Chapitre 9.4 : Fileya

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La jeune fille tendit ses bras tremblants en direction de la jambe de Thandon pour voir comment sa blessure avait évolué. Elle poussa un véritable cri d’effroi lorsque ses sublimes yeux vairons se posèrent sur l’image de la balle profondément ancrée dans la chair. Le projectile de plomb s’était déjà incrusté plus loin dans la peau du pauvre Thandon, dont les tissus de l’épiderme commençaient déjà à se reformer tout autour de l’intru dans le mollet. Fileya se demanda comment Thandon avait pu rester aussi discret sur la douleur qu’il devait sans aucun doute ressentir, et qui devait forcément le faire souffrir atrocement. Les vaines tout autour de l’impact étaient ressorties, pareilles à des toiles d’araignées étrangement violines.

Apeuré par un tel spectacle, Khomas se retourna en pleurant pour enfouir sa tête dans les bras d’Astrid, qui effectua elle aussi un volte-face pour ne plus avoir à supporter une telle vue infecte. Fileya elle-même luttait de tout son être pour ne pas régurgiter le peu de chose qu’il lui restait encore sur son estomac, une fine main diaphane plaquée sur sa bouche, et les paupières fermement closes. Elle se répétait, au fond d’elle-même, qu’elle n’y arriverait jamais si ses amis restaient autour d’elle pour fixer ses moindres faits et gestes. Ils devaient partir, la laisser tranquille, mais comment le leur demander sans paraître trop grossière ?

Heureusement pour la pupille de River, Yume sembla réceptif à son appel silencieux. Sans rien dire à personne, le jeune homme déchira sans grand mal une extrémité de son short déjà fortement abimé, et la tendit à Thandon, qui le fixa avec de grands yeux brillants de souffrance.

– Pour atténuer la douleur, dit-il, le regard étrangement sérieux, ce qui était rare venant de lui. Coince-le entre tes dents, ça t’apaisera. Généralement, on donne carrément une serviette à nos soldats blessés, mais là, on fait avec ce qu’on a.

Le remerciant à l’aide d’un bafouillement indéchiffrable car la douleur dans sa jambe commençait à emporter son esprit au-loin, le châtain accepta le bout de tissu. Il le fixa entre les deux parties de sa mâchoire comme le lui avait conseillé Yume, puis il ferma profondément les paupières, appréhendant la suite des événements avec crainte. Malgré la douceur innée de Fileya, le jeune homme savait déjà d’avance que cette séance de soins n’allait pas être de tout repos, ni très agréable.

Yume se redressa gravement, déposa une main confiante sur l’épaule de sa meilleure amie, qui lui adressa un regard empli de reconnaissance. Puis, sans un mot pour la jeune fille, l’ancien Epéiste se retourna sur lui-même, les mains sur les hanches, et déclara, à l’attention d’Astrid :

– On se tire.

– Hein… Mais… Quoi… ? Pardon ?! Tu pourrais me demander mon avis avant de faire quoi que ce soit, non ?! protesta la brune en fronçant ses sourcils, visiblement en colère par cette prise de décision qui n’impliquait pas son consentement.

– Allez, viens. On va juste faire un tour dans la forêt pour voir si on peut trouver quelque chose à se mettre sous la dent. Et pour faire un feu.

Malgré ses vives protestations, Yume agrippa le bras d’Astrid qu’il tira à sa suite en direction d’une partie plus dense de la Forêt de Cristal. Même une fois disparu du champ de vision des trois compagnons restés sur leur campement improvisé, les amis purent entendre les râles de mécontentement de l’Enfant aux Yeux Rouges, qui exigeait au blondinet de la laisser tranquille, car elle savait parfaitement se débrouiller toute seule.

Amusée par la situation, Fileya déposa une main délicate sur ses fines lèvres pour dissimuler un sourire, car elle pensait que Thandon pourrait se vexer de la voir enthousiaste dans un moment pareil. Enfin, la jeune fille tourna son buste en direction de Khomas, qui fixait un arbre turquoise tout proche, refusant de poser les yeux sur la blessure de son frère qui l’avait véritablement effrayé.

– Tu peux les suivre, si tu ne veux pas rester, conseilla Fileya de sa voix douce, tandis qu’elle fit apparaître son sceptre argenté d’un mouvement sec du poignet. Je… ne sais pas à quoi va ressembler l’opération, et je ne voudrais pas que tu assistes à une véritable catastrophe.

Khomas capta ses paroles, puisqu’il leva sa petite frimousse dans sa direction, ses grosses joues rosées par des larmes qu’il refusait de laisser couler.

– Vraiment ? J’ai le droit de partir ? questionna-t-il d'une voix brisée par l'émotion.

– Bien sûr ! l’encouragea-t-elle, avant d’ajouter avec un clin d’oei et un sourire complice : Tu devrais aller veiller sur Astrid et Yume.

