CHAPITRE I – Mon installation.

11 minutes de lecture

  Je m’appelle Merwin. Je sais, ce n’est pas un prénom courant, mais j’aime bien. J’ai vingt-deux ans, je suis fils unique - un fils de riche, comme beaucoup de mes copains me l’ont fait remarquer. Que voulez-vous, ce n’est pas ma faute si mes parents sont nantis : mon père est PDG d’une industrie agroalimentaire et ma mère dirige une manufacture de tissu.

  Mes parents sont fiers de moi, je suis sorti major d’une licence de gestion. Le paternel a voulu que je suive cette branche afin de pouvoir, plus tard, gérer son entreprise et celle de maman.

  J’aurais aimé avoir un frère, mais pour mon père ce n’était pas concevable d’avoir plusieurs héritiers, d’ailleurs lui-même est enfant unique comme son père et il en est de même pour ma mère. Ainsi, comme dit le paternel, les fortunes ne se dispersent pas.Pour mes vingt ans, mon père décida que je devais avoir une certaine autonomie : il m’acheta donc une maison sur « Orvault[1] », dans un quartier où toutes les rues ont des noms de planètes ou de constellations : rue de Vénus, rue Neptune, rue Uranus, avenue de la Voie Lactée… J’ai l’impression d’habiter un planétarium.

  Mon emménagement fut le début de phénomènes assez troublants, pour certains.

  Le premier commença par une maladresse : en ouvrant un carton, le cutter, que j’utilisais, vint sournoisement se planter dans la paume de ma main gauche. Saignant abondamment, je pressai ma main droite sur la plaie pour stopper l’hémorragie, laquelle s’arrêta. Je regardais ma blessure et constatais que plus une goutte de sang ne sortait, je reposais délicatement ma main sur la plaie et, à ma grande surprise, la plaie semblait se refermer. Au bout de dix minutes, elle avait complétement disparu, seule trace de cet incident, le sang qui s’était répandu sur le carton et mes mains. J’en conclus que je devais avoir un don de guérisseur - don que je décidais de ne pas faire connaître de mon entourage, pour le moment.

  Fana d’informatique, j’ai installé des caméras de vidéosurveillance tout autour de la maison, lesquelles se révéleront utiles plus tard, mais n’anticipons pas. A mon service, mes parents m’ont trouvé une brave femme qui répond au nom de Mathilde. Elle est adorable, une vraie nounou, elle me fait la cuisine et le ménage.

  Dans la société du paternel je suis nommé gestionnaire. Mon père me briffe un lundi sur deux avant la réunion de service à laquelle je dois participer. J’ai pour mentor, René, le comptable de l’entreprise, un gars très sympa de dix ans mon ainé. Avec lui j’épluche tous les jeudis la comptabilité de l’entreprise, job que j’aime beaucoup, j’ai toujours été doué avec les chiffres.

  Le deuxième phénomène se produisit un an plus tard. Une nuit, je fis un horrible cauchemar : un intrus pénétrait dans le jardin de la propriété, je le voyais distinctement : un jeune homme, d’une vingtaine d’années, venait de passer le grillage et la haie du fond du jardin. Doucement je m’en approchais, bizarrement j’avais l’impression de le faire à quatre pattes. Dans mon cauchemar je devais être un animal. Brusquement je bondis et le chope au mollet, il s’affole et se débat, il arrive à se libérer et promptement refait le chemin inverse, prenant la fuite. Secoué par ce cauchemar je me réveille. Je suis en nage, j’ai mal à la mâchoire. Je regarde le réveil : il est trois heures dix. J’essaie vainement de me rendormir. Dans l’impossibilité de retourner dans les bras de Morphée, je me lève, il est alors presque quatre heures.

  Je suis un peu secoué par ce cauchemar. Je passe dans la cuisine pour lancer un café, je ne pense pas me recoucher. Ma tasse en main je passe au salon où je m’installe dans mon fauteuil préféré. Lentement je déguste ma boisson, tout en repensant à ce mauvais rêve qui persiste à me hanter.

