Chapitre 11.7 : Yume

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Thandon lâcha un rire gêné qui ne passa pas inaperçu, ce qui agrandit le sourire déjà exagérément grand de leur hôte. Léterno, de son côté, soupira de lassitude, mais si discrètement que Yume pensa avoir rêvé. Quant à lui-même… Sa réaction le surprit : il n’en eut tout simplement aucune. Lui, qui d’ordinaire aimait recevoir ce genre de compliment de la bouche d’une aussi jolie jeune femme, ne réagit pas. Iakyndy n’était pas comme ses semblables de la gent féminine, et non pas parce qu’elle était une Princesse de pacotille où il ne savait pas trop comment la qualifier… Non, son caractère prétentieux, sûre d’elle, et beaucoup trop égoïste avait juste le don de l’agacer. Pour la première fois en dix-huit ans d’existence et six à courir après les jeunes femmes, il avait juste envie de la fuir, cette fille de glace de malheur.

– Très bien, déclara Yume, mains sur les hanches, et s’imposant ainsi en leader, il nous faut désormais choisir qui restera ici, et qui ira affronter la bête.

– Je reste avec Astrid ! annonça Khomas, resserrant davantage ses petits bras autour de la silhouette de la jeune fille, qui hoqueta de surprise. Pas question de combattre un monstre !

Détachant enfin son regard émeraude de la silhouette filiforme de Iakyndy, Thandon s’avança d’un pas résigné en direction de son petit frère. Là, il déposa une main confiante sur le haut de sa tête, et lui sourit avec douceur.

– Très bien, je resterai donc avec lui. Si… cela ne vous pose aucun problème, bien entendu ? questionna tout de même le jeune garçon en lançant un regard en biais à Yume dans son dos.

Ce dernier hocha solennellement la tête, lui confirmant qu’il était en accord avec sa décision. L’ancien Épéiste ne fit aucun commentaire, mais le choix de laisser Thandon et Khomas dans le château était effectivement la meilleure des décisions à prendre. Le plus âgé des deux ne savait se défendre autrement qu’avec ses poings, et Yume doutait que cette technique de combat lui serait réellement nécessaire face à une bête dont ils ignoraient tout. Quant à Khomas, le petit garçon avait bien évidemment prouvé à tous qu’il était en mesure de se défendre avec sa magie de Lévitation mais, comme il ne la maîtrisait pour ainsi dire pas encore dans son entièreté, mieux valait le garder sur la touche.

– Et toi ? enchaîna Yume en levant les yeux vers Léterno, qui abaissa lentement son unique œil violet dans sa direction, en toute neutralité. Tu sais te battre ?

Il y eut un léger moment de passage à blanc, où les deux jeunes hommes se divisagèrent l’un l’autre, sans qu’aucune forme d’animosité ne prenne pourtant le dessus sur les traits de leurs visages respectifs. Non, Léterno et Yume se faisaient face solennellement, tels deux guerriers se respectant mutuellement, cherchant à déceler les points forts et les points faibles de son interlocuteur. Finalement, lorsque le géant habillé tel un samouraï prit enfin la parole, ce fut pour demander, sans aucune forme d’ironie ni d’orgueil :

– Sais-tu réellement à qui tu t’adresses, jeune homme ?

Yume fronça les sourcils. Il comprit qu’il y avait un clair sous-entendu dans cette question, comme si la réponse aurait dû lui paraître évidente. Qui était réellement Léterno ? Le connaissait-il, de près ou de loin ? Pourquoi le grand homme lui avait posé cette question comme si son interlocuteur était censé connaître la suite logique à celle-ci ?

Yume ouvrit la bouche pour le lui demander mais, au dernier moment, Fileya décida d’intervenir à son tour, un sourire confiant sur les lèvres, alors qu’elle avait quitté Astrid pour rejoindre les deux guerriers :

– Je crois qu’il sait effectivement se battre, au vu de la manière dont les Gardiens de Cristal se sont enfuis à sa simple venue.

– Très bien ! approuva Iakyndy tout en applaudissant fièrement dans ses mains telle une enfant émerveillée devant un spectacle de marionnettes.

Yume aurait préféré qu’elle n’intervienne aucunement dans ce débat qui ne la concernait en toute évidence pas. Comment une fille aussi fragile et frivole qu’elle pouvait se permettre de donner son grain de sel dans une conversation qui n’engageaient que des combattants et des magiciens aguéris ?

– Dans ce cas, les équipes sont formées ! Mais il est hors de question que nous allions nous battre les ventres vides. De plus…

Iakyndy marqua une pause, tandis que ses petits yeux de chat passèrent en revue, de haut en bas puis de bas en haut, la silhouette de Fileya. Visiblement agacée par la façon dont elle était ainsi détaillée, la jeune Invoqueur posa ses mains sur ses hanches, prêtes à lancer une réplique cinglante, mais la Princesse de Cristal reprit avant même qu’elle n’ait eu le temps d'ouvrir la bouche :

– Je crois que cette demoiselle a grand besoin de se refaire une garde robe.

