CHAPITRE IV – Anniversaire.

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  J’appréhende la date du vingt mai, quelle surprise mon père m’a-t-il concoctée ? Entre temps, je continue le rituel noisetier bouleau. Ce premier semble reprendre vie, des bourgeons apparaissent de plus en plus nombreux.

  Avec Brack, nous continuons nos balades en forêt, les habitants des lieux, discrètement, semblent nous accompagner.

  Le vingt mai est arrivé. Avec mon père, nous accueillons nos invités. Nous ne sommes pas nombreux, à peine une vingtaine, faut dire que côté famille, il n’y a que mes parents, c’est triste de ne pas avoir de cousins. Mon ami René, avec sa femme, est là.

  J’aborde Thérèse, une fille assez forte avec un joli visage, cheveux noirs de jais tombant en cascade sur ses épaules. J’ai remarqué que, souvent, les filles rondouillettes ont un joli minois. Elle me saoule pendant une vingtaine de minute, sa conversation se limitant aux recettes de pâtisserie, dans lesquelles elle excelle. Je comprends d’où vient sa corpulence.

  Je décide de m’approcher de Claude, l’opposée de Thérèse, fille filiforme, cheveux châtain courts, coupe à la garçonne, dix centimètres de plus que la précédente, soit environ un mètre soixante-dix. Notre conversation dérape sur les cours de la bourse, sur les placements à faire ou à éviter. En voilà une qui devrait plaire à mon père. Je ne sais pas comment m’en débarrasser, j’entrevois René qui me fait un clin d’œil, je lui réponds par une mimique style viens à mon secours.

  René, ayant compris mon S.O.S., me rejoint.

- Bonjour mademoiselle, Merwin peux-tu m’accorder cinq minutes ? J’ai quelque chose à te demander.

- Pas de problème mon ami. Claude je m’excuse, ce fut un plaisir de discuter avec toi.

  Ouf, nous nous éloignons.

- Merci, un grand merci. Je commençais à m’asphyxier dans les chiffres, pourtant habituellement je les aime, mais là, elle m’a mis la tête sous l’eau.

  René éclate de rire.

- Ce n’est pas marrant, je t’assure, entre une qui m’a gavé de recettes de pâtisserie et l’autre avec les cours de la bourse. Me reste la petite Martine à aborder.

- Bon courage, si tu as besoin d’aide n’hésite pas.

  Je m’approche de Martine, je pense que c’est la plus jeune des trois. Un mètre soixante-cinq, habillée sobrement, rouquine avec deux couettes, des tâches de rousseurs plus ou moins dissimulées par un léger maquillage. Elle n’est pas désagréable à regarder, elle semble esseulée et désorientée.

- Bonjour Martine, tu sembles perdue dans tes pensées, j’ai l’impression que tu t’ennuies ?

- Excuse-moi Merwin, mais je n’ai pas l’habitude de ce genre de soirée.

- Ne t’excuse pas, moi aussi je suis un peu déboussolé, c’est une idée de mon père. Il s’est mis en tête que j’avais l’âge pour fonder une famille et qu’il fallait me caser.

- Et tu n’approuve pas ?

- Pas du tout, je n’aime pas qu’on me force la main.

  Elle esquisse un maigre sourire.

- Je te comprends, pour mon père tu représentes un parti intéressant. Désolé si ma franchise te choque.

- Pas du tout, au contraire, j’aime bien les gens qui disent franchement ce qu’ils pensent !

- Je t’ai vu discuter avec Thérèse et Claude. Comment les trouves-tu ?

- Thérèse ne pense qu’à faire des gâteaux et Claude m’a saoulé avec les cours de la bourse… Et toi, qu’aimes-tu ?

- J’aime lire et écouter de la musique…, du classique. Moi-même je joue du piano, je ne suis pas une virtuose mais je me défends.

- C’est bien d’avoir une passion. Personnellement j’aime la nature, il y a tant de merveilles qui nous entourent et l’homme, la plupart du temps, passe son temps à la détruire. Sinon j’aime également lire et écouter de la musique classique, surtout Beethoven.

