Chapitre 9.8 : Fileya

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Posant une main sur l’épaule de sa petite protégée, les deux jeunes femmes fixèrent avec des yeux agrandis de surprise l’homme mystérieux sortir de ses larges poches de pantalon tout un attirail de premier secours. Sans prévenir, il débuta toute la manœuvre nécessaire pour retirer la balle encore fichée dans le mollet du grand frère de Khomas, qui poussa un puissant hurlement de douleur. Avec une force insoupçonnée, le jeune garçon parvint à attraper le bout de tissu du short de Yume et le coinça entre ses dents comme ce dernier le lui avait conseillé avant de partir pour éviter de crier de plus belle à l’avenir. Il pourrait attirer d'autres créatures avec ses hurlements déchirants, et Fileya ne savait pas si elle serait en mesure de les affronter toute seule.

Toujours sans émettre le moindre mot ou le moindre petit son, l’homme retira de manière définitive la balle avant de la jeter au sol comme s’il ne s’agissait que d’un vulgaire caillou. Puis, il lança un regard en direction de Fileya, qui hoqueta de surprise.

– Vous êtes une magicienne, je me trompe ? questionna-t-il d’une voix gutturale, mais empreinte de neutralité.

– Et bien, hum, oui, c’est exact… répondit Fileya après un déglutissement nerveux.

Cet homme avait un quelque chose de… d’impressionnant qui l’avait littéralement clouée sur place. Aucune émotion n’était palpable dans le son de sa voix, comme s’il était totalement dénué de tout sentiment, qu’il subissait tout autour de lui sans broncher. Mais son aura dégageait une impression de respect. Fileya sentit que derrière ce calme apparent se cachait en réalité une colère sourde qu’il ne valait mieux pas réveiller au risque de le regretter amèrement par la suite.

Cet homme était un guerrier, à n’en pas douter, mais comment avait-il fait pour les trouver, alors qu’ils étaient littéralement perdus au beau milieu de la Forêt de Cristal ? Était-ce un coup du destin, passait-il par ici totalement par hasard, ou bien une force divine l’avait-il mené jusqu’à eux ? Quoiqu’il en soit, cet homme les avait tous trois sauvés d’une bien belle misère !

– Un sort de Soin devrait suffire pour le reste, dit-il en se redressant puis en s’écartant pour laisser la place à la jeune Invoqueur. C’est au-delà de mes capacités.

Hochant d’un signe de tête, Fileya s’accroupit face à Thandon. Profitant que son bâton d’Invoquation soit toujours entre ses doigts, la jeune fille approcha sa paume du cristal violet avant de fermer les yeux, comme à chaque fois qu’elle s’apprêtait à lancer un sort. Enfin, elle psalmodia en Ancien Elfe la formule magique du sort de Soin :

– Jeu ny Nedaùfu vefabau ruz ûzfu dywú vyf nux Zúwùlfux.1

Aussitôt, le cristal ainsi que le mollet où se trouvait encore la cavité laissée par la balle se mirent à luire d’une faible couleur émeraude. Puis, partirent de la pierre d’Invoquation des filaments de lumière de même teinte qui vinrent se ficher avec douceur dans la blessure du jeune garçon. Sans aucune forme de douleur, le trou se referma progressivement. Une fois la peau entièrement reformée, les tentacules de vie se retirèrent puis disparurent en même temps que la lueur du cristal.

– Est-ce que tu peux bouger ? lui demanda Fileya, pointant sur lui de grands yeux inquiets.

– J’ai encore un peu mal, déclara Thandon tout en pliant et dépliant sa jambe pour vérifier sa rigidité, mais je crois que ça devrait aller.

– La douleur restera quelques temps, en effet, informa le guerrier samouraï. Tu garderas une cicatrice à vie, et cette marque sera ton talon d’Achille. Mis à part ça, tu t’en sortiras sans problème.

Fileya tiqua légèrement sur le terme “talon d’Achille”, ne comprenant pas vraiment où leur mystérieux sauveur souhaitait en venir. Cependant, la jeune fille préféra ne faire aucune remarque. Tout ce qu’il comptait, c’était que Thandon soit finalement sauvé. Après tant de peur et de larmes versées, le calvaire était enfin terminé… Le jeune garçon avait retrouvé l’usage de sa jambe, et, même si elle n’avait fait qu’une infime partie du travail de guérison, l’Invoqueur était fière d’avoir finalement pu aider son ami dans le besoin !

Extrêmement reconnaissante envers l’homme qui les avait tous sauvé en l’espace de quelques minutes, Fileya se redressa sur ses pieds. Joignant ses mains près de ses cuisses, la jeune fille s’inclina poliment en face du mystérieux guerrier, qui la fixa sans émotion de son unique œil valide.

– Je ne saurai jamais vous remercier assez pour tout ce que vous avez fait pour nous, ce soir ! déclara-t-elle passionnément tout en fermant les yeux pudiquement. Que pouvons-nous faire en retour pour vous dédommager ?

L’homme mystérieux la considéra un instant de son iris améthyste. Les secondes avant qu’il n’ouvrit de nouveau la bouche pour prononcer son jugement parut durer une éternité, à tel point que Fileya sentit son cœur battre follement dans sa poitrine.

