Chapitre 29 : Vérité (3/3)

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Quelque chose semblait lui chatouiller les tripes, Chris laissa d'abord échapper un petit ricanement, il pouffa, puis la vanne céda. Plié en deux, il lâcha la bride à toutes ces émotions contradictoires qui le harcelaient à travers des éclats de rire tonitruants.

— Je ne vois pas ce qu'il y a de drôle, gronda le général Duverne.

— Vous ne voyez pas ? bafouilla Chris.

Au prix d'un solide exercice de respiration, il retrouva lentement un semblant de lucidité. Il perdait peut-être la tête pour de bon, mais ne parvenait pas à réellement s'en inquiéter.

— Vous m'annoncez que tous mes souvenirs sont des mensonges. Que vous m'avez embrouillé l'esprit depuis des années, changé mes souvenirs, que vous m'avez manipulé et tout ça... pour que je vous aide ?

— Chris...

— Mais je vous en prie, Général, retirez-moi cette racine de Pikral pour que je détruise la Pierre ! Pourquoi pas, après tout ? Notez cependant, avec tout mon respect, je vous m'engage à commencer par vous offrir une mort affreusement lente et douloureuse.

Ni l'expression ni la position du militaire ne changea d'un iota. Cet homme était un roc.

— Je te comprends, assura le militaire. Bien qu'en vérité, je ne puisse pas imaginer ce que tu dois ressentir à cet instant, mais...

— Arrêtez ! Vous m'avez brisé ! Je ne me souviens même pas de mon vrai nom ! Tous ces gens que je me souviens avoir aimé, toutes ces choses auxquelles j'ai l'impression d'avoir tenu... Des illusions ! Des allucinations ! Ma vie, ma façon de penser, tout ce que je suis ou que je croyais être... À cause de vous, je suis totalement perdu, détruit ! Et vous pensez pouvoir vous expliquer ? Vous justifier, peut-être ? Vous avez même le culot de penser que je vais vous aider ?!

Cette fois, le général plaqua ses mains noueuses sur les épaules de Chris. Quelles qu'aient été ses intentions, le jeune homme se dégagea aussitôt et tenta de s'éloigner. Il se heurta à des gardes qui le tenaient en joue et se retourna vers Duverne.

— Vous n'êtes que des monstres, tous autant que vous êtes ! hurla-t-il.

— Baissez vos armes ! ordonna le général à ses hommes. S'il est blessé vous devrez en répondre devant le Conseil Supérieur.

Chris, lui, s'était laissé tomber au sol et aspirait l'air goulument, les yeux fermés, incapable de faire le tri dans ses émotions. La colère lui permettait vaguement de surnager dans un océan de terreur. Il cherchait en vain quelque chose à quoi se raccrocher.

Quel souvenir est réel ? Quel autre ne sert qu'à me contrôler ?

Se concentrer sur sa mémoire était voué à l'échec, il devait trouver autre chose. Le jeune homme songea alors à ceux qui l'avaient accompagné, les amis de Chris Martin : les habitants de Triam, les civils fréquentés dans l'Arche qui ignoraient la vérité. S'ils l'ignoraient vraiment...

— Lily, elle faisait partie de ce plan, n'est-ce pas ? Elle savait tout ? Tout ce qui...

— Chris...

— Répondez-moi !

— Concentre-toi sur l'Artefact, trancha le général.

Le jeune homme bondit sur ses jambes.

— Mais vous ne comprenez pas ! Je n'ai rien à faire de votre Artefact !

— Ton futur dépend pourtant de cette pierre ! À tous les titres ! contra Duverne.

— Quel avenir ? Vous pouvez me rendre mes souvenirs, peut-être ? Me rendre ma vie d'avant ?Même s'il était possible de restaurer ma mémoire, grâce à vous je ne ferais que me retrouver plus encore ! Mon village, ma véritable famille, tous sont morts et ce par votre faute !

Le général grimaça.

— Si tu réussis, je déploierai toutes mes ressources pour t'aider à te reconstruire. Je... Nous libérerons tes amis Sauvages. Un mot de ma part et ils pourront retourner à leur foyer.

L'attitude de Duverne semblait tout à coup différente, moins vindicative. Chris ne s'attarda pas sur ce point, cependant, car Domi venait de s'imposer dans ses pensées. Oui, la jeune femme n'était pas une manipulation, elle. Leur lien était véritable et il ne pouvait pas la perdre. Il ne s'en remettrait pas.

Cette fois, le général avait touché juste. Le jeune homme ravala sa hargne et la réplique cinglante sur le bord des lèvres. Domi comptait énormément — elle et ses autres compagnons. Il devait les sauver.

— Ce sont donc des otages, souffla-t-il. Pourquoi tenez-vous tant à détruire la Pierre ?

Ses poings étaient serrés au point que cela soit douloureux, mais au moins il tenait debout sans trembler. Le général pris acte de ses nouvelles dispositions d'un hochement de tête.

— Après que l'Artefact eut été légèrement endommagé, la contamination de l'atmosphère a reflué. La concentration en particules a diminué de deux pour cent, une première depuis que nous la surveillons.