  Bien qu’elle soit la plus jeune, elle est la seule des trois à retenir mon attention. Nous continuons à discuter.

  La soirée tire à sa fin, les invités commencent à se retirer, je n’ai pas vu s’écouler le temps. Je prends congé de Martine, qui me remercie de l’avoir accompagnée durant cette fin de soirée.

  Le dernier convive parti, mon père vient vers moi.

- Alors mon fils que penses-tu de cette soirée ?

- Pour être franc, ennuyante. Thérèse m’a gavé de recettes de pâtisserie, Claude m’a soulé avec les cours de la bourse. La seule, intéressante, c’est la petite Martine qui, comme moi, s’ennuyait.

- Je vois, ce n’est pas ce soir que tu trouveras chaussure à ton pied. En ce qui concerne Martine, il est préférable que tu l’oublies. J’ai appris que son père était au bord du dépôt de bilan.

- La pauvre, c’est bien triste, c’est la seule que j’avais trouvée intéressante.

- La semaine prochaine, nous sommes invités chez les Dupin, ils auraient dû venir à notre soirée, mais Monsieur Dupin avait un voyage d’affaire qu’il ne pouvait repousser. J’ai cru comprendre qu’il voulait caser sa fille, Viviane, une jolie fille, je suis sûr qu’elle devrait te plaire.

  J’ai l’impression que mon calvaire ne fait que commencer, il ne me lâchera pas tout le temps que je n’aurais pas trouvé une prétendante pour jouer « sa belle-fille ».

- Père, puis-je vous poser une question sur mère et vous ?

- Pose ta question.

- Avez-vous fait un mariage de raison ou un mariage d’amour ?

- Bien que ta question soit indiscrète, je vais y répondre. Ta mère représentait un bon parti, ton grand-père me força un peu la main. Je n’étais pas vraiment emballé par ce mariage, mais aujourd’hui je ne le regrette pas, surtout depuis ta naissance. Je vais te laisser, je dois voir René avant qu’il ne parte.

  Façon de me dire : tes questions me dérangent.

- Merwin, tu as l’air préoccupé ?

  Je sursaute et me retourne, c’est ma mère, je pense qu’elle a senti ma détresse.

- Oui, j’ai l’impression d’avoir troublé père avec une question sur votre union.

- Je vois…, tu voulais savoir quoi ? Allons en discuter dans le salon, pendant que le service traiteur débarrasse.

  Nous nous installons – confortablement. J’aperçois mon père qui se dirige vers son bureau. Je pense que ma mère aura droit à un interrogatoire cette nuit.

- Pose ta question, n’aie pas peur, je te promets d’y répondre.

- Je voulais savoir si vous aviez fait un mariage de raison ou d’amour ?

- A dire vrai, au départ, c’était un mariage arrangé par nos parents. Nous représentions tous deux de bons partis. Donc, pour répondre à ta question c’était un mariage de raison. Ton père, bien que ce mariage ne le satisfît pas, se comportait en mari intentionné. Je m’en accommodais et essayais de faire en sorte de ne pas lui déplaire. Il n’aimait pas ma cuisine, la plupart du temps c’est lui qui cuisinait. A force de m’intéresser à la cuisine française, j’ai fini par reprendre les rênes en lui mijotant de petits plats. Notre vie de couple était stable mais monotone, puis tu es arrivé et tout a basculé. Tu as été le rayon de soleil qui débarquait dans notre couple, l’amour que te portait ton père s’est répercuté sur notre vie à tous les niveaux : sexualité, sortie, partage... Comme quoi un enfant peut apporter énormément.

- Tu ne crois pas qu’un deuxième enfant aurait été bien aussi ? J’aurais bien aimé avoir un frère.

- Tu aurais pu avoir un frère, deux ans après ta naissance je me suis retrouvé enceinte, ce qui, évidemment, n’a pas plu à ton père, qui s’en est voulu de ne pas avoir pris de protection. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, il ne m’a pas fait de reproche. Mais malheureusement, pour moi, j’ai fait une fausse couche. Un deuxième enfant, personnellement, ne m’aurait pas déplu.

