Chapitre 7.2 : Fileya

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Une fois qu'il jugea la jeune fille hors de portée de son coup, Hachedézo, agrippant son trident sacré qui brillait de mille feux à deux mains, enfonça la pointe sauvagement dans le cadenas. L'expression sérieuse sur son visage suffit à faire comprendre à la jeune Invoqueur que son Hybride était réellement prêt à n'importe quoi pour la sauver, et cela lui réchauffa le cœur malgré la situation désastreuse dans laquelle elle se trouvait. Tout espoir n'était pas encore perdu. Elle avait encore une chance de s'enfuir. Avec un Hybride à ses côtés, tout irait mieux. Elle serait en sécurité.

Un étrange phénomène toucha le cadenas au contact de l'arme divine. Celui-ci se mit subitement à se liquéfier, avant de glisser à terre pour former une flaque d'eau, telle la neige fondant au soleil.

Ne perdant pas une seule seconde, l'Hybride fit disparaître son arme mystique d'un coup de poignet puis se rua sur les barreaux pour les ouvrir. Lorsque ceux-ci grincèrent en coulissant, Fileya, folle de joie, tenta de se relever pour se jeter dans les bras de son sauveur, mais ses jambes furent incapables de soutenir son poids, pourtant pas bien lourd. Totalement exténuée, la jeune fille se sentit s'effondrer en direction des dalles de pierre. Mais deux bras vinrent enserrer son buste avant qu'elle n'ait pu rejoindre le sol poussiéreux à ses pieds. Vif comme l'éclair, Hachedézo s'était rué dans sa direction dans le but de la soutenir.

Lui adressant un faible sourire en guise de remerciement, l'Hybride passa un bras sous les genoux de sa maîtresse, avant de placer son second au niveau de son thorax. Puis, l'homme à moitié poisson se redressa de toute sa hauteur, d'un air fier et conquérant, tel le chevalier des contes des fées portant sa Princesse rescapée dans ses bras. Fileya, malgré la gêne qu'elle éprouvait face à cet marque de faiblesse évidente, ne trouva même pas la force de lui ordonner de la lâcher : elle savait, au fond d'elle, qu'elle serait incapable de marcher toute seule.

– Merci, lâcha du bout des lèvres la jeune fille, tandis que Hachedézo quittait enfin les cachots.

Peut-être était-ce une simple erreur, mais Fileya eut l'impression de humer un air nouveau. C'était comme si quelque chose avait changé, comme si respirer devenait moins pénible et moins douloureux, comme si l'air était soudainement devenu plus pur et plus vivable, bien qu'elle se trouvât encore dans les cachots humides et dégoûtants.

– Je ne fais que mon devoir, répliqua l'Hybride en lui adressant pourtant son sourire le plus rassurant et bienveillant. Je suis désolé de ne pas être intervenu avant.

Le sourire reconnaissant sur le visage charmant de Fileya s'estompa doucement, tandis qu'elle commençait à comprendre la terrible et avilissante vérité.

– Tu veux dire que... Vous m'avez tous...

L'air affectueux qui étirait les traits de l'homme à moitié poisson se tirèrent soudainement en une grimace contrariée. Puis, Hachedézo détourna la tête, comme honteux, tandis qu'une partie de son visage vint s'assombrir.

– Oui, lâcha-t-il de but en blanc, ne cherchant même pas à masquer la vérité, ce dont Fileya remercia au plus profond de son cœur.

La jeune Invoqueur ne le remarqua que maintenant, mais l'Hybride s'était arrêté dans sa marche, et son regard fixait désormais le reste du couloir assombri par les flambeaux rougeâtres qui s'étendaient au loin tel un couloir infini, comme s'il ne se jugeait soudainement plus digne de poser les yeux sur sa maîtresse.

– Mais on n'a rien pu faire pour vous sauver, Princesse, poursuivit-il avec un certain mépris envers lui-même dans le son de sa voix. On aurait aimé intervenir nous-même, mais les règles des Hybrides sont formelles : nous n'avons pas le droit de franchir les portes menant à Onyrik sans l'accord de notre Invoqueur, ou bien grâce à une intervention divine.

– Tu m'as pourtant dit que tu étais venu me trouver de ton plein gré, se remémora Fileya, ses fins sourcils blancs froncés de concentration. Est-ce que tu m'aurais... ?

– Non. Je vous ai dit la vérité, Princesse. J'ai moi-même franchi la barrière, malgré les avertissements d'Espaiceghia.

– Est-ce que ça veut dire que tu vas... être puni, ou quelque chose de la sorte ?

Fileya avait déjà perdu Neko, son tout premier Hybride, lors d'une bataille contre des hommes-serpents qui étaient envoyés par l’Élite pour la capturer, elle refusait de perdre encore un autre de ses Hybrides ! La jeune fille n'en pouvait plus de tout ces gens qui se manifestaient sans arrêts pour la sauver ! Quand aura-t-elle enfin l'occasion de prouver sa valeur aux yeux du monde entier ?

– Je ne sais pas, déclara calmement Hachedézo, tandis que son regard se baissa enfin sur son interlocutrice depuis le début de leur échange. J'ai réussi à franchir la barrière car tu étais physiquement incapable de nous invoquer pour qu'on puisse te venir en aide. J'ai franchi un tabou, c'est vrai, mais puisse les Divins avoir pitié de moi.

