Chapitre 10.4 : Astrid

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Deux choses la dérangea cependant dans ce décor fantaisiste.

La première fut la façon dont ce château pouvait tenir debout. Tout comme le reste du village, l’édifice n’était pas protégé par les arbres de la Forêt de Cristal et, même si les nuits étaient frigorifiques dans la région, comment l’édifice ne pouvait-il pas fondre en pleine journée, puisqu’il semblait, en premier abord, totalement constitué de glace ? Peut-être les nuits étaient-elles éternelles sur cette partie du Royaume, ou alors le château ne s’écroulait pas grâce à un sort qui parvenait à maintenir sa majestuosité en toutes circonstances ?

La seconde fut le manque total de domestiques, de personnels, ou de personnes de chair et d’os, tout simplement - ou pas vraiment, si l’on regardait la composition corporelle de Iakyndy et des Gardiens de Cristal. Se reposaient-ils tous de leur journée harassante, ou bien se cachaient-ils comme l’avaient fait les petits hommes de pierre un peu plus tôt dans le village ? Astrid surveilla du coin de l’œil chaque porte, cherchant à détecter le moindre mouvement telle une espionne à l'affût du moindre bruit ou geste suspect, mais, après quelques secondes où elle n’entendit rien d’autre que le claquement des talons agacés de Iakyndy à l’arrière, la jeune fille en vint à la conclusion que personne d’autre ne se montrerait ce soir.

– Notre palais est définitivement l’endroit le plus merveilleux de tout Onyrik, déclara subitement la Princesse de Cristal, la main levée d’une manière théâtrale en direction des multiples étages qui composaient l’édifice de glace. Que dis-je ?

Elle posa deux doigts dédaigneux sur sa tempe, tout en soupirant langoureusement, avant de reprendre, sur un ton guindé :

– De toute Khazasfä !

– Khasva… tenta de répéter Astrid désormais placée en second plan, un sourcil d’abord redressé sur son front, avant qu’elle ne le fronça de désapprobation, quoi ?

Iakyndy abaissa lentement son bras, comme si Astrid venait de prononcer les paroles les plus dévastatrices qu’elle avait pu entendre de toute sa vie. Se tournant lentement dans sa direction, la jeune fille de cristal la fixa un long moment, incrédule, avec cette lumière dans ses iris opalins qui se demandait très certainement si elle n’avait pas rêvé ce qu’elle venait d’ouïr. Puis, constatant qu’Astrid n’avait manifestement pas l’air d’humeur à plaisanter, Iakyndy questionna, avec un haussement de sourcils hautain sur son large front dégagé :

– Mais qui es-tu donc, pour ignorer le nom de notre continent ?

Astrid fit de son mieux pour garder une expression faciale tout à fait neutre. Oui, jusqu’à présent, personne ne lui avait dévoilé le nom du continent sur lequel elle foulait les terres de ses bottes. Tout ce qu’elle savait était que cette contrée se prénommait Onyrik, et que le Royaume voisin répondait au nom d’Aristofée. Jusqu’à maintenant, jamais personne n’avait fait mention du nom du continent entier ! “Khazasvfä”... Ce nom était à la fois mystique, mystérieux, mais par-dessus tout imprononçable. Astrid avait cru, quand Iakyndy avait prononcé ce mot, qu'elle s'apprêtait à lui lancer un sort comme le faisait Fileya !

Finalement, Astrid opta pour une expression dépitée. Portant les mains sur ses hanches, elle s’expliqua brièvement, dans un soupir qu’elle ne chercha même pas à dissimuler :

– Ce serait une trop longue histoire à vous raconter.

Astrid s’inquiéta lorsqu’elle vit Iakyndy plisser ses paupières sur ses yeux, ce qui réduit son regard à deux fentes parfaitement droites, derrière lesquelles brillaient néanmoins deux perles intrigantes. La jeune fille le savait, elle connaissait parfaitement ce regard pour y avoir été confronté durant toute sa scolarité : la Princesse de Glace la jugeait en silence, l’examinant d’un regard analytique qui partit du bas pour rejoindre le haut. Elle l’avait déjà fixé ainsi lors de leur première rencontre, près de la fontaine, pourquoi devait-elle une fois encore procéder à cette analyse minutieuse de sa silhouette ? Ne l’avait-elle pas déjà assez sondée, tout à l’heure ? Que lui fallait-il de plus, qu’attendait-elle réellement d’elle ?

La jeune archère sentit un désagréable frisson parcourir l’entièreté de son échine lorsque les deux pupilles étincelantes tels des diamants s’arrêtèrent finalement sur ses yeux. Sachant qu’elle ne pouvait pas lui cacher sa nature de sauveuse d’Onyrik avec un trait caractéristique unique aussi voyant, Astrid prit la décision de détourner pudiquement le regard en direction d’une fenêtre, d’où elle put voir de gros yeux noirs les observer avec curiosité. Les Gardiens de Cristal ne pouvaient-ils donc pas les laisser tranquilles deux minutes ? Qu’avait-elle de si intriguant pour qu’on s’intéressât aussi passionnément à sa personne, tout à coup ?

