Chap1.Terriblement seule

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D’une minute à l’autre, demain, après-demain. Chaque jour au lever du soleil, je m’appuie contre le chambranle de ma porte d’entrée, une tasse de thé à la main, pour regarder le chemin de terre menant à ma maison. J’espère y voir débarquer un véhicule noir, et tout à la fois, je prie pour ne pas le voir. S’il rentre dans mon champ de vision, mon cœur subira un trop-plein d’émotions que je ne suis pas sûre de pouvoir contenir. Il est peut-être mort et je suis veuve, où alors il est de retour et je suis la plus heureuse des femmes sur cette terre. Quoi qu’il en soit, l’incertitude me tenaillera le temps que le chauffeur se gare et que les portières s’ouvrent, car derrière les vitres teintées je ne verrai rien. À partir de ce moment-là, si mes jambes me tiennent encore debout, ce sera un miracle. Ma seule certitude, c’est que mon visage s’emplira de larmes. En attendant cet instant, je prie chaque jour. Je ne suis pourtant pas une très bonne chrétienne. Je ne suis pas de celles qui vont à l’église tous les dimanches, mais c’est tout ce qu’il me reste. Enfin ça, et mon ventre arrondi.

 J’ai fait une nouvelle échographie hier matin et mon gynécologue paraissait plus anxieux que les fois précédentes à la vue des résultats. Il m’a rappelé qu’avec ma grossesse à risque, il n’était pas bon de trop angoisser. Mais il est marrant lui : ne pas angoisser… Quelle blague ! Il devrait plutôt se mettre à ma place ne serait-ce qu’une journée pour comprendre ce que j’endure, au lieu de me prodiguer des conseils inutiles. Les dernières nouvelles du front ne sont pas bonnes et je n’ai plus de lettres depuis des semaines, j’ai de quoi être inquiète. Ce foutu médecin se trompe s’il croit que je ne me soucie pas de mon état de santé. Perdre ce bébé surprise serait aussi dévastateur que de marcher sur une mine. Il est une partie de l’homme que j’aime. Celui-là même qui ignore qu’il a planté une graine grandissant dans mon utérus. Dans nos échanges passés, je ne lui en ai pas parlé car je ne voulais pas ajouter une pression supplémentaire à sa mission. À l’heure d’aujourd’hui, je me demande si je n’ai pas eu tort de lui cacher cette vérité.

 Quand j’ai su que ma grossesse était particulière, j’ai voulu évacuer mon stress par des séances de relaxation à domicile pour femmes enceintes, c’était idiot de penser que cela m’aiderait. Je me sens toujours aussi désemparée. L’attente de son retour en plus est une agonie lente.

 Cette guerre n’est pas la nôtre. Il défend des valeurs que ses ennemis ne peuvent pas comprendre. Je me sens fatiguée d’être seule. Je voudrais tant qu’il me revienne, ne serait-ce que pour sentir ses bras autour de moi. J’ai besoin d’être rassurée. Besoin de lire dans ses yeux que tout va bien se passer. Que si j’arrive à terme, il acceptera de me partager. J’ai besoin de son amour ici, et non pas à l’autre bout du monde.

 Je reste ainsi à boire ma tasse fumante dans l’air frais du matin, avec mon pull en pilou-pilou qui me sert pour dormir. Une fois fini mon breuvage, je ferme les yeux et prends une grande inspiration avant d’aller à l’intérieur. J’ai le cœur lourd d’une nouvelle journée à passer sans lui. Je dépose ma tasse dans l’évier de la cuisine, avant de me retourner et d’appuyer mon dos sur son rebord. Je baisse la tête, puis caresse mon ventre, un petit sourire triste aux lèvres. Ce n’est pas le moment de me remettre à pleurer à cause de ce que j’éprouve.

 Je commence à le sentir bouger alors même que j’ai encore du mal à me l’imaginer. Néanmoins je sais qu’il est bien là, car les échographies et les sensations ne peuvent pas à ce point mentir.

 — Papa sera bientôt ici, je te le promets. Sois fort.

 Voilà que mon instinct maternel se manifeste. Il a bien choisi son moment celui-là. Je m’adresse à mon ventre pour la première fois. Si ce n’est qu’un début, la journée promet d’être longue. J’ai le sentiment de faire des choses de plus en plus bizarres depuis qu’on m’a appris que je vais être maman. Est-ce que toutes les femmes réagissent comme ça, alors que ce qui se trouve en elles ne peut pas leur répondre ? En fait, j’ai juste envie que cet individu arrivé discrètement sache que j’apprends à l’aimer et que je crois en nous trois. J’inspire et expire, voulant refouler les ondes négatives qui me rongent de l’intérieur. Je veux qu’il ne ressente que les quelques positives encore enfouies profondément en moi.

 La vie n’est pas un long fleuve tranquille comme on veut nous le faire croire. Elle peut subir d’importants changements : des tempêtes, des débordements ou fluctuer en une simple rivière, mais peut aussi devenir aussi sèche qu’un désert. Le plus dur est de trouver comment l’approvisionner si plus aucune source n’existe.

 Être mal, ne signifie pas que je sois dans l’obligation de me justifier face aux autres, et pas davantage devant mon médecin ! Je dois accepter ce que je ressens pour pouvoir faire mon possible pour survivre. Même si cela nécessite de bouffer toute mon énergie.

 Maintenant que j’ai ce bébé, j’ai la responsabilité de ne pas l’abandonner. Il ne le mériterait pas. Lui n’a pas demandé à être là. Me laisser abattre serait comme omettre la beauté d’un tableau parce qu’il comporte des couleurs ternes. Il ne faut pas que je me laisse guider par ma douleur. Elle pourrait nous détruire tous les deux. Je ne dois pas oublier qu’il est la lumière, représenté par le maître d’œuvre au milieu de la pénombre, je dois me reposer sur cet enfant. Il serait injuste de lui demander de se battre seul.

 Je sèche rapidement sur ma joue une larme plus difficile à retenir que les autres. Avec les hormones, il est plus périlleux de se maîtriser. En ce moment, mes yeux sont des fontaines dès que mes pensées me renvoient à mon homme en treillis, ou à la moindre envie trop fréquente de faire pipi.

 Malgré les apparences, je suis enthousiaste à l’approche de sa venue. C’est juste difficile de laisser éclater ma joie. Je ne peux pas. Le pansement que représente ce bébé ne fait pas la cicatrisation. Il manque une partie à mon cœur et elle sait se faire sentir, comme une plaie restée ouverte.

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