Elle la désigna d’un geste leste de la main, comme on congédie un domestique dont les loyaux services ne sont que très rarement grassement récompensés.

– Heureusement pour elle, j’ai ce qu’il lui faut sous la main.

Yume voulut protester, tant pour les vêtements que pour la nourriture mais, quand son ventre se mit à gronder ostensiblement, le jeune homme dut se faire une raison : il n’avait rien contre un repas gratuit. De plus, peut-être que partager la même table que Iakyndy lui permettrait d’en apprendre plus au sujet de cette étrange jeune femme… et si elle leur cachait véritablement quelque chose.

****

Suite au repas dans le palais de Cristal, où le roi ne leur avait même pas honneur de sa majestueuse présence, Iakyndy avait ensuite insisté pour leur offrir le gîte à tous, sous le regard suspicieux de Yume et Astrid, qui n’avaient rien fait savoir. Cependant, le jeune homme n’avait pas protesté contre l’idée d’obtenir enfin un peu de repos avec un confort maximal comme il n’en avait jamais vu, seulement qu’en rêve. Cette remarque mentale avait suffi à lui décrocher une grimace de douleur : il n’avait pas oublié les lourdes paroles d’Astrid sur le porche de Thandon. Tout ceci n’était qu’un rêve, le fruit de son imagination, et tout pouvait disparaître d’un unique claquement de doigts. Les poings serrés le long de son corps et les sourcils froncés sur sa cicatrice frontale, le jeune homme avait tenté de cacher ses doutes pendant toute la durée où Iakyndy les avaient conduits, Léterno, Thandon, Khomas et lui-même, jusqu’à leur chambre commune.

La pièce dans laquelle ils allaient prendre du repos était tout aussi majestueusement grande que l’était le boudoir et la salle à manger qu’ils avaient déjà visité. À la différence près que, cette fois-ci, les murs comportaient des alcôves assez larges pour y placer précisément quatre lits. Yume avait trouvé cela extrêmement suspect, que le château de Cristal comportât, comme de par pur hasard, une chambre de quatre lits, mais personne à part lui n’avait semblé y prêter la moindre attention. Peut-être que Léterno avait eu lui aussi quelques réticences mais, comme à son habitude, ses traits ascétiques n’aidèrent en rien à la compréhension du personnage. Yume avait donc gardé ses doutes pour lui, craignant qu’ils ne les empêchèrent de trouver le sommeil, mais son corps et son esprit avaient été tellement mis à rude épreuves ces dernières heures qu’il trouvât le sommeil aussi facilement que s’il s’était assoupi dans son propre lit après un retour de mission qui avait été particulièrement éprouvante.

Aux aurores, Iakyndy était venue les réveiller en grandes pompes. Comme à son habitude, la jeune femme aimait se donner en spectacle, même à une heure aussi matinale, ce qui avait fait grincher Yume. L’ancien Épéiste avait bien tenté de se rendormir, s’emmitoufflant dans ses draps comme dans un cocon car les matinées dans le château de Cristal étaient beaucoup trop fraîches, mais la jeune femme à la peau de cristal les lui avait finalement retiré d’un coup sec, ce qui l’avait fait grommeler davantage.

– Debout, espèce de fainéant ! l’avait-elle sermonnée, d’une voix pas trop forte tout de même pour ne pas brusquer Thandon et Khomas qui dormaient encore à poings fermés, les chanceux. Tu ne voudrais tout de même pas faire attendre ta belle ? Elle compte sur toi pour la sortir de ce mauvais pas, tu sais ?

Fronçant davantage les sourcils de contrariété, l’esprit encore tout à fait embrumé, Yume avait fini par s’asseoir sur le bord de son lit. Serrant les poings sur ses draps humides de transpiration, il lança un regard de braise derrière sa frange d’or tout à bataille à l’attention de Iakyndy, qui ne broncha même pas.

– De qui est-ce que tu parles ? s’était-il mis à grincer entre ses dents serrées. De toi, ou bien d’Astrid ?

– Mais comme tu le veux, très cher ! répliqua aussitôt la Princesse de Cristal, une main amusée près de sa bouche.

Sans demander son reste, la jeune femme avait quitté la chambre des garçons. Léterno et Yume, après un regard entendu, s’étaient décidé à la suivre. Ils avaient refermé derrière eux les doubles portes avec la plus extrême des douceurs pour ne pas réveiller les deux Buxihens qui dormaient encore. Puis, les deux guerriers avaient repéré Iakyndy qui descendait les escaliers de cristal avec des déhanchés sauvages, digne d’une grande reine qui aimait l’idée d’être remarquée, pour rejoindre le vestibule. À l’étage inférieur, Fileya les attendait déjà, ses yeux perdus sur la couture de ses nouveaux vêtements.

– Bien, je vois que tout le monde est prêt, avait annoncé Iakyndy, ses mains de cristal jointes telle une négociante particulièrement perfide. Dans ce cas, allons-y, ne faisons pas attendre la bête plus longtemps… L’heure de son trépas est proche.

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