Chapitre 9.3 : Fileya

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Fileya et Astrid déposèrent le blessé dans l'herbe près de l'eau, là où se trouvait encore la trace de la silhouette endormie d'un loup argenté.

– Et c'était quoi ces bêtes ? Tu les connais ? enchaîna derechef le jeune homme, ne laissant presque aucune seconde de répit à son compagnon en situation critique.

– Ce serait trop long à expliquer, annonça Thandon en crissant des dents, alors qu'il s'aidait de ses bras pour se placer correctement contre un rocher – l'un des rares qui ne comportait aucun cristaux. Ces loups, ce sont des Inüka Aízi.

– Je n'avais encore jamais entendu parler des Inüka... hum..., intervint Fileya en fronçant ses sourcils, tout en se mordant la lèvre inférieure en tentant de répéter le nom des loups cités par Thandon.

Ce dernier rigola faiblement à la maladresse de son amie, ce qui fit sourire la jeune fille accroupie près de lui. Les poings serrées sur ses cuisses à moitiés dénudées, elle tachait de cacher de mieux possible les rougeurs naissantes sur ses joues. Fileya n'aurait su dire ce qui les avait provoqué : son bafouillement ? Le rire de Thandon ? Ou bien même les deux en même temps ?

Quoi qu'il en soit, la réaction des deux jeunes gens ne plut pas réellement à Yume, qui se força à détourner le regard en direction de la forêt, les poings serrés près de son corps.

– Mais du coup, comme tu as fait pour les faire partir d'ici ? demanda à nouveau Astrid, qui s'était redressée pour s'approcher de Yume et ainsi laisser les deux adolescents dans un espace plus intime.

Thandon baissa un instant la tête, cachant ses yeux d'émeraude sous sa frange châtaine. Son visage s'assombrit aussitôt, ainsi que le son de sa voix :

– Mon père, dit-il vaguement, sans doute ne souhaitait-il pas vraiment entrer dans le sujet. Il m'a expliqué comment communiquer avec eux. Je peux pas en dire plus, désolé.

Tous respectèrent le mutisme de leur ami. Parler de son père décédé à cause de l’Élite ne devait pas être chose aisée pour lui, sans parler de sa blessure qui devait lui faire de plus en plus mal.

Désormais que les Inüka Aízi étaient partis, plus rien n'empêchait Fileya de faire son travail de soigneuse. Mais avant cela, elle avait encore une dernière chose à régler, pour se sentir plus en sécurité. Après tout, l’Élite était encore à leurs trousses, et ils devaient faire leur possible pour assurer leurs arrières lors de phases de repos comme celle-ci.

Fileya informa rapidement ses amis du plan qu'elle avait en tête pour passer une nuit tranquille, sans avoir à mettre en place des tours de garde, d'autant plus qu'ils ne pourraient être que trois à pouvoir assumer cette fonction : Astrid, Yume, et elle-même. Elle leur expliqua alors qu'elle souhaitait invoquer l'un de ses Hybrides qui pourrait rester éveillé toute la soirée pour eux et les informer en cas d'ennemis en approche. Les Hybrides possédaient des dons que les races d'Onyrik étaient dépourvus, comme sentir la présence d'être vivants à des kilomètres, ou encore rester plusieurs jours sans manger, boire, ni même dormir.

Tous approuvèrent l'idée de la jeune fille, et cette dernière, qui savait qu'elle manquait déjà cruellement de temps, fit tout son possible pour agir le plus rapidement possible. Invoquant son bâton dans un geste empli de grâce, Fileya, une main levée en direction du cristal améthyste et ses yeux résolument clos se concentra. Le nom de « Espaiceghia » franchit alors la barrière de ses lèvres. Instantanément, le cristal violet se mit à briller d'une intense lumière bleue qui aveugla la petite troupe un instant. Quand ils retrouvèrent l'usage de leur vue, tous constatèrent avec soulagement que la puissante manipulatrice de glace était désormais agenouillée face à Fileya.

– Maîtresse, vos paroles nous sont parvenues depuis le Monde de Kristal, annonça-t-elle sur un ton solennel, un genou à terre et la tête baisse en signe d'humilité. J'ai déjà connaissance de la tache qui m'incombe, vous pouvez procéder à la guérison de votre ami sans crainte.

A ces mots majestueux – en vérité, Fileya ne l'avait jamais vue aussi respectable – l'Hybride à la peau blanche se redressa lentement de toute sa hauteur. Même Yume, malgré sa grande taille, paraissait-être un nain aux côtés de la femme de glace, et la jeune fille se demanda si Espaiceghia descendait d'une race de géants.

La manipulatrice de glace effectua un volte-face pour couvrir l'espace par lequel ils étaient venus, lorsque Fileya questionna, d'une voix hésitante :

– Espaiceghia, j'aurai... Une question, à te poser.

Les mains de l'Hybride, alors croisées derrière son dos, eurent l'air de se crisper. Fileya entendit clairement le craquement des articulations autour de ses poignets. Ils émirent un léger bruit de fissure, comme la surface d'un lac gelé qui commencerait à se briser.

