Chapitre 10.3 : Astrid

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Elle acheva sa phrase en tournant volontairement le dos à son interlocutrice, tout en haussant les épaules. Ses bras étaient toujours croisés sur sa poitrine, comme si faire la discussion avec Astrid l’ennuyait profondément, et qu’elle se trouvait ici uniquement car on le lui avait ordonné d’y être.

– Père ? Ravi ? répéta Astrid, ses poings serrés le long du corps et les sourcils froncés d’incompréhension. Mais de quoi parlez-vous ?

La jeune fille se tourna brusquement en direction de l’Enfant aux Yeux Rouges, et cette dernière nota que l’expression sur son visage avait radicalement changé. Certes, sa bouche était toujours parée de ce sourire de façade, mais ses yeux s’étaient étrangement élargis, comme réalisant une chose importante qu’elle aurait oublié de mentionner. Astrid espéra simplement qu’elle allait rapidement répondre à ses questions, car elle se sentait devenir folle, à être ainsi le centre d’attention des Gardiens de Cristal qui ne cessaient de la fixer avec cette expression ahurie qu’elle n’arrivait pas à déchiffrer correctement.

– Mais où sont donc mes manières ? Je me nomme Iakyndy, se présenta-t-elle en changeant radicalement de sujet, tout en portant une main délicate à son cœur.

Sans prévenir, ladite Iakyndy plissa légèrement les genoux, ce qui produisit un douloureux craquement, telle une fissure sur un lac menaçant de s’effriter, tout en soulevant avec grâce sa robe faites de rubans et de voiles légers, dans une matière qui semblait incroyablement douce. Lorsque Astrid comprit qu’elle lui faisait une révérence digne d’une princesse de haut rang, elle sentit ses pommettes s’empourprer. Elle ignorait si la jeune fille se comportait ainsi à cause de son statut d’héroïne, mais elle n’avait rien d'une personne insolite à qui on devait un respect incommensurable ! Elle n’était qu’Astrid, une adolescente perdue entre ses rêves à la réalité, rien de plus…

– Je suis la fille du Chef de ce village, poursuivit Iakyndy en se redressant avec la grâce d’un papillon, puis, son ton redevint hautain : J’estime que je dois être traitée avec tout le respect dont mérite une jeune fille de mon rang, à savoir telle une princesse.

Astrid ne put pas empêcher son sourcil droit de se redresser sur son front pour venir se cacher derrière sa frange brune, bien malgré elle. Elle n’avait pas apprécié la façon dont cette princesse des glaces ou elle-ne-savait-pas-vraiment-ce-qu’elle-était-réellement, venait de s’adresser à elle. Elle avait juste envie de détourner sa route, ne pas se soucier d’une fille aussi prétentieuse dans son genre, quitter ce village - aussi magnifique soit-il ! - pour courir à la recherche de ses amis, qui devaient très certainement en faire de même de leur côté !

Mais une autre partie d’elle, bien plus curieuse, mourrait étrangement d’envie de comprendre ce qu’il se passait dans ce petit village. Quelque clochait, c’était indéniable. Le silence pesant qui était tombé depuis qu’elle était sortie de cette maisonnette, la découverte des Gardiens de Cristal habitant dans ce hameaux d’igloos cristallisés et leur façon de la fixer étrangement, sans rien dire, et cette mystérieuse Iakyndy qui ne lui augurait rien de bon et l’intérêt dont semblait lui porter son “Père”...

Astrid en vint simplement à penser qu’ils étaient au courant pour son statut d’Enfant aux Yeux Rouges. Après tout, Opäle, cette charmante barmaid du Bazar du Désert, avait déjà entendu parler de la Prophétie des Invoqueurs, alors pourquoi pas cette fille de cristal également ? Dans ce cas, s’ils réclamaient l’aide d’une héroïne, pourquoi ne pas le lui avoir simplement demandé, au lieu de l’enlever ? Ou alors, si ce village était victime d’un quelconque danger, pourquoi ne pas avoir prévenu l'Élite, qui se chargeait de la sécurité du Royaume d’Onyrik ?

“A moins que... raisonna la jeune fille dans son for intérieur, ils savent que je suis officiellement devenue une criminelle, et qu’ils essaient de me retenir ici assez longtemps jusqu’à l’arrivée de l'Élite… Non. Ça ne colle pas avec les paroles de Iakyndy. Elle disait que son père serait ravi de me voir… Mais pourquoi moi… Parce que je suis l’Enfant aux Yeux Rouges ? Oui, ce doit être pour ça… Quoi d’autre ?”

Bien décidée à trouver le fin mot à tout ceci, Astrid ouvrit la bouche dans le but de s’exprimer mais Iakyndy, aussi rapide et limpide que le torrent d’une rivière, enchaîna la première :

– Père et moi-même vivons dans l’immense château que tu peux voir, là-bas.

Levant la main au-dessus de la tête tout en pivotant légèrement son corps de trois-quart dans un froufrou de voiles, la jeune fille de glace dévoila, du plat de la paume, le bâtiment qui surplombait le village tout entier. Ses nombreuses tours pointaient en direction des cieux telles des lances, leurs contours de cristal renvoyant l’éclat de la lune turquoise comme un diamant aurait réfléchi le spectre de la lumière du soleil. Papillonnant plusieurs fois des yeux pour s’assurer qu’elle ne rêvait pas, Astrid décida que ce château ainsi que ce village étaient décidément les plus beaux endroits qu’elle n’avait vu jusqu'à lors.