  Mon café fini, je décide de passer dans mon bureau où se trouve mes ordinateurs et le système de vidéosurveillance. Je rembobine le fichier de surveillance du jardin pour le visionner à partir de deux heures quarante-cinq.

  J’ai l’impression de revivre un mauvais film : tout se passe exactement comme dans mon rêve, je vois un doberman sauter sur un jeune homme, qui, pris d’épouvante s’enfuit. J’agrandis l’image, je reconnais le gars. Tous les matins, il vient acheter son pain chez Armand, le buraliste qui fait aussi dépôt de pain.

  Abasourdi par ce que je viens de voir, je retourne me resservir un café et me réinstalle dans mon fauteuil. Pas possible, pas possible…, je n’ai pas de chien. Comment ce doberman a-t-il pu se matérialiser et comment ai-je pu le posséder pour me retrouver dans sa peau ?

  Avec cette histoire qui tourne en boucle dans ma tête, je me dirige vers la douche. Mes ablutions terminées je me prépare mon petit déjeuner. Que faire ? Que dois-je penser de cet évènement nocturne ?

  Je prends une décision : il me faut un chien ! Une fois habillé, je retourne sur mon ordi et recherche un chenil dans la région. J’en trouve un à « Clisson[2] », je relève ses coordonnées.

  Arrivé à « Clisson », je trouve facilement le chenil, merci le GPS. Un vendeur vient vers moi.

- Je peux vous aider ?

- Oui j’aimerais acquérir un doberman.

- Justement nous avons trois chiots, de trois mois, suivez-moi.

  Le vendeur me conduit devant un parc contenant trois magnifiques chiots qui se chamaillent avec un jouet. Un peu plus loin j’aperçois une cage avec un doberman un peu plus gros. Mon guide qui a suivi mon regard, me dit :

- Celui-là n’est pas à vendre, il a six mois et est très agressif.

  Mes Yeux ne peuvent se détacher du chien, il est couché, il semble me surveiller. Je décide de m’en approcher. Il se lève et me scrute, il a quelque chose dans le regard qui me trouble.

- Monsieur, je vous déconseille de l’approcher, il a déjà mordu un client. D’ailleurs, demain, on doit l’euthanasier.

- Dommage, il est magnifique, il s’appelle comment ?

- « Brack ».

- « Brack », tu n’as pas l’air si méchant que ça.

  Il remue la queue, j’avance un peu plus ce qui affole le vendeur.

- « Brack » assis.

  Il obtempère. Je tends lentement la main, il la renifle et remue la queue. Mon guide transpire.

- Je pense que c’est celui-là que je vais prendre.

- Mais monsieur il n’est pas à vendre.

- Je sais, vous voulez l’euthanasier et moi je veux le sauver, alors dites-moi son prix !

- Je dois voir avec mon patron, je reviens.

  Je me retrouve seul avec « Brack », qui continue de me regarder.

- Alors mon vieux, c’est toi qui es venu hanter mon cauchemar ?

  Il remue la queue, d’un air goguenard. Merwin, comme ci ce chien pouvait te comprendre ? Ne sois pas idiot. Pourtant j’ai l’impression qu’il existe un lien entre nous.

  Mon vendeur revient avec son patron, à la vue de ce dernier, « Brack » grogne. J’ai l’impression que le courant ne passe pas entre eux.

- Ainsi vous voulez acquérir ce chien ?

- Oui, j’ai l’impression que « Brack » ferait un bon gardien.

- Vue que l’on devait l’euthanasier, ça me soulage qu’il trouve un acquéreur, je vous le fais à moitié prix. Comme il a déjà mordu, je vous demanderais de me signer une décharge.

- Pas de problème. Pourquoi grogne-t-il depuis que vous êtes là ?

- Je ne m’en suis pas fait un copain, lorsqu’il a mordu un client, je lui ai mis une raclée.

  Avec mon vendeur je fais le tour du magasin et j’achète également : collier, laisse, nourriture, … et une superbe niche en bois qui me sera livrée cette après-midi. Sur le collier, il y a un médaillon, j’y fais graver « Brack » et mon numéro de portable. Je repère une plaque en tôle émaillé avec une tête de doberman et l’inscription : « Je monte la garde », je l’ajoute à ma liste d’achat.

