Chapitre 9.7 : Fileya

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Réagissant au quart de tour, Fileya brandit fièrement son bâton d’Invoquation devant elle à un bras, le positionnant à l'horizontal tel un bouclier. Les sourcils froncés de concentration, la jeune fille récita le premier sort qui lui vint à l’esprit :

“Urnyafx advazioylnux, biekfiouh dux ulludax, je'an w'uw fuxzu jeu ruwkfux!”1

Aussitôt, un terrible grondement envahit l’espace, tandis que la luminosité de la zone de combat se fit subitement plus sombre. Au-dessus de toutes les têtes se forma un nuage noir menaçant, et un terrible vent, tel la bourrasque d’une tempête en devenir, se leva à son tour, venant fouetter en tous sens les cheveux et la robe en lambeaux de la magicienne, qui n’avait pas bougé d’un pouce. Certaines créatures, sans doute à cause de leur poids trop léger, se firent emporter par les courants sauvages en direction de la rivière en poussant un cri strident qui aurait pu paraître comique en d’autres circonstances.

Finalement, Fileya décida de relâcher toute la rage du ciel en soulevant sa main valide droit devant elle, les doigts complètement écartés les uns des autres. Aussitôt, un nouveau grondement, encore plus bruyant que le précédent, déchira le lourd cumulus magique de la jeune fille, et, pas même quelques mili-secondes plus tard, d'innombrables petits éclairs fondirent droit sur les créatures de pierre.

De concert, les monstres de la Forêt de Cristal se mirent en boule, se métamorphosant ainsi en de simples bouts de roche munis de cristaux, qui, telles des antennes paraboliques, aspirèrent le sort de Foudre de Fileya. Relâchant un hoquet de surprise, la bouche et les yeux grands ouverts de stupéfaction, la magicienne fut happée par une réalité qu’elle n’avait jusqu’alors pas eu le temps de comprendre.

“Ces pierres… Ces cristaux… Ces cris… Ce sont eux que j’ai entendus depuis notre entrée dans la Forêt ! Ces êtres nous observent et nous suivent depuis le début… Mais pourquoi ?”

Fileya marqua une pause dans ses réflexions pour esquiver à temps d’un pas sur le côté l’une des créatures qui s’était jetée sur elle, bras grands ouverts, dans le but certain de l’attraper.

“Ils ont fait la mention d’un “Chef” après nous avoir décrites comme des femelles… poursuivit la jeune Invoqueur, toujours perdue dans ses pensées, bien que son corps possédait encore assez de réflexe pour esquiver les assauts à lui tout seul. Qu’est-ce que tout cela peut bien pouvoir signifier ?”

La jeune fille se retrouva subitement encerclée par plusieurs êtres de roche. Ravalant sa salive, se demandant comment elle allait bien pouvoir s’en débarrasser en notant que sa magie ne leur avait jusqu’alors infligé aucun dégât, son regard vint se perdre sur la silhouette frêle de Thandon près de la rive, étrangement sauf.

– Bizarre... réfléchit Fileya à mi-voix. Ils semblent attaquer avec un but bien précis en tête… Ils ne s'en prennent pas Thandon et le laissent même tranquille. Ont-ils senti qu’il était blessé, et ils font ainsi preuve d’un minimum de bon sens et de clémence ?

La jeune fille secoua la tête, non satisfaite par ce raisonnement.

– Non, c’est stupide. Ils ne s’en prennent pas à Thandon, parce que…

La magicienne repoussa un nouvel assaut d’une créature du bout de son bâton, comme s’il s’agissait d’une lance. Le petit monstre, très agile, esquiva le coup d'un bond sur le côté.

– C’est Espaiceghia et moi qu’ils veulent.

D’autres petits monstres lui sautèrent immédiatement au visage, et Fileya tenta le tout pour le tout. Plantant son bâton dans le sol à ses pieds, fermant un oeil fatigué, elle psalmodia une nouvelle formule d’une voix harassée :

– Vfizùsu-dia kux kúdiwx, lennu awqaxalu…1

Aussitôt, une bulle protectrice à demi transparente se créa dans un tout petit espace, mais qui engloba fort heureusement la magicienne et son Hybride. Se sachant en sécurité pour un temps dans cette zone magique créée par Fileya, Espaicegia baissa légèrement sa garde.

– Les Gardiens de la Forêt ont un but, annonça la manipulatrice de glace, sûre de ce qu’elle avançait.

Fileya devina sans problème que les “Gardiens de la Forêt” dont elle faisait mention étaient les créatures composées de roche et de cristaux. Elle préféra ainsi se concentrer sur un point bien plus important :

– Je crois que c’est nous qu’ils veulent. Le seul problème, c’est que je ne comprends pas pourquoi…

Tout à coup, les pensées de la jeune fille dérivèrent en direction de Yume, Astrid et Khomas qui étaient partis dans la Forêt de Cristal depuis un bon moment. Fileya s’était déjà répété à de nombreuses reprises que leur absence trop longue n’était pas du tout de bon augure. Et si, tout comme eux, les Gardiens de la Forêt leur était tombé dessus ? Si c’était le cas… Avaient-ils réussi à se défendre face à eux, ou bien étaient-ils encore en train de se battre ?

– Mes poings ne leur font rien, annonça Espaicegia, la mâchoire serrée de frustration. Et ta magie ?

– Sans effet non plus, déclara Fileya en se laissant tomber à genoux au sol, véritablement épuisée.