– J'imagine que c'est à propos de Hachedézo, devina aisément la jeune femme à la peau blanche, sa voix plus ferme et glaciale que d'habitude. J'ai raison, n'est-ce pas ?

– Comment va-t-il ? questionna l'Invoqueur, ne se souciant guère du pourquoi du comment son amie était parvenue à lire dans ses pensées. Je veux dire... Est-ce qu'il a été châtié... à cause de moi ?

C'était ce que Fileya redoutait sans aucun doute le plus d'entendre. Hachedézo avait risqué d'enfreindre des règles uniquement pour lui venir en aide, suite à ce que Seven lui avait fait subir. Et la jeune fille refusait que l'Hybride doive payer par sa faute, qu'il doive payer à cause de son incompétence à prendre soin d'elle-même. Si Espaiceghia en avait le pouvoir, la jeune Invoqueur était même prête à lui demander de la téléporter avec elle dans le Monde de Kristal, juste pour plaider en faveur de son ami, qui ne méritait d'être puni par sa faute. Même si Fileya devait rester à jamais enfermée dans ce monde parallèle, alors soit, elle était prête à payer les conséquences de ses erreurs.

Les doigts de la jeune femme manipulatrice de glace semblèrent se détendre doucement dans son dos, et Fileya décida de prendre ce relâchement comme un bon présage. Peut-être la Déesse avait-elle finalement décidé d'épargner Hachedézo, car sa décision de quitter le Monde de Kristal sans l'autorisation de sa propriétaire en valait la peine ? Après tout, c'était pour sauver ladite propriétaire qu'il avait enfreint un tabou...

– Je ne sais pas quand la sentence sera retirée, annonça tout à coup Espaiceghia, toujours dos à son amie ainsi qu'au reste du groupe, mais il va bien.

– Qu'elle a été sa punition ? se risqua tout de même Fileya, qui refusait de demeurer ainsi dans l'ignorance.

– La Déesse Aiga lui a formellement interdit de quitter le Monde de Kristal, même si tu venais à réclamer son aide. Seule elle sera en mesure de le convoquer dans ce monde.

Il y eut un léger moment de flottement suite aux paroles mystérieuses d'Espaiceghia. Interdite, Fileya avait dévié son regard en direction de Yume, qui haussa les épaules, tout aussi désemparé qu'elle ne l'était. Un bref jeu de regards avec Thandon lui indiqua qu'il n'avait lui non plus pas saisi les paroles de la manipulatrice de glace.

L'Hybride avait fait la mention d'une Déesse, répondant au nom de « Aiga ». Mais jamais Fileya n'avait entendu ce nom jusqu'à présent. La seule Déesse qu'elle connaissait était celle des légendes, celle qui avait formé le continent sur lequel ils se trouvaient actuellement, mais l'identité exacte de cette dernière n'était mentionné dans aucun récit de la cosmogonie.

Ainsi, deux solutions se heurtaient désormais les pensées de la jeune Invoqueur : soit Aiga était la Déesse des légendes, soit il existait de part le monde d'autres Dieux et Déesses dont elle ignorait le nom et l'existence. Peut-être aurait-elle dû se pencher plus sérieusement sur les récits du Royaume d'Aristofée, des Terres Sacrées, ainsi que des Terres Interdites... La réponse concernant cette mystérieuse Aiga se trouvait peut-être dans ces autres contrées... Mais si tel était le cas, pourquoi les autres Dieux intervenaient-ils dans les affaires des Hybrides, et par extentions des Invoqueurs, d'Onyrik ?

Malgré les multiples questions qu'elle aurait voulu poser à Espaiceghia, Fileya retint comme elle le put sa curiosité. Elle avait déjà perdu beaucoup de temps à discuter du sort de Hachedézo avec la jeune femme de glace, alors qu'elle avait un patient sur les bras. La magicienne du groupe devait soigner la blessure de son ami avant que celle-ci n'empire, et elle n'avait déjà que trop longtemps retardé l'inévitable.

Fileya remercia sincèrement son Hybride qui récupéra son poste de surveillance du camp sans rien ajouter. La jeune fille s’accroupit ensuite près de Thandon, tandis qu’elle sentit tous les regards de ses amis braqués sur elle. Tous étaient sans aucun doute impatients de voir leur ami guérir de sa blessure, mais également inquiets pour leur Invoqueur. Sa magie serait-elle suffisante pour sauver le Buxihen ? Elle-même l’ignorait, et savoir tous les regards braqués sur elle la dérangeait fortement dans son travail : pour dire la vérité, Fileya détestait être d’une part le centre de l’attention, et d’une autre part que l’on place trop d’espoirs en elle.

Fatiguée tant par les responsabilités qui semblaient ne jamais s’arrêter de lui tomber sur les épaules comme des livres particulièrement énormes que l’on posait un à un sur le haut de sa tête pour la forcer à rester parfaitement droite, Fileya soupira tout en fermant puissamment les paupières. Elle parvint ainsi à chasser les résidus de larmes qui perlaient encore aux coins de ses yeux, mais cela n’enleva malheureusement pas la douleur de la pression qui lui pesait sur les épaules.

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