La meilleure amie de Yume ne répondit rien, mais, dans le fond, elle était profondément touchée par le courage dont venait de faire preuve son Hybride. Rompre une règle dans l'unique but de venir la sauver... Il était vrai que cet acte de bravoure était véritablement touchant, rares sont les Hybrides qui auraient fait cela pour un autre Invoqueur. Mais, risquer ainsi les remontrances de la Déesse juste pour venir la sauver, était-ce réellement une bonne chose ? Et puis, Hachedézo venait de faire la mention non pas d'un seul Dieu, mais bien de plusieurs. Jamais Fileya n'avait entendu parler de ces fameux « Divins » jusqu'à présent... La jeune fille aurait aimé lui en demander un petit plus sur le sujet, car beaucoup de choses de par le monde lui échappaient encore, elle qui n'avait connu que Fikternand mais surtout Onyrik à travers les nombreux libres mis à disposition à l’Élite. Mais l'heure n'était pas appropriée pour un cours de mythologie.

Se rappelant soudainement des conditions de son arrestation, Fileya écarquilla de grands yeux éberlués, tandis qu'elle coupa presque machinalement sa respiration. Agrippant sans le vouloir la barbe hirsute de son sauveur entre ses doigts fermes, la jeune fille s'écria, hors d'elle :

– Thandon ! Et Khomas ! Que sont-ils devenu ?! Es-tu au courant de quelque chose ?!

– Du calme, du calme..., intervint l'Hybride en retirant les mains de sa maîtresse de sa barbe, qu'il s'empressa de brosser à l'aide de deux doigts habiles, sans doute un geste habituel de sa part. Ils sont ici, mais ils vont bien.

– Vraiment ? Me voilà soulagée..., soupira la jeune fille en portant une main à son cœur, avant d'écarquiller les yeux, et de réagir de nouveau tout aussi brusquement : Attends, tu as bien dit ici ?!

– C'est un peu long à résumer, mais aux dernières nouvelles, Astrid et Thandon étaient dans les rues de Fikternand, à la recherche d'un moyen d'enter dans le QG.

– Astrid ? répéta Fileya, complètement perdue, ses paupières papillonnant de surprise. Mais, on devait se rejoindre aux ruines du Désert Gummi. Comment se fait-il qu'elle soit ici ?

– Yume et elle se sont fait attraper, résuma de son mieux possible l'Hybride, qui était capable de contempler tout ce qu'il se passait sur Onyrik depuis le Monde de Kristal tel un Dieu omniscient. L’Élite leur a tendu une embuscade.

– Par la Déesse...

Fileya posa une main sur son cœur, ruminant contre elle-même. Si seulement elle n'avait pas eu l'idée stupide de retourner à Buxih pour chercher Khomas et Thandon, sans doute serait-elle restée aux côtés de Yume et Astrid. Ensemble, ils auraient franchis le Désert Gummi et rejoint la frontière avec Aristofée, où l’Élite n'aurait plus eu aucune emprise sur eux. Et les voici désormais tous de retour à la case départ, fortement épuisés, comme si tout ce qu'ils avaient fait n'avait servi à rien... Et tout cela par sa faute. Si elle n'avait pas fait preuve d'égoïsme en voulant à tout prix rejoindre Thandon et Khomas pour les avoir près d'elle, sans doute seraient-il tous sains et saufs, peut-être à prendre du bon temps dans un petit village forestier des Elfes ou des Fées, à chercher un moyen de ramener Astrid dans son monde. Au lieu de cela, ils n'avaient fait que perdre du temps...

– Et Yume ? questionna-t-elle, ses yeux subitement embués de larmes, craignant qu'il ne soit arrivé malheur à la seule personne qu'elle aimait plus que tout, comme le frère qu'elle n'avait jamais eu. Où est-il ? Je ne crois pas que tu l'aies mentionné dans ton récit.

– Yume, il...

Fileya eut la terrible impression d'être de retour sous les instruments de torture de Seven. Une désagréable sensation s'empara de son cœur déjà fortement meurtri, et le jeune fille sentit comme un poignard particulièrement aiguisé fendre son organe vital.

– Hachedézo, dit-le moi. Où est-il ? Où est Yume ?

La jeune fille s'attendait vraiment à tout, même la pire des nouvelles. A cause du regard fuyant de son Hybride, l'Invoqueur cru qu'il allait lui annoncer la mort de l'ancien Épéiste.

– Il n'est pas mort, si telle est ta question.

Profondément rassurée, Fileya porta une main en direction de son cœur. Mais pourquoi Hachedézo refusait ardemment de lui dévoiler l'endroit où se trouvait son meilleur ami ? Qu'est-ce qui pouvait être bien pire que la mort ?

– Yume, il est...

Un puissant cri d'agonie retentit subitement dans le silence lugubre du couloir interminable dans lequel Fileya et son Hybride s'étaient arrêtés. Ce hurlement, la jeune fille l'avait déjà entendu lorsqu'elle se trouvait encore dans les cachots, mais son esprit était à ce moment encore trop embué pour reconnaître à qui il appartenait. Mais maintenant qu'elle comprenait, son visage se décomposa en un masque d'horreur, ses yeux s'écarquillant, et sa bouche s'ouvrant en grand, presque à s'en faire décrocher la mâchoire. Un véritable masque de terreur digne des anciennes tragédies des temps passés.

– Avec Seven, termina-t-elle à la place de Hachedézo, le cœur au bord des lèvres, tandis qu'elle luttait de tout son être pour ne pas pleurer en s'imaginant son meilleur ami subir les mêmes atrocités qu'elle un peu plus tôt. C'est cela, que tu ne voulais pas me dire ?

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