Maintenir une sphère de protection en place plus garder son Hybride auprès d’elle lui pompait énormément d’énergie mystique. La jeune fille était déjà fortement fatiguée suite à ses aventures dans les cachots secrets de Seven, puis sa fuite de Fikternand que ses réserves de forces semblaient complètement sur le point de céder. C’était déjà un miracle qu’elle soit parvenue à garder en l’état la bulle défensive, mais celle-ci commençait déjà à s'effondrer, en témoignaient les nombreuses fissures à sa surface accompagnées de dérangeants bruits de craquelures.

– Espaiceghia… Pardonne-moi, mais je ne tiens plus… murmura la magicienne d’une voix éreintée.

Ne trouvant même plus la force de tenir correctement sur ses jambes, Fileya se laissa totalement effondrer au sol, ses yeux se révulsant dans ses orbites. Aussitôt, la bulle protectrice se brisa en de nombreux petits éclats tel du cristal, et l’Hybride se jeta sur le corps de sa maîtresse pour la serrer tout contre elle pour l’empêcher de heurter le sol avec trop de violence.

Tout autour d’elles, les Gardiens de la Forêt poussèrent un cri victorieux, tandis qu’ils fondirent tous comme une seule et même créature sur les deux femmes à terre. Fileya, qui savait le sort qui l’attendait, ferma profondément les paupières attendant un choc blottie tout contre la poitrine de son Hybride… qui ne vint pourtant jamais.

Rouvrant un oeil inquiet tandis que les cris avaient subitement laissé place à un silence dérangeant, presque religieux, la jeune fille ouvrit grands les yeux d’étonnement en constatant que les créatures de pierre s’étaient de nouveau statufiées dans leurs mouvements.

Ne comprenant pas la raison d’un tel arrêt, Fileya leva légèrement le cou pour tenter de voir par-dessus l’épaule d’Espaiceghia qui la serrait toujours avec autant de fermeté contre son torse de glace comme une mère protégeant son enfant. Tout ce qu’elle vit au premier abord fut les corps rocheux des Gardiens de la Forêt figés telles des statues dans leur élancement, les yeux grands ouverts comme la fois où ils étaient sortis sans prévenir de la Forêt de Cristal pour faire face au trio. Puis, lorsque les iris vairons de l’Invoqueur balayèrent l’espace d’un regard circulaire, elle comprit ce qui avait misérablement stupéfait les petits monstres.

Postée près de Thandon qui se tenait sur ses coudes, lui aussi totalement ahuri et impressionné, se tenait, droite et fière, la silhouette d’un homme d’âge mûr démesurément grand.

Devant avoisiner la taille d’Espaiceghia déjà fortement haute, cet homme sorti littéralement de nul part portait la tenue vestimentaire des samouraïs d’antan. Un large pantalon de toile en pattes d’éléphant noir aux motifs de dragons rouges sur les extrémités du vêtement lui recouvrait les cuisses. Sa taille était entourée d’un nœud vermeil, tandis que la partie haute de son corps était recouverte d’une moitié de veste rouge qui ne comportait qu’une unique manche sur le côté gauche. Le reste de son torse était entièrement dénudé, ce qui laissait apercevoir un pectoral magnifiquement dessiné ainsi qu’une musculature qui ferait très certainement pâlir de jalousie Yume.

Son unique œil d’un violet énigmatique fixait les Gardiens de la Forêt d’une lueur impartiale, et Fileya fut ravie que ce regard ne lui fusse pas destiné. Son autre paupière était dissimulée derrière un bandeau vermeil, dont on devinait la fin d’une cicatrice blanchâtre dépasser de sous le tissu pour terminer sa course sur une cerne creusée de fatigue. Enfin, ses cheveux châtains, bien plus foncés que ceux de Thandon néanmoins, tombaient en un carré parfait sur ses épaules carrées.

Le mystérieux inconnu prit appui sur l’un de ses pieds, tandis qu’il passa lentement sa main droite derrière son épaule, comme à la recherche d’une épée ou d’une quelconque arme qui n’existait visiblement pas. Les Gardiens de la Forêt ne bougèrent pas d’un cil, mais un cri aigu s'échappa de chacune leur gorge, appréhendant la suite des événements. Finalement, l’homme à l'œil unique grinça des dents, mais ne se défit pas de sa posture défensive.

– Vous n’avez rien à faire ici, siffla-t-il d’une voix rauque entre ses dents, mais qui aspirait le respect. Déguerpissez.

Sans même prendre le risque de réclamer leur dû, les Gardiens de la Forêt détalèrent tous entre les arbres en poussant des hurlements stridents, à la manière d’indiens d’Amérique.

Stupéfaite qu’ils aient abandonné le champ de bataille aussi rapidement, Fileya déplaça ses iris ahuris en direction du mystérieux inconnu qui avait recouvré une position neutre. Sentant le regard de la jeune fille sur lui, il baissa un instant son unique œil dans sa direction. Mais, sans lui adresser une seule parole, l’homme détourna son unique iris améthyste en direction de Thandon toujours à terre. Sans qu’aucun mot ne franchisse la barrière de ses lèvres, l’inconnu s’agenouilla pour analyser l’état de la jambe déjà fortement meurtrie du jeune garçon. Ce dernier n’osa même pas protester lorsque, avec une étrange douceur, l’homme habillé comme un samouraï lui souleva le mollet.

Intriguée, Fileya demanda à Espaiceghia de la lâcher pour qu’elle puisse s’approcher de son ami. L’Hybride se redressa à son tour et l’accompagna même au chevet de Thandon.

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