  Mon père, malgré ses convictions, n’est pas un mauvais bougre. Dommage qu’il soit aussi borné et respectueux des traditions de la famille. Après cette petite discussion, fort plaisante et instructive, je remercie ma mère et l’embrasse. Je passe par le bureau du paternel, pour lui souhaiter une bonne nuit, avant de reprendre la voiture pour retourner chez moi.

  Cette soirée, des plus déplaisantes, du moins pour moi, me fait passer une mauvaise nuit. Je me réveille avec une semi gueule de bois, je pense que les américanos d’hier n’y sont pas pour rien. J’éprouve le besoin de changer d’air.

  Tout en préparant mon petit déjeuner, je pense à « Brocéliande », peut-être que revoir Monsieur « intéressant » serait une bonne chose, après tout, comme il me l’avait demandé, je pense avoir évolué au niveau de la flore et de la faune, j’ai même établi un langage codé avec Brack, bien que limité.

  Mon petit déjeuné terminé, je passe sous la douche, cette perspective de virée me donne la pêche, je me surprends à chantonner.

  Une fois habillé je me dirige vers la voiture, comme par hasard, Brack m’attend près de la voiture. Est-ce vraiment du hasard ? Ou a-t-il un don de prémonition ?

- Brack tu savais que nous allions à « Brocéliande » ce matin ?

- Wouaf !

  Décidemment il n’a pas fini de m’étonner. Nous nous mettons en route. Peut-être aurais-je dû appeler Edouard avant de partir ? Bof, je l’appellerai sur place. C’est une belle journée qui s’annonce, peu de circulation, nous devrions arriver avant onze heures. Brack, sur le siège passager, semble roupiller bercé par « La sonate au clair de lune » de Beethoven. Le CD de Ludwig se termine, ainsi que notre trajet, nous arrivons à Paimpont. Je décide de rejoindre notre ami le chêne des Hindrés, lieu de ma première rencontre avec Edouard. Arrivé sur le parking, je sors mon smartphone. Une fois composé le numéro sonne, personne ne semble décrocher, faut dire que Monsieur « intéressant » n’a pas de portable, il fait partie du siècle dernier. J’aurais dû l’appeler avant de partir.

- C’est moi que tu essaies de joindre ?

  Je me retourne, Édouard, tout guilleret, me fait un grand sourire.

- Oui…, je suis bien content de vous voir, le hasard fait bien les choses.

- Es-tu sûr que ce soit le hasard ?

- Vous avez un don de prémonition ?

- Entre autres, mais c’est surtout Brack qui m’a prévenu.

- Brack… !

  Je me tourne vers lui, il tourne la tête comme pour prendre un air coupable. Il n’a donc pas fini de m’étonner. Je suis abasourdi, si Brack est télépathe et qu’il correspond avec Edouard, ça veut dire qu’Edouard, aussi, est télépathe ! Je me mets à rougir.

- « Intéressant », « n’est-ce pas » ?

  Je ne sais plus quoi faire, ni quoi dire, j’ai envie de fuir, de me cacher, la honte m’envahit.

- Merwin, calme-toi, je te promets de ne plus lire dans tes pensées, maintenant que tu as découvert ce don chez moi.

- Depuis le début, depuis notre première rencontre, vous avez lu en moi, comme dans un livre ouvert ?

- Oui…, mais en même temps, j’ai vu ton potentiel et j’étais sûr que tu ferais un bon druide, un bon mage. Surtout avec Brack qui ferait tout pour t’aider.

- Il vous a expliqué l’épisode du voleur sur la propriété ?

- Oui, mais lui-même ne l’explique pas…Tu m’as fait prendre conscience de mon tic verbal, j’avoue que ça m’a amusé et j’en ai même abusé, surtout avec l’épisode de ton prof. de français avec ses « n’est-ce pas ».

- Ouais…, vous m’avez bien piégé.

