Chapitre 10.2 : Astrid

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Se redressant net sur ses pieds tel un piquet, Astrid lança un dernier regard décidé en direction de l’œil-de-bœuf, et plus précisément du paysage composé qui s’y trouvait derrière. Ses amis ne devaient pas être bien loin, elle en était persuadée. Il y avait cette forte chaleur dans sa poitrine, exactement la même qui l’avait envahie lorsqu’elle s’était approchée de la Statue de l’Invoqueur, dans le Quartier Général de l'Élite. La jeune fille ignorait ce qu’il représentait, mais ce feu dans tout son être était rassurant. C’était comme si elle sentait ses compagnons. Mais la chaleur qui l’animait était moins dense que la fois précédente. Ce brasier intérieur fonctionnait-il de ce fait comme une sorte de détecteur ?

Astrid ouvrit la porte en chêne, dernière barrière qui l’empêcherait de rejoindre ses camarades. Elle s’étonna de la trouver ouverte. Si elle avait été kidnappée comme elle l’avait craint, les monstres n’auraient-ils pas dû refermer la porte à clé, pour éviter qu’elle ne s’enfuit ?

“Remarque, nota-t-elle en son for intérieur, un demi sourire moqueur plaqué sur les lèvres, ils avaient pas l’air très intelligents, quand on les a croisés dans la forêt.”

Franchissant le seuil d’un pas résigné, les poings serrés le long du corps, la jeune fille ne put retenir un hoquet d'admiration quand elle découvrit le nouveau décor qui s’offrît à elle. Face à Astrid se trouvait, en commun avec toutes les autres villes et villages qu’elle avait pu visiter jusqu’ici, une fontaine dont trônait en son centre une pantagruelle statue représentant la petite Déesse. Cependant, l’eau, qui aurait normalement dû s’écouler depuis plusieurs arrosoirs tout autour de l’édifice, était complètement gelée. Leurs jets se jetaient directement sur la statue de marbre comme des bras présentant, tous fiers, une nouvelle œuvre d’art qui ferait sensation auprès du public. L’eau étant d’un bleu absolument pur, aussi turquoise que les iris de Yume.

Tout autour de cette fontaine se trouvaient plusieurs petits pâtés de maisons, toutes construites de la même façon que celle dont Astrid venait de sortir. Leur toit ovoïdale ainsi que leur œil-de-bœuf en guise de fenêtre rappelaient fortement à la jeune fille les igloos de son propre monde, au contraire que ces maisons de glace n’étaient pas constituées de blocs de glaçons géants taillés par la main de l’homme, mais plutôt par des cristaux finement travaillés pour s’emboîter parfaitement entre eux. Enfin, brillait, tout en haut des maisonnettes telles des girouettes, des pierres en forme de losange qui faisaient étrangement penser à Astrid celle ornant le bâton d’Invoquation de Fileya. Ces cristaux brillaient d’un éclat apaisant, telles des étoiles dans la nuit, illuminant le petit hameau de couleurs tantôt bleues, tantôt turquoise, tantôt violettes. Astrid nota que les cristaux différaient suivant les pâtés de maison, comme s’ils marquaient des quartiers. En tout cas, ils brillaient assez fort pour éclairer toute la rue : on y voyait presque comme en plein jour !

Même s’il faisait manifestement nuit, Astrid nota cependant qu’un étrange silence régnait dans ce drôle de village sortit tout droit d’un Pôle Nord parallèle. Pourquoi n’y avait-il pas un seul bruit, pourquoi tout semblait figé dans du cristal ? Où se trouvaient les habitants ? Se cachaient-ils tous dans leurs drôles de maisons ?

“Ils doivent sans aucun doute dormir…” releva la jeune fille dans son for intérieur.

Ce qui était une chance en soi !

Astrid effectua un large pas un avant, les poings serrés et déterminés le long de son corps à la manière d’un cartoon, lorsqu’elle entendit un craquement inquiétant juste sous sa botte. Ouvrant de grands yeux effarés, la jeune fille eut tout juste le temps de comprendre que le bruit avait été produit par son pas, semblable à une fissure sur un lac gelé qui menaçait de fondre à tout instant, qu’elle entendit d’autres sons, tout aussi inquiétants. Tout autour d’elle, la brune perçut clairement des portes coulisser lentement, comme dans un film d’horreur et, lorsqu’elle redressa la tête après un difficile déglutissement, Astrid écarquilla davantage ses yeux d’horreur, tandis que sa bouche s’était entrouverte comme pour laisser échapper un cri qui refusait pourtant de quitter le creux chaud de sa gorge.

S’alignèrent en face d’elle, tels de parfaits automates, les créatures identiques à celles qui les avaient abordées hostilement dans la Forêt de Cristal. Leurs grands yeux écarquillés, sans pupilles et sans paupières, dévisageaient Astrid comme si elle était la plus sublime des créatures, une véritable divinité tombée des cieux. Il fallait dire que leur bouche noire toute ronde plantée au beau milieu de leur visage accentuait cet effet d’ahurissement. Les cristaux des maisons se reflétaient joliment sur les pierres dans leurs dos, les illuminant d’un éclat surnaturel.

