Amaia

2 minutes de lecture

    Amaia avait fui pour n’être pas forcée à avorter. Sa fille avait grandi, unique enfant d'une famille sans histoires. Mais elle était très sage et ne posait jamais de questions. Elle était comme on dit facile, dans le sens où les adultes l’entendent en parlant de leur enfant. Mais quand elle avait été « en âge », ils l’avaient fait asseoir dans le canapé du salon et s’étaient plantés devant elle avec des mines officielles qui l’avaient mise mal à l'aise. Son père alors avait tout déballé. Sa maman se contentait de hocher la tête, si ce n’est deux ou trois fois où elle avait semblé se mordre les lèvres. Quand le récit fut clos, l’enfant regagna sa chambre, fit ses ablutions, s’allongea, lut trois lignes et éteignit sa lampe. Mais ses yeux, dans le noir, étaient grand ouverts. Elle avait entendu toquer faiblement à la porte ; puis elle avait couiné et sa maman était entrée. Elle avait complété l’histoire, avec quelques détails en plus par rapport à celle du papa, notamment à propos de ce frère né avant la guerre, dont le père était mort fusillé par des « méchants ». Elle n’avait jamais pu le retrouver. Il devait avoir la trentaine aujourd’hui, s’il n’avait pas subi le même sort que son ancien mari. Elle avait enquêté partout, en France et en Espagne, et jusqu’en Italie, avec l’aide de gens bien plus puissants qu’elle, jusqu’au jour où elle avait dû renoncer. Aujourd’hui, elle croyait qu’il valait mieux ne plus y penser ni en parler à son papa à elle, lui qui par amour l’avait recueilli quand plus rien n’allait et avait permis qu’elle naisse, mais que le passé d’exilée de sa maman ennuyait. Et voilà ! Maintenant, elle savait tout. Pourtant, elle aussi avait omis un ou deux détails. C’était de ces silences qui font réfléchir.

    Lucia n’avait posé aucune question embarrassante, mais elle avait gardé encore un long moment les yeux au plafond une fois la porte refermée. Après, pendant des années, elle n’avait rien fait ou dit qui ait pu laisser croire qu’elle ait été perturbée par le récit qu’on lui avait fait quand elle avait eu douze ans. Mais un soir, sans qu’elle sache pourquoi, elle avait préparé un sac avec des affaires et des provisions pour quelques jours et elle avait volé cinq ou six gros billets dans les poches de son père et une bague en or dans le coffret d’une chambre.

    Elle n’avait jamais fait une chose pareille auparavant, mais, bizarrement, ç’avait été simple et elle n’en avait éprouvé aucune honte. Au contraire, elle était tranquille et toute joyeuse le lendemain matin quand, au lieu d’attraper son car pour se rendre au lycée, elle avait pris un train rapide de Bilbao pour le Sud.

Annotations

Vous aimez lire Guillaume Novillo ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0