- Non, au contraire, je suis sûr que notre rencontre n’est pas un hasard. Comme celle de Brack d’ailleurs.

  Je reste un moment silencieux, je réfléchis à tous ces événements qui me dépassent. Edouard a pris un peu de recul en compagnie de Brack, me laissant à mes cogitations. Où cela va-t-il me conduire ? Sans m’en rendre compte, je me suis rapproché du vénérable chêne. Et lui peut-il m’aider ? Je pose mes mains sur son tronc et ferme les yeux. Je sens en moi une douce chaleur qui se déverse.

  Je reste ainsi une dizaine de minutes, une grande sérénité m’envahit, j’ai l’impression d’avoir fait le plein d’énergie. Je retire mes mains tout en remerciant le vieux chêne pour ce partage.

  Je me retrouve face à Edouard qui m’observait, ce traître de Brack est à ses pieds.

- C’est bien, tu t’es ressourcé, le vénérable te remercie pour avoir sauvé un noisetier et il est prêt à t’aider à évoluer. Il pense que le noisetier, que tu as sauvé, va également t’apporter son soutien.

- Vous communiquez aussi avec les arbres ?

- Oui je communique avec eux, mais également avec toute la nature qui nous entoure.

  J’ai l’impression qu’il n’a pas fini de m’étonner. Je regarde ma montre, il est presque midi.

- Si on allait dîner ?

- Avec plaisir, je commence à avoir faim. Mais c’est moi qui t’invite, pour me faire pardonner d’avoir piraté ton esprit.

- Ce n’est pas ce que j’avais prévu mais j’accepte.

  Nous retournons au parking récupérer nos voitures. Brack se frotte à ma jambe comme pour me demander son pardon. Je le caresse, pour lui montrer que je ne suis pas rancunier.

~[1] Donc tu peux lire dans mes pensées ?

- Wouaf

~ J’ai l’impression que nous avons du boulot devant nous tous les deux.

  Arrivé devant le restaurant « Les forges de Paimpont », nous nous garons. Le repas se déroule dans une bonne ambiance. Brack a droit à un steak haché, je lui dois bien ça. Nous parlons de télépathie.

- Tu n’as pas besoin de te forcer, ça doit venir tout seul, il suffit juste que tu trouves le processus.

- Et c’est quoi le processus ?

- Je suis incapable de te l’expliquer. Fais de la méditation, avec Brack à tes côtés. Il te sera très utile, entame le dialogue avec lui, même si, pour le moment, tu ne le capte pas. C’est comme une oreille interne que tu dois développer. Tu es comme un bébé qui apprend à parler, tu dois d’abord écouter, pour comprendre comment procéder.

- D’après vous, j’ai d’autres dons ?

- Oui bien sûr, mais ne mets pas la charrue avant les bœufs, tu les découvriras progressivement en fonction de ton évolution.

- J’ai l’impression que vous me cachez beaucoup de choses.

- Je ne peux pas tout te révéler maintenant, ça te perturberait, il faut que tu progresses à ton rythme.

Inutile d’insister, je n’en apprendrai pas plus.

- Quand nous reverrons-nous ?

- Tu ne dois pas revenir tout le temps que tu ne maitriseras pas la télépathie. Le jour où cela arrivera, je le saurai. Mais avant ça tu as d’autres problèmes à régler.

- Vous voulez parler de l’obsession de mon père à vouloir me marier ?

- Oui…, mais ne t’inquiète pas. Une surprise, à ton avantage, va te combler.

  Il me fait un clin d’œil. Je pense qu’il est inutile de lui en demander plus, il ne me dira rien. Le repas se termine, nous discutons des multiples trésors de la forêt de Brocéliande, qu’il me faudra, un jour, connaître et découvrir. L’addition payée, nous nous séparons.

- A notre prochaine rencontre, tu viendras chez moi, j’ai beaucoup de choses à te montrer.

- Ce sera avec plaisir, découvrir l’antre d’un druide, je pense que ça me sera très enrichissant.

  Nous nous séparons sur une poignée de main.


[1] « ~ » pour langage télépathique.

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