Avec la grâce d’une fée, Fileya tourna le corps de Thandon à demi pour le placer dos à son petit frère, pour ne pas que ce dernier constate la blessure qui s’était encore aggravée. La façon dont la balle était pratiquement totalement enfoncée dans la peau n’était réellement pas la plus belle des choses à voir. Même elle, malgré son statut de magicienne, aurait voulu partir avec ses deux amis chercher des vivres plutôt que de devoir s’occuper d’une telle immondice !

– ... Ils pourraient faire des bêtises, termina-t-elle presque dans un murmure, le ton de sa voix sous-entendant énormément de choses qu’un petit garçon de l’âge de Khomas ne pourrait pas comprendre.

– B-bon ! D-D’accord, j’y vais ! s’enjoua le plus petit du groupe en redressant la tête, le torse gonflé d’une énergie renouvelée.

Tel le Petit Chaperon Rouge s’enfonçant dans les bois pour retrouver gaiement sa Mère-Grand, Khomas s’engouffra à son tour entre les arbres pulsants d’une lueur turquoise, laissant ainsi les deux adolescents restant seuls.

Fileya ferma profondément les paupières, tandis qu’elle sentit ses doigts trembler sous la prise de son bâton d’Invoquation. La jeune fille ravala du mieux qu’elle put ses larmes, car elle ne souhaitait pas inquiéter son patient quant à l’état catastrophique de sa blessure.

La jeune fille le savait : l’état de son mollet était grave, presque impossible à sauver. Les Invoqueurs étaient certes de très bon magiciens avec leur magie aussi blanche que noire, mais même les sorts ne pouvaient pas tout guérir. La fois où elle était parvenue à solidifier les os d’Astrid avait été un pur miracle : la jeune fille n’avait pas été trop gravement touchée, et même aujourd’hui encore, il lui arrivait de souffrir de douleur au niveau de sa fracture.

Retirer une balle relevait d’un tout autre niveau, car il fallait se montrer vigilant. Si Fileya se débarrassait de l’intru trop brusquement, les nerfs risquaient de ne pas le supporter, et ils seraient abimés pour le restant des jours de Thandon. À l’inverse, si elle ne faisait rien rapidement, les nerfs pourraient également lâcher, car ils ne pourraient jamais supporter ce corps inconnu trop longtemps.

Et Fileya n’était pas médecin. Ses sorts de Soins ne serviraient en rien dans cette situation, tout au plus, elle ne ferait qu’aggraver les choses. Dans les deux cas, la jambe de Thandon était condamnée, car elle n’avait pas les clés en mains pour la sauver.

Dépitée, la jeune Invoqueur laissa finalement tomber son arme sur le sol herbeux couleur lavande à ses pieds, et attrapa son visage à deux mains. N’y tenant plus face à cette situation catastrophique qui ne semblait avoir aucune issue positive, Fileya déversa toutes les émotions contenues depuis bien trop longtemps dans le creux de son cœur. Jusqu’à présent, elle avait été trop fière pour se laisser réellement fondre en larmes devant ses compagnon, mais, face à Thandon, c’était une toute autre affaire. Elle n’avait pas peur de se montrer faible et émotive face à lui, au contraire, c’était bien la seule personne avec qui elle avait envie de partager ses moments de doutes et de désespoir.

À cause de ses mains plaquées tout contre son visage, Fileya n’avait pas réalisé à quel point elle pleurait bruyamment. Alerté, Thandon s’était redressé sur ses coudes, tandis qu’il avait retiré le bout de tissu coincé entre ses dents. Il fixait la jeune fille en détresse agenouillée droit devant lui, se répétant inlassablement qu’elle était la plus belle créature de tout Onyrik – non – du Monde tout entier, et qu’il ne réalisait pas encore la chance incroyable qu’il avait d'être à ses côtés.

Malgré son envie pressante de la serrer tout fort contre lui pour lui donner une épaule sur laquelle pleurer, Thandon préféra opter pour une option bien moins tactile : admirer, avec des yeux ronds emplis de reconnaissance, d'admiration et par-dessus tout d’amour la silhouette de Fileya. Le visage caché entre deux mains, ses cheveux autrefois aussi blancs que la neige lui retombaient sur les épaules tel le voile de la plus merveilleuse des mariées. Les sanglots déchirants qui sortaient de sa gorge auraient pu être une tâche dans ce magnifique tableau, mais le jeune garçon la trouvait au contraire encore plus sublime lorsqu’elle ne cherchait pas à dissimuler les réelles émotions de son cœur.

Et Thandon comprit qu’il était définitivement amoureux de Fileya.

– T’en fait pas, c’est pas grave, déclara subitement le châtain sur un ton serein, alors qu’il s’aidait de ses coudes pour s’asseoir tout contre le rocher qui se trouvait derrière lui.

– Q-Quoi ? parvint ridiculeusement à articuler Fileya tandis qu’elle avait relevé brièvement la tête pour rencontrer les iris émeraude du Buxihen.

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