– Commencez déjà par vous relever, décida-t-il d’un ton impartial. Je ne mérite pas tant d’éloges.

– Mais, Monsieur, c’est la moindre des choses que je puisse faire pour… débuta la jeune fille en redressant vivement la tête, les yeux agrandis de surprise.

– Suffit. Je ne suis qu’un être Humain parmi tant d’autres. La discussion est close.

Le guerrier, sans ajouter un mot de plus, détourna les talons et s'apprêta à s’enfuir dans la forêt tout aussi mystérieusement qu’il était apparu, effectuant de grands pas. Ce fut alors que Fileya nota quelque chose d’étrange le concernant : ses chaussures en bambous ne craquaient pas sur l’herbe !

– Attendez ! essaya-t-elle pour tenter de le retenir le plus de temps possible. Qui êtes-vous ? Et comment vous nous avez trouvé ?

L’homme se stoppa brutalement dans sa marche souple malgré sa forte musculature. Les bras serrés le long du corps, il ne prit même pas la peine de tourner légèrement la tête pour répondre aux questions de l’Invoqueur :

– Si c’est mon nom que vous souhaitez, je vais vous le donner.

Finalement, le mystérieux inconnu effectua un volte-face sur lui-même, mais de manière très lente, comme pour retarder le plus longtemps possible le moment fatidique. Il gonfla un instant sa poitrine d’air, comme si prononcer ne serait-ce que son nom serait une des épreuves les plus ardues à affronter.

De leur côté, Fileya et Thandon avaient tous deux retenu leur souffle, impatients de connaître définitivement l’identité de leur sauveur impromptu. Espaiceghia, qui ne disait rien depuis un moment, se contenta d’analyser le bel homme de ses petits yeux gris perçants.

– Ici, on me nomme Léterno, annonça enfin le guerrier après ce qui avait paru être une éternité. Quant à votre deuxième question, Invoqueur, peut-être devriez-vous demander de plus amples informations à votre ami ici présent.

D’un geste du menton, le-dit Léterno désigna Thandon, qui avait resserré les poings le long de son corps. Interdite, les yeux bicolores de Fileya passèrent de la silhouette du grand homme à celle plus petite de son ami. Que voulait-il dire par “peut-être devriez-vous demander de plus amples informations à votre ami ici présent” ? Le Buxihen et lui auraient-ils quelque chose en commun ? Mais, tout comme elle, Thandon avait prétendu ne pas connaître cet individu… Quel secret pouvait-il donc bien renfermer concernant son lien avec le guerrier silencieux ?

Malheureusement, Fileya n’eut jamais le loisir de lui demander des informations supplémentaires, bien que ce ne fusse pas l'envie qui lui manquât. Une nouvelle voix en provenance des arbres turquoise attira leur attention à tous. Fixant l’orée de la Forêt de Cristal, les sens en alerte au cas où ils devraient engager un nouveau combat contre les Gardiens de la Forêt, le quatuor attendit patiemment, la boule au ventre, que le détenteur du cri poussé en continu daigne enfin se montrer.

D’abord furtive et sombre, une silhouette parvint néanmoins à se dessiner entre les arbres pulsant de vie. Celle-ci, de petite taille, fluette mais avant tout reconnaissable, fondit en direction de Thandon, les joues ruisselant de larmes de détresse. Sans un mot, le petit enfant se jeta dans les bras de son grand frère, qui n’eut d’autre choix que d’accepter l’étreinte forcée de Khomas. Ce dernier continuait toujours à sangloter, et tentait tant bien que mal d’expliquer la raison de ses pleurs, mais sa voix était étouffée dans les plis du vêtement de son grand frère.

Perdu, Thandon entoura la silhouette de Khomas entre ses bras rassurants, et la petite chose resserra lui aussi ses membres autour de la taille du plus âgé.

– Khomas... tenta le châtain d’une voix douce, et Fileya ne put s’empêcher de penser qu’il avait déjà dû prendre cette voix à de nombreuses reprises pour calmer des crises de larmes inexpliquées comme celle-ci. Calme-toi, et dis-nous ce qui se passe.

Le petit Buxihen tenta tant bien que mal de diminuer ses pleurs, mais plus il essayait d’ouvrir la bouche, plus sa voix tremblottait. Khomas parvint cependant à articuler quelques mots, parmi lesquels Fileya parvint à comprendre : “Astrid”, “Forêt”, “Créature”, “Enfuit”, “Seul”... Sans arriver à déterminer s’il parlait au féminin, au masculin, ou encore au pluriel !

– Je peux peut-être tenter de recoller les morceaux… annonça la jeune fille en adressant un sourire au plus petit tout en apposant une main gracieuse sur le haut de la chevelure de l’enfant. Je vais émettre des hypothèses, et tu hocheras la tête si j’ai juste, d’accord ?

Ne parvenant pas à aligner un seul mot sans pleurer, Khomas confirma d’un mouvement du chef de bas en haut.

– Bien, débuta Fileya de sa voix la plus douce, un sourire rassurant sur les lèvres. Tu étais dans la forêt… avec Astrid, n’est-ce pas ?

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