— Alors vous pensez... Si la Pierre est détruite, la contamination disparait, c'est ça votre idée ?

— C'est le scénario le plus optimiste, confirma Duverne. Mais aussi le meilleur espoir de l'humanité en mille ans, te rends-tu seulement compte ? Un monde libéré de cette pollution, nous pourrions recoloniser la surface ! Cela fait dix ans que cette tâche est mon unique préoccupation !

— Alors pourquoi est-elle toujours là ? La Pierre, pourquoi avez-vous besoin de moi pour la détruire ? Vous avez des armes très puissantes.

— Notre arsenal tout entier serait parfaitement inutile, il ne l'égratignerait pas. Ce n'est pas faute d'avoir essayé.

— Alors il y a votre dôme. Vous puisez l'Énergie dans l'air, alors si...

— Cette technologie permet de filtrer les particules, pas de les attirer. Par ailleurs, nous n'attendrons pas durant des décennies que d'hypothétiques progrès dans ce domaine nous offrent une solution ! Non, la seule chose à avoir endommagé l'Artefact depuis son impact sur Terre, c'est le contact de ce Sauvage, ce Gardien. Alors, notre arme c'est toi.

La pression dans l'air était palpable désormais.

— Vous m'avez fait tout ça... Vous m'avez fait croire que je venais du passé, que j'étais l'un des vôtres...

— Nous avons essayé d'utiliser nos captifs, mais si les Sauvages ne sont jamais coopératifs, cette fois cela a dépassé toute mesure : aucun n'accepte de s'approcher de l'Artefact, quelle que soit la méthode employée. La plupart se laissent tomber à plat ventre et ne bougent plus, même si on les roue de coup. D'autres, à peine libérés de leurs racines de Pikral, se sont retournés contre nous, nous obligeant à les abattre.

— La Pierre est sacrée, l'équivalent d'un dieu pour eux.

Des notions de connaissances religieuse remontaient en lui, quelque chose qu'on lui avait implanté dans le crâne. Il repoussa ces informations.

— Exact, approuva pourtant le général. Il nous fallait donc trouver un Sauvage qui voit les choses différemment.

Comme si la température venait de chuter, Chris fut saisi de frissons et se surpris à serrer ses bras contre lui. Tout était clair désormais, seules quelques questions secondaires demeuraient. Il savait ce qui lui était arrivé et pourquoi.

Le jeune homme se détourna du militaire et frappa la paroi du dôme de toutes ses forces. La douleur lui fit un bien fou. Elle au moins était réelle, personne ne pourrait lui voler cette sensation.

— Tu connais maintenant les enjeux, reprit Duverne, mais vois-tu les conséquences de ta réussite ? Tu as l'opportunité de devenir un authentique héros. Le sauveur des Arches et de toute notre civilisation ! Tu peux...

— L'Homme Ancien ! explosa le jeune homme. La prophétie, toutes ces histoires de fou, c'était vous ! Vous avez tout inventé pour que je parte à la recherche de la Pierre !

— Il s'agissait de te guider en douceur, mais détrompe-toi : la prophétie et ses adeptes sont authentiques. Nous n'avons fait qu'aider un peu le destin... Nous leur avons fournis leur fameux messie. Tu aurais endossé le rôle à merveille, sans cette fuite.

— Ce n'était donc pas prévu ? répliqua Chris en fronçant les sourcils.

Le général sembla hésiter.

— Votre plan devait échouer et te servir de leçon. J'escomptais alors faire preuve de clémence envers ta Sauvage pour...

— Pour vous assurer ma fidélité ? cracha le jeune homme.

Lily avait donc tout révélé à son père ? Qu'en était-il de ses autres compagnons, Jake, Jess, Démétra ? Que savaient-ils, eux ? L'avaient-ils trahi également ?

— Tu peux encore endosser le rôle prévu, affirma Duverne avec aplomb. Tu n'as pas à tout rejeter, Chris Martin peut rester ta réalité. Tes origines peuvent être effacées, enterrées. Te rends-tu compte de ce que je t'offre ? Tu peux devenir une légende vivante ! Tout ce que tu as à faire...

— Ça suffit !

Haletant, Chris manqua de tomber à genoux. Il ne pouvait pas encaisser davantage de révélations. Comment envisager de continuer de vivre comme si de rien était, tout en sachant qu'il n'était pas lui-même ?

Ces promesses était si écœurante et en même temps... si tentantes. La gloire et les privilèges dégageaient sur lui une attraction malsaine.

Ils ont dû me forcer à penser comme ça ! Ils m'ont créé de sorte que je joue les héros pour eux !

— J'attends ta réponse, relança lé général au terme de longues minutes de silence.

— Si j'accepte, vous relâcherez les Sauvages ? Et moi ? Je pourrais partir aussi ?

— Accomplis ta mission et tu seras libre.

Chris se tourna une fois encore vers la fameuse Pierre, ce bloc inerte inexorablement lié à son destin.

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