreuses reprises avant d’indiquer les ordres de mission à ses hommes : la Princesse de Cristal était sur le point de donner, à son tour, les directives à suivre, au nom de son Père.

– Oui, déclara-t-elle, ses bras de nouveau croisés sous sa poitrine, mais plus aucun signe d’amusement n’était visible. Ce n’est pas une requête en provenance du roi, mais j’ai tout autant de droits que sa Majesté. Alors, voici mes conditions : deux d’entre vous resteront ici, au château, pour tenir compagnie à cette chère Astrid.

Iakyndy s’était déplacée jusqu’à elle, apposant une main délicate sur l’épaule de la jeune fille, qui la fixa avec dédain. Fileya, toujours suspendue au bras de son amie, renvoya un regard similaire à la paume sybarite qui n’avait rien à faire sur la chaire de l’Enfant aux Yeux Rouges. Yume n’en pensait pas moins. Serrant les poings le long de son corps, tout en baissant légèrement le menton d’animosité, le jeune homme prit une fois de plus sur lui pour ne rien laisser éclater.

– Vous ne voudriez pas qu’elle meure d’ennui, n’est-ce pas ? questionna la jeune femme à la peau de cristal, se vestissant à nouveau de son sourire contrefait.

– Yume… intervint Fileya en levant des yeux suppliant en direction de son meilleur ami, et l’angoisse dans son regard s’accentua à la vue de ses poings serrés de rage. Que fait-on ?

– Malheureusement on n’a pas le choix, annonça-t-il d’une voix teintée d’amertume, son regard de braise déposé sur Iakyndy, qui lui offrit un sourire victorieux. Mais permet-nous aussi de poser une condition, dans ce cas.

– Je ne crois pas que l’un d’entre vous soit en position d’exiger quoi que ce soit, dénonça cette dernière d’une voix aussi glaciale que la magie qui avait érigé son palais.

– Tu viens avec nous, décréta Yume, indifférent aux paroles de la Princesse de Cristal, sans lui laisser le choix. Si tu es aussi innocente que tu le prétends, tu ne verras aucun mal à nous accompagner, j’imagine ?

– Mmmh… réfléchit la jeune femme, un doigt long et fin déposé tout près de sa joue. Et bien, peu importe l’endroit où je décide de rester, je serai toujours en excellente compagnie, entourée de beaux et forts jeunes hommes tels que vous. C'est très tentant, je dois dire... !

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