Cependant, Astrid se méfiait quelque peu de ces petits êtres de roche et de cristal. Lorsqu’ils étaient apparus entre les arbres, une expression ébahie sur le visage, la jeune fille les avait trouvés totalement inoffensifs, sur le moment, et s’était même presque laissée attendrir par les contours tout ronds de leur visage. Néanmoins, après leur avoir sauté dessus en leur montrant les crocs, tout en criant “Femelle !”, la jeune archère avait instantanément vu clair dans leur jeu : leur face rigolote n’avait rien d’une invitation à devenir ami.

Aussi, Astrid porta une main à son dos, dans le but de décocher son arc et ses flèches dans le mince espoir de se défendre (bien que ses projectiles avaient ricoché à chaque fois sur leur carapace de roche), mais elle se retrouva bien embêtée lorsque ses doigts se refermèrent sur du vide. Évidemment. Ces créatures étaient loin d’être bêtes, elles avaient pensé à lui retirer son arme au préalable, au cas où elle essayerait de se défendre face à eux !

– J’aurai vraiment dû demander plus d’explications à Yume concernant cet… maugréa Astrid dans sa barbe, les dents serrées de colère envers elle-même. Comment il a appelé ça, déjà… ? Arsenal Invisible, ou quelque chose du même genre ?

Tout à coup, Astrid entendit un fort claquement de main, qui produisait un rythme constant, totalement serein. Fronçant les sourcils, la jeune fille détourna brièvement les yeux en direction de la provenance du bruit, et découvrit alors qu’une silhouette bleue marchait d’un pas léger et gracieux dans sa direction, depuis le côté droit.

– Allons, allons, Messieurs, réprimanda la nouvelle arrivante d’un ton qu’Astrid ne parvint pas à interpréter immédiatement, un peu de tenue !

Méfiante, Astrid se permit de reculer d’un pas, le dos toujours étrangement courbé vers l’avant, comme si elle s’apprêtait à s’enfuir à toutes jambes dès le premier moment venu.

La jeune fille qui s’approchait lentement de la place de la fontaine depuis un pont fait de cristal n’avait cessé d’applaudir tout le long de sa marche gracieuse. Astrid préféra s’attarder davantage sur son visage, pour mieux discerner le personnage. Ses longs cheveux aussi bleus et lisses que la surface d’un lac gelé en plein nuit étaient tirés vers l’arrière, dégageant ainsi son visage aux traits altiers. Ses petits yeux plissés n’inspiraient en rien la sympathie, tout comme ses pupilles aussi opalines et froides qu’un bloc de glace. Ceux-ci étaient par ailleurs pourfendus par une pupille verticale, ce qui conférait à la nouvelle arrivante une allure étrangement féline, mais qui s’accordait à la perfection avec sa démarche voluptueuse. Son petit nez aquilin ne rendaient que les traits déjà fortement tirés de son visage encore plus fins, mais cela faisait également ressortir ses deux lèvres pulpeuses curieusement blanchâtres, alors étirées en un sourire qui n’augurait certainement rien de bon.

Mais ce qui choqua sans aucun doute le plus Astrid dans l’apparence de l’étrange demoiselle fut sans aucun doute sa peau bleutée, à peine dissociable de sa chevelure de glace qui lui tombait au bas du dos. La jeune fille avait la conviction qu’une simple pichenette aurait pu la décomposer toute entière.

Bien que son visage n’inspirait en rien la confiance, cette véritable poupée de glace aurait pu se briser facilement au moindre contact trop violent. Bien que le corps d’Espaiceghia soit lui aussi composé de glace, Astrid se fit la réflexion que, contrairement à l’Hybride, la nouvelle arrivante ne lui inspirait aucunement confiance. Elle préférait largement le regard froid de la manipulatrice du froid aux paupières plissées de malice de cette espèce de pic de glace humaine !

Bras croisés sous sa poitrine, la jeune fille de cristal se stoppa devant Astrid. Son sourire de façade se dissolut aussi rapidement que neige au soleil, tandis que ses iris opalines passaient en revue la jeune fille face à elle de bas en haut. La brune n’eut aucun mal à analyser cette paire d’yeux qui la fixait ainsi : les jeunes filles de son âge avaient tendance à la dévisager de la même façon lorsqu’elle était encore au lycée, car elles n’appréciaient tout simplement pas son style vestimentaire particulier, loin de ressembler aux tendances actuelles.

– Alors, c’est donc toi que les Gardiens de Cristal ont choisie… déclara le pic de glace sur un ton à la fois doux et hautain qui ne plut certainement pas à Astrid.

Son sourire se fixa à nouveau sur ses lèvres pulpeuses, si étiré que cela en fit presque disparaître ses yeux plissés sous ses paupières.

– Je vois, reprit-elle, avec une fausse sympathie dans la voix. Nul doute que Père sera… ravi. Enfin, mieux vaut cela que rien du tout.

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