– Et mon rôle aujourd’hui, poursuivit Iakyndy sur ce même ton indéchiffrable que lors de son entrée sur le pont de glace, est justement de te conduire en ces lieux. Maintenant, si tu veux bien me suivre…

Se saisissant des épaules d’Astrid sans son consentement, Iakyndy la força à effectuer un pas en direction des tourelles, sans même lui demander son avis. Les mains de la jeune fille aux yeux de chat étaient glaciales, et bien moins rassurantes que celles d’Espaiceghia, comme le lui avait maintes fois répété Fileya. Non, les paumes de la princesse du Village de Cristal étaient gelées, et brûlaient sur la peau d’Astrid comme des fers tout droit sortis du feu brûlant de l'âtre d'un forgeron.

Astrid protesta vivement, lui demandant de la laisser tranquille, car elle avait sans aucun doute des amis qui devaient la chercher comme des fous dans la Forêt de Cristal, mais Iakyndy fit la sourde oreille face à toutes ses demandes, se forçant à sourire jusqu’à en plisser davantage les paupières sur ses yeux. Soupirant d’agacement, la jeune fille tenta tant bien que mal de se débarrasser de la poigne de la Princesse de Glace, mais celle-ci semblait comme ancrée sur la peau de ses épaules, comme un bloc de glace contre lequel elle aurait posé ses mains trop longtemps. Elle comprit avec désespoir que Iakyndy ne la lâcherait que s’il lui en prenait l’envie, ce qui voulait dire en d'autres mots qu'une fois dans l’enceinte du palais.

Alors qu’elle avait arrêté toute tentative de fuite car cela lui semblait manifestement impossible, Astrid relâcha ses bras le long de son corps, dépitée, tandis que la princesse du Village de Cristal la força à avancer. Posant un pied devant l’autre avec une lenteur qui la désespéra elle-même, la jeune fille remarqua alors un drôle de phénomène se produire tout autour d’elles. Les Gardiens de Cristal couraient pour former deux lignes distinctes, marquant ainsi le chemin que les deux jeunes filles devaient emprunter, tels de parfaits petits soldats. Puis, une fois que celles-ci passèrent à leur hauteur, les petits hommes de pierre et de cristal s’abaissèrent promptement dans une profonde révérence, l’entièreté de leur corps écrasé face contre terre.

Astrid ne put empêcher ses sourcils de se hausser de surprise sur son front. Était-ce leur Princesse qu’ils respectaient ainsi, ou bien elle-même ? Peut-être était-ce tout simplement les deux à la fois. La jeune archère se sentit bien mal à l’aise d’être traitée avec autant de courtoisie. Elle n’était qu’une simple adolescente, comme elle ne cessait de se le répéter depuis son entrée dans ce monde onirique, alors pourquoi l’acclamaient-ils comme une Déesse ? Son titre d’Enfant aux Yeux Rouges n’y était certainement pas pour rien dans toute cette drôle d’histoire, mais…

Il y avait autre chose, Astrid le sentait. Son enlèvement, la façon dont on la traitait en lui adressant des courbettes osées, l’attention que lui portait tout à coup le chef de ce village… La jeune fille avait presque peur d’avoir mis le doigt sur une vérité qui la terrifiait. À côté de ça, finir ses jours dans les cachots de Fikternand était presque un choix de vie bien plus tranquille que ce qui pouvait l’attendre derrière la raison de sa présence en ces lieux. Et tout allait s’éclaircir lorsqu’elle entrerait dans le palais de cristal.

Maintenant, Astrid n’avait plus qu’à prier pour qu’elle parvienne à se sortir de ce guet-apens avant qu’il ne soit trop tard !

****

L’intérieur du palais de cristal était tout aussi impressionnant que sa devanture. À peine Astrid posa-t-elle la botte dans l’enceinte du château qu’elle fut éblouie par une vive lumière bleutée, de ce même éclat aveuglant que l'avait agressée au réveil. Les deux jeunes filles venaient très probablement de pénétrer dans le vestibule du palais, qui se composait majoritairement d’immenses fenêtres, presque aussi hautes qu’une maison, dont les rideaux en guêpières se soulevaient au rythme d’une brise nocturne. Quand Astrid leva la tête vers le plafond, elle nota que ce dernier ne semblait même plus s’en finir, se composant en réalité de nombreux étages, exactement comme dans le Quartier Général de l'Élite. Des escaliers de glace, aussi bleus et glissants que la magie dévastatrice de Fileya, permettaient d’accéder dans les hauteurs. La jeune fille ignorait combien d'étages et de pièces cette demeure pouvait bien posséder, mais elle n’avait définitivement rien de comparable avec les châteaux médiévaux ou de style renaissance de son monde ! Le toit - si Astrid pouvait le qualifier ainsi - semblait se terminer en une pointe, à l’image d’un prisme. Depuis son sommet avait été accroché un chandelier composé majoritairement de gros cristaux finement taillés de sorte à reproduire - à moins que cela n’en fussent de véritables ? - des tanzanites. Enfin, entre deux gargantuesques ouvertures, se trouvaient quelques vases décoratifs dont ressortaient la tête d’une plante impossible à identifier pour la jeune fille qui était totalement étrangère à Onyrik, mais qui lui sembla néanmoins morte.

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