Sentant toujours le regard analytique de Iakyndy sur sa silhouette, Astrid comprit définitivement qu’elle était démasquée. Maintenant que la jeune fille de cristal connaissait son titre d’Enfant aux Yeux Rouges, qu’allait-il bien lui arriver ? Si la brune avait bien retenu une chose importante des jeux-vidéos et des mangas qui l’avaient bercé toute son enfance et son adolescence, c’était bien que les héros, une fois découverts, s’attiraient tout un tas d’embrouilles et autres situations pénibles !

Astrid ne savait rien de cette Princesse de glace. Une pénible pensée fusa dans son esprit aussi rapidement que l’éclair : et si, comme elle l’avait craint sur la place de la fontaine, Iakyndy avait un lien avec l'Élite ? Qu’allait-elle faire ? La dénoncer de suite aux autorités pour empocher l’argent qui lui était suspendu au-dessus de sa tête telle la pancarte d’un animal de foire ? Astrid ignorait encore si Seven avait eu vent de son existence, ce qui, d’après Yume, représenterait un sérieux problème s’il venait à l’apprendre sous peu. La jeune fille n’osait imaginer le sort qu’il lui réserverait si le Grand Dirigeant de l'Élite lui mettrait la main dessus. Sans doute quelque chose de bien pire et humiliant qu’une affreuse séance de torture.

– Très bien, dit finalement Iakyndy sur un ton tranchant après une éternité à fixer son interlocutrice, malgré les paroles doucereuses qui s’ensuivirent : Nous aurons tout le loisir pour faire connaissance, toi et moi. J’ai hâte de connaître ton histoire qui, je n’en doute pas une seule seconde doit être… passionnante.

Astrid n’avait clairement pas aimé la façon dont Iakyndy avait hésité sur le dernier mot de sa tirade. Quelque chose n’allait pas avec cette princesse : elle essayait de se faire passer pour quelqu’un qu’elle n’était pas. Elle cachait quelque chose, et la jeune fille se fit le devoir de découvrir quoi exactement, il en allait de sa propre sécurité.

– Suis-moi, c’est par ici, déclara subitement la Princesse en effectuant un volte-face en direction d’un escalier sur leur gauche, ce qui vit voler ses cheveux et ses voiles en tous sens autour de sa silhouette filiforme.

Recroisant ses bras sous sa poitrine dans une posture que Astrid qualifierait sans aucun remord d’indifférente, Iakyndy grimpa les escaliers de glace. Elle gravit les marches lentement, faisant claquer ses talons contre la matière froide mais bel et bien robuste sous ses pieds, à la manière d’une véritable reine, le menton haut et droit. L’Enfant aux Yeux Rouges la suivit tout aussi longuement, ses poings serrés le long du corps et à une distance raisonnable de son “hôte”. Elle ne savait pas de quoi cette étrange jeune fille au regard de chat était capable, mais une chose était certaine : Astrid ne lui faisait aucunement confiance, et ses airs de “miss univers” ne faisaient que renforcer son animosité à son égard.

Une fois les escaliers totalement gravis, Iakyndy invita sa convive à poursuivre leur progression à travers un long couloir. Lorsque Astrid posa curieusement les yeux sur le sol à ses pieds, elle se retint de toutes ses forces pour ne pas lâcher le moindre petit cri de terreur : la glace sous ses bottes étaient à demi transparente et laissaient apercevoir le vestibule en contrebas. La jeune fille n’avait pas particulièrement le vertige, mais contempler le vide sous ses pieds, c’était un peu comme marcher sur le fil d’un funambule ; elle avait étrangement peur, malgré la rigidité du sol, de passer au travers le cristal turquoise.

Astrid se força à fixer ses iris rubis sur son hôte au corps fragile, qui n’avait pas prononcé un seul mot depuis qu’elle l’avait invitée à la suivre. Après quelques pas supplémentaires, Iakyndy finit enfin par se stopper sans prévenir devant deux immenses portes. La brune se félicita intérieurement d’avoir placé dès le début un certain périmètre de sécurité entre la Princesse de Cristal et elle-même : avec cet arrêt imprévu, la jeune fille, avec sa maladresse caractéristique, lui serait sans aucun doute rentrée dans les côtes.

Plantées telles des pots de fleur devant les deux immenses portes, Astrid profita de ce court moment de répit pour admirer ces dernières. Presque aussi grandes que les fenêtres du hall d'entrée, celles-ci surplombaient les deux jeunes filles de leur hauteur à couper le souffle. Sur chacun des deux battants se dessinaient, en relief, des cristaux de glace améthystes tels que l’on pouvait les observer au microscope. Cette porte ne dégageait aucune forme de magie, cela, Astrid en était presque persuadée car, à force de côtoyer les étrangetés du Royaume d’Onyrik, son cœur était désormais capable de déceler les charmes presque aussi rapidement que Fileya. Aussi, la jeune fille ne savait pas vraiment ce que cette porte pouvait bien dissimuler. Si un piège l’y attendait derrière, l’Enfant aux Yeux Rouges se maudit une fois encore de ne pas avoir appris à matérialiser son arme comme le faisaient Yume et Fileya.

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