  Les formalités et le paiement effectués, nous nous dirigeons, avec le vendeur, vers la cage pour récupérer mon nouveau compagnon. La cage ouverte, « Brack », la queue frétillante, se jette sur moi pour me lécher.

- « Brack » assis !

  Il obtempère de suite, je lui passe le collier et crochète la laisse. Ainsi équipés nous rejoignons la voiture.

- Tu sens le chenil, il va falloir que je te toilette, j’espère que tu n’as rien contre les bains. Tu ne dis rien, donc je considère que tu es d’accord.

  Pour toute réponse il frétille de la queue.

  De retour à la maison, je libère « Brack » qui se met à courir comme un fou dans tout le jardin. Mathilde sur le pas de la porte regarde le manège.

- Eh oui Mathilde nous avons un nouveau pensionnaire.

- C’est un beau chien.

- Une bouche de plus à nourrir

– « Brack » !

  Il vient vers moi et s’assoit à mes pieds.

- « Brack » je te présente Mathilde, elle fait parti de la maison, alors tu seras gentil avec elle.

  Mathilde ne peut se retenir de le caresser. « Brack » semble apprécier il lui lèche la main. Au moins je suis sûr qu’ils vont bien s’entendre.

  J’en profite pour mettre en place mon panneau « Je monte la garde ».

  Voilà un problème de réglé, me reste à voir mon infortuné voleur.

Le lendemain.

  Comme d’habitude, mais un peu plus tôt, je me rends chez Armand, mon buraliste pour acheter mon paquet de nicotine quotidien, en espérant y rencontrer mon cambrioleur.

- Salut Armand.

- Salut Merwin.

  Il me pose, sur le comptoir, mon paquet habituel. Tout en le payant je lui pose la question :

- Peux-tu me renseigner sur le petit blond qui vient tous les matins acheter une baguette ?

- Tu as besoin d’un jardinier ?

  Ainsi j’apprends son job.

- Oui

- Il s’appelle Pascal, c’est un petit gars sérieux, tu lui rendrais service en lui donnant du boulot. Il vit avec sa mère. Il a perdu son père il y a un an, juste après avoir terminé ses études de paysagiste. Avec sa mère, qui fait des ménages, ils ont du mal à joindre les deux bouts.

  Pascal entre dans l’officine, il claudique légèrement, et comme d’habitude, prend une baguette qu’il paie. Je m’approche de lui.

- Armand m’a dit que tu étais jardinier.

- Oui, je suis jardinier paysagiste.

- ça t’intéresserait de travailler pour moi, deux jours par semaine ?

- Bien sûr, je n’arrive pas à trouver de job, donc je suis dispo.

- On va en discuter, tu prends un café ?

- Avec plaisir.

- Armand ! Tu nous fais deux cafés s’il-te-plait.

- ça roule.

  Nous récupérons nos cafés et sortons nous installer sur la table de bar, dehors devant la vitrine. Je lui offre une cigarette qu’il accepte.

- Donc tu pourrais venir deux fois par semaine ; le mardi et le jeudi, par exemple. Je t’offre un salaire de cinq cents euros, déclaré bien sûr, donc je paierai les charges et tes cotisations.

- C’est trop.

- Je ne pense pas, car mon jardin c’est un peu le foutoir, tu auras pas mal de boulot. En venant deux fois par semaine, ça te laissera la possibilité de continuer à faire d’autres petits travaux à côté.

- Merci monsieur, vous me sauvez. Avec ma mère nous vivons avec la petite pension de mon père et c’est un peu la galère.

- Tu peux m’appeler Merwin. Tu as un handicap ? Je te vois boitiller.

- Je me suis fait mordre par un chien.

- Ce n’est pas grave j’espère ? Tu as vu un médecin ?

- Non, ma mère a désinfecté et m’a fait un pansement.

- Je te laisse déposer ta baguette et l’on passe chez moi.

- Pas de problème je n’habite pas loin.

- Je t’attend ici.

  Tout compte fait le Pascal m’a l’air d’un petit gars sérieux, je pense que je pourrai lui faire confiance. Dix minutes plus tard il revient.

- On y va, tu es prêt à découvrir ma forêt vierge ?

- Pas de problème, je vais vous transformer tout ça.

  Arrivé devant le portillon de la maison, mon futur jardinier blêmit.

- Vous avez un chien ?

- Oui, ça te pose un problème ?

- J’ai peur des chiens, je crois que ça ne va pas être possible.

- Mais si, ne t’inquiète pas Brack est un brave toutou, je suis sûr que vous allez faire ami-ami.

- Je ne suis pas sûr, il va sentir ma trouille.

- Pascal je vais être franc avec toi. La maison est équipée de caméra de vidéosurveillance et je sais que c’est Brack qui t’a mordu.

- Vous m’avez piégé, dit-il (d’un air penaud).

- Non, je sais que tu es un gars sérieux et je veux te donner une chance de le prouver. De plus j’ai  réellement besoin d’un jardinier. Tu n’as aucune crainte à avoir, je n’ai pas l’intention de porter plainte, tu ne m’as rien volé.

- Oui, je sais, mais j’ai quand même honte.

- On oublie l’incident, on fait comme si rien ne s’était passé.

- Et Brack, lui il n’a pas dû oublier ?

- Ne t’inquiète pas, il n’est pas rancunier.

  Nous entrons, Pascal en qui on sent une grosse trouille se tient derrière moi. J’appelle Brack qui arrive.

- Brack assis,

  Il obtempère

- Je te présente Pascal, ce n’est pas un casse-croûte, il va venir travailler dans le jardin, il fait partie de la maison.

  Il se lève et vient renifler mon Pascal qui n’en mène pas large.

- Caresse-le.

  Timidement il lui caresse la tête, Brack montre son consentement en remuant la queue.

- Vous voilà copains, tu n’as plus à t’inquiéter. Suis-moi, je vais te présenter Mathilde.

  Nous entrons dans la maison.

- Mathilde !

- Oui monsieur.

- Je te présente Pascal, notre jardinier. Il viendra travailler tous les mardis et jeudis. Tu pourras lui faire à manger ces jours-là ?

- Pas de problème.

- S’il te plait, tu peux nous faire un café ?

  Mathilde repart vers la cuisine.

- Pascal assieds-toi, tu vas me montrer la morsure, je vais chercher la trousse de secours.

  De retour avec la boîte à pansements, Pascal relève la jambe de son pantalon, je décolle la compresse, la plaie n’est pas belle à voir.

- Ce n’est pas très beau, c’est en train de s’infecter, je vais nettoyer ça avec de l’alcool, accroche-toi.

- Ok, allez-y.

- Maintenant je vais faire quelque chose que tu ne devras dire à personne.

  Je passe la main au-dessus de la morsure qui progressivement s’efface.

- Vous êtes guérisseur ?

- Oui mais tu ne le dis à personne, je n’ai pas envie de voir tout le monde débarquer pour que je leur soigne leurs bobos.

- Pas de problème, vous êtes le patron. Grâce à vous, je reprends vie.

- Tu sais, en Indonésie, dans les maisons aisées, on embauche des gardiens, qui font partie de la corporation des voleurs, comme ça on est sûr de ne pas se faire cambrioler.

  Cette anecdote le fait sourire et lui redonne confiance.

- Je ne fais pas partie d’une corporation de voleur, mais je suis dans la mouise.

- Je sais, ça va s’arranger, je vais te faire une avance sur ton salaire et tu commences mardi.

  Mon cauchemar a, au moins eu, des effets positifs. Mon jardin, en un mois, est devenu une petite merveille. Brack et Pascal sont devenus copains. Un potager a été créé au fond du jardin, derrière une haie, ce qui nous permet d’avoir des légumes bio et frais. L’après-midi, Pascal et Brack font des balades dans les bois environnants.

[1] Dans la banlieue de Nantes (44)

[2] Situé au cœur du vignoble de Nantes (44)

Annotations

Vous aimez